Du récit d’apprentissage à la fiction historique, voici un petit panorama des premiers romans de cette rentrée littéraire 2023.
Comme chaque année, la rentrée littéraire est une période de bouillonnement, où l’on prend plaisir à retrouver des noms que l’on connaît en librairie. Mais elle est aussi l’occasion de partir à la découverte de nouvelles voix, souvent utiles pour prendre le pouls du monde. Voici un petit aperçu du cru 2023 des premiers romans.
Le Diplôme, d’Amaury Barthet
Guillaume est un professeur de banlieue à la lisière de la désillusion. Après une rupture avec sa compagne, il décide de s’inscrire dans une salle de sport et fait la rencontre de Nadia. Nadia est vendeuse dans une boutique de vêtements. Elle a tout pour elle, sauf… un diplôme prestigieux, pour grimper les échelons. Au fil des événements, Guillaume décide de faire tout ce qui est en son pouvoir pour lui en décrocher un et la mener vers les hautes sphères professionnelles. Quel que soit le prix.
Porté par une plume ironique et plus que jamais ancrée dans les questionnements sociétaux, Le Diplôme déploie une réflexion sur la méritocratie, sur la course au succès et sur l’amour, qui n’est jamais loin, évidemment.
Le Diplôme, d’Amaury Barthet, Albin Michel, août 2023.
Acide, de Victor Dumiot
Acide est un roman dont la trame se concentre sur deux personnages principaux. D’un côté, Camille est une jeune femme parisienne, qui, un soir, se retrouve défigurée par de l’acide. Quelque mois après, elle se réveille, son visage en moins. De l’autre côté, Julien est un homme isolé, dont les journées consistent à frénétiquement consommer des vidéos pornographiques, dont la violence semble un pivot.
Un jour, Julien tombe sur la vidéo de l’agression de Camille en ligne. Peu à peu, une fascination pour la jeune femme se construit et laisse place à l’envie de la retrouver. Un premier roman percutant, dont la richesse stylistique ouvre des portes qu’on n’aurait pas osé imaginer.
Acide, de Victor Dumiot, Bouquins, août 2023.
Adieu Tanger, de Salma El Moumni
Alia est une adolescente marocaine. Alors qu’elle grandit, elle prend peu à peu conscience de son corps à travers le regard des hommes. Un regard jusqu’alors inconnu, qui ne semble pas toujours bienveillant à son égard. Dans cette perspective, elle commence à essayer de se regarder, de se comprendre elle-même et se met à se photographier.
Chaque soir, elle tente de saisir ce qui ne va pas, jusqu’à ce qu’elle apprenne qu’une loi marocaine peut punir d’emprisonnement toute atteinte aux mœurs. En parallèle, elle cultive une fascination pour l’apparente liberté de Quentin, un garçon de sa classe, qui lui apprend que ses clichés ont fuité sur Internet.
C’est dans ce chaos intime qu’Alia décide de fuir Tanger pour Lyon. Dans ce court roman, Salma El Moumni parvient à creuser avec justesse des thèmes aussi profonds que l’interdit, l’exil, mais aussi le rapport à la nostalgie que l’on peut entretenir avec les lieux d’où l’on vient. Poignant.
Adieu Tanger, de Salma El Moumni, Grasset, août 2023.
Vous ne connaissez rien de moi, de Julie Héraclès
En 1944, le photographe Robert Capa capture un instant de vie qui fera le tour du monde : une femme tondue marche dans les rues de Chartres au milieu de la foule, un bébé dans les bras. Un bébé, oui, né d’une relation avec un soldat allemand, Otto Weiss. Simone deviendra la « Tondue de Chartres ».
C’est à partir de ce cliché que Julie Héraclès a imaginé le destin de cette femme. Savant mélange de fiction et d’histoire, Vous ne connaissez rien de moi développe un personnage résolument complexe et une histoire construite sur les nuances. Qu’aurions nous fait à sa place ? Un texte hypnotique, puissant.
Vous ne connaissez rien de moi, Julie Héraclès, JC Lattès, août 2023.
Dès que sa bouche fut pleine, de Juliette Oury
Que penser d’une société où le rapport à la nourriture et le rapport à la sexualité serait inversé ? Juliette Oury l’a fait pour nous, dans cet éblouissant premier roman. Dans Dès que sa bouche fut pleine, manger est intime et le sexe est partout. On ne se nourrit que de barres insipides, et on se rend tranquillement au Pornoprix.
Laetitia, le personnage principal, a pourtant envie de goûter aux plaisirs de tout ce que la cuisine peut nous offrir. Un roman initiatique sur le désir dans tout ce qu’il a de plus vaste, qui nous dit quelque chose du tabou du sexe à certains égards. À déguster sans modération.
Dès que sa bouche fut pleine, de Juliette Oury, Flammarion, août 2023.
Prélude à son absence, de Robin Josserand
La narrateur, Robin, est bibliothécaire. Il vit à Lyon et fait la rencontre de Sven, un jeune homme qui fait la manche, dont le physique est régulièrement comparé à celui de Glenn Gould. Peu à peu, Robin se prend de fascination pour lui. Il met en place un jeu de séduction auquel Sven ne semble pas répondre frontalement.
Entre fascination mélancolique et obsession, le lien entre les deux hommes se poursuit sur l’île de Groix, où, plus que jamais, la question de l’amour voué à sa perte se pose. Un livre en forme d’autofiction, dont le style tantôt tranchant, tantôt poétique, fascine autant que ce qu’il met en lumière. Prélude à son absence est un livre profond sur le désir, et peut-être même sur le désir d’écrire, finalement.
Prélude à son absence, de Robin Josserand, Mercure de France, août 2023.
Vierge, de Constance Rutherford
Dans ce roman d’apprentissage, Constance Rutherford met en scène Maxine, une jeune femme de 25 ans, timide, mal dans son corps et vierge. Alors qu’elle travaille comme surveillante dans un collège, elle ne peut qu’observer les élèves construire cette tension propre aux adolescents. Une tension qui la ramène à sa propre virginité.
À l’occasion d’un stage de théâtre, Maxine réalise que le sexe est en train de devenir une priorité, une urgence. Écrit avec un humour réjouissant, Vierge questionne naturellement la pression sociale liée à la perte de virginité, mais va plus loin en interrogeant la sexualité dans ses recoins les plus pertinents. Un premier roman éblouissant.
Vierge, de Constance Rutherford, Harper Collins, août 2023.
Les Conditions idéales, de Mokhtar Amoudi
Skander a 8 ans et est un garçon poreux au monde qui l’entoure. Alors qu’il est placé à l’aide sociale à l’enfance, il doit changer de famille d’accueil. Très vite, il atterrit chez l’étrange Madame Khadija, dans une banlieue parisienne.
Le récit s’intéresse à leur relation et à la forme d’amour nouée entre eux. Mais Mokhtar Amoudi construit également son roman autour de la façon dont Skander est contraint de s’adapter au quartier dans lequel il évolue. Entre violence et envie de liberté, pour lui, les conditions ne seront peut-être pas toujours idéales. Peut-être.
Les Conditions idéales, de Mokhtar Amoudi, Gallimard, août 2023.
Orchidéiste, de Vidya Narine
Sylvain est ce que l’on appelle un orchidéiste. Il tient une boutique d’orchidées, pour une clientèle parisienne qui a les moyens. Un travail éreintant, qui fait grandir l’envie de céder son commerce. Mais son héritage risque de le freiner dans son désir.
Vidya Narine nous accompagne pour sonder le passé de son personnage, au même titre que celui de l’orchidée exotique, qu’elle met en parallèle. Une fleur pas toujours respectée, dont l’histoire est le symbole d’une exploitation des richesses naturelles, jamais loin du capitalisme. Deux héritages comme deux façons de se parler d’avenir.
Orchidéiste, de Vidya Narine, Les Avrils, août 2023.
La Maison vénéneuse, de Raphaël Zamochnikoff
La Maison vénéneuse installe son histoire dans le cadre rural des années 1980. Arty, 11 ans, est persuadé que sa maison a essayé de l’étrangler. Dans une ambiance digne des romans de Stephen King, il va essayer de comprendre : est-ce que le danger rôde vraiment autour de lui et de ses parents ? Une histoire à l’écriture cinématographique, pour prendre conscience que l’enfance ne se résume pas qu’à faire des cabanes dans les bois. Brillant.
La Maison vénéneuse, de Raphaël Zamochnikoff, Belfond, août 2023.