Déjà presque un mois que la rentrée littéraire bat son plein et, déjà, les premières tendances se dessinent. Les stars sont au rendez-vous, des figures inattendues émergent et de nouveaux talents semblent prêts à éclore. Focus sur cinq auteurs et autrices qui ont déjà marqué la rentrée de leur empreinte.
| Ivan Jablonka, le chasseur d’icône
À peine les derniers effluves de l’été dissipés qu’un nom s’affichait partout en lettre majuscule dans la presse et dans les étals des librairies. Ivan Jablonka a commencé cette rentrée littéraire en trombe. D’abord parce qu’un livre d’Ivan Jablonka est toujours un événement – on se souvient de l’éblouissant Laëtitia ou la fin des hommes, Prix Médicis en 2016 –, mais surtout parce que l’historien et écrivain tenait un redoutable sujet, en la personne de Jean-Jacques Goldman. Chanteur culte qui traverse les générations, retiré de la vie publique depuis des années, il continue à exercer une fascination mystérieuse sur les Français·es, à tel point qu’il est sans cesse érigé comme notre personnalité préférée.
Son livre n’est pas une biographie non autorisée ou un portrait qui fourmille de secrets, mais plutôt une passionnante œuvre de sciences sociales qui propose « l’archéologie d’une époque » à travers le destin d’une icône pas comme les autres. Sa vie, ses tubes sont passés au peigne fin, mais c’est surtout de nous dont parle ce livre. De nos angoisses face au destin du monde, de notre nostalgie des jours heureux, du refuge que peut être la culture populaire. Un essai passionnant qu’on dévore en chantant.
| Panayotis Pascot, l’invité surprise
C’est le succès inattendu de cette rentrée. Début septembre, en catimini, l’ancien chroniqueur du Petit Journal devenu un humoriste et un acteur à succès faisait paraître un premier livre surprenant, une autofiction à cœur ouvert qui atteint aujourd’hui des chiffres de vente ahurissants. À la lutte avec la reine Nothomb, devant Nicolas Sarkozy, Panayotis Pascot s’est fait une place au soleil dans le paysage littéraire et, le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est mérité ! La Prochaine Fois que tu mordras la poussière est un objet littéraire peu commun, la confession lucide, parfois dure, d’un enfant du siècle mal dans sa peau.
Pendant quatre ans, pour calmer ses angoisses et trouver le sommeil, il consigne dans un carnet les démons qui l’assaillent, tente de répondre aux interrogations qui le hantent, cherche à se reconnecter à sa famille. Combattre la dépression, comprendre sa sexualité, accepter la maladie de son père : autant d’étapes de la vie traversées avec l’écriture à ses côtés. Avec une sincérité désarmante et un sens de la punchline redoutable, il met des mots sur ses maux et écrit un formidable roman sur l’amour dans ce qu’il a de plus chaotique.
| Amélie Nothomb, la jeunesse éternelle
Chaque rentrée, c’est la même chose : on ouvre les programmes de parutions de chez Albin Michel et on découvre en majesté, en première page, le tout nouveau roman d’Amélie Nothomb. Pour certain·e·s, c’est devenu une tradition rassurante. Pour d’autres en revanche, c’est une habitude redondante qu’on moque allègrement. Il n’empêche qu’inlassablement, ces romans s’établissent au sommet des ventes et passionnent les débats critiques.
Si elle a su fidéliser son lectorat, Amélie Nothomb est surtout passée maîtresse dans l’art de surprendre. Jamais à court d’idées – la légende raconte que de nombreux manuscrits dorment encore dans ses tiroirs –, elle navigue d’un genre à l’autre, d’une forme à une autre, avec une aisance impressionnante.
Avec Psychopompe, son nouveau roman au titre très nothombien, elle nous donne à lire un nouvel objet littéraire non identifié et s’essaie à l’exercice de l’autobiographie aviaire. En remontant le cours de sa vie, elle se livre comme rarement et explique son obsession mystérieuse pour les oiseaux, raconte comment cette espèce est devenue son animal totem. Au Japon, en Chine, à New York, enfant, elle parcourt le monde aux côtés de son père diplomate et se raccroche à la beauté majestueuse de ces volatiles. Mais c’est à 11 ans, au Bangladesh, qu’elle prend conscience que leurs destins sont liés. L’oisillon est jeté hors de son nid et son envol passera par l’écriture. Un texte loufoque, attachant, parfois bouleversant quand il plonge dans les douleurs les plus enfouies de la vie de l’écrivaine.
| Julie Héraclès, polémique fiction
Tout avait commencé comme dans un rêve pour Julie Héraclès. En quelques semaines, la jeune écrivaine est devenue un des visages de cette rentrée, la figure de proue d’une nouvelle génération de romanciers et de romancières prêtes à en découdre au milieu des indéboulonnables mastodontes du milieu. Récompensé du prestigieux prix Stanislas du premier roman, Vous ne connaissez rien de moi avait subjugué le jury de critique et les lecteur·rice·s par sa plume virtuose, mais aussi par ce déroutant portrait de femme.
Dans le livre, elle raconte par le menu l’existence chahutée de Simone Touseau, la tondue de Chartres présente sur la photo iconique de Robert Capa prise à la Libération. Mais Julie Heraclès prend un parti pris. Elle s’écarte des tumultes de la collaboration pour s’attarder sur le profil d’une femme étrange, obnubilée par ses obsessions personnelles plutôt que par le cours du monde. Or, depuis quelques jours, la beauté de la fiction se fracasse contre l’exigence de véracité des faits historiques. Les voix s’élèvent pour dénoncer un portrait complaisant d’une femme qui fut, selon les dires de nombreux historiens, une collaborationniste notoire et une nazie convaincue. Au nom de la sacrosainte fiction, le roman peut-il s’arroger toutes les libertés ? Une question que l’on n’a pas fini de se poser.
| Salman Rushdie, le retour du roi
On l’attendait de pied ferme. Le retour du géant blessé. Un an après son agression brutale lors d’une conférence à New York par un fondamentaliste libanais qui le poignardait à dix reprises et le privait de la vue d’un œil, Salman Rushdie est de retour sur le devant de la scène et plus déterminé que jamais. Paru en février 2023 et déjà en cours d’écriture au moment de l’attaque, La Cité de la victoire n’évoque en rien l’attentat dont a été victime son auteur. Le récit de ce triste événement sera le sujet du prochain livre de Salman Rushdie – un livre frontal pour en finir avec cet acte barbare et tourner la page. Mais cette épopée antique résume à elle seule le glorieux message d’un auteur qui s’est battu toute sa vie pour la liberté.
Salman Rushdie raconte les heurts et malheurs d’une fillette devenue le véhicule d’une déesse. Chargée de parler en son nom et de fonder une ville merveilleuse, elle est peu à peu engloutie par l’hubris et la faiblesse des hommes. C’est l’histoire du rêve d’une ville-monde où règnent l’harmonie, l’égalité des sexes et le bonheur des peuples ; c’est aussi l’histoire d’une utopie qui vacille au fil des guerres et des trahisons. En nous délivrant cette fable humaniste qui s’est transmise à travers les âges, Salman Rushdie nous enchante à nouveau et réaffirme le pouvoir de la littérature et des mots.
