Emily in Paris, Killing Eve, The Serpent Queen, Sense8… Autant de séries tournées – pour quelques épisodes ou en totalité – au cœur de l’Hexagone. Actuellement, le tournage de The Walking Dead: Daryl Dixon confirme que la passion des showrunners américains pour notre douce France n’est pas près de s’éteindre, poussée par des pouvoirs publics de plus en plus favorables aux productions étrangères.
Des zombies dans les rues de Paris et au pied du Mont-Saint-Michel. C’est ce que vous pourrez voir, bientôt, sur vos écrans. En effet, les producteurs du spin-off de la série mondialement acclamée The Walking Dead ont décidé que les aventures de l’un des protagonistes de la série, Daryl Dixon, se dérouleraient dorénavant en terre hexagonale. Et, en premier lieu, ce sont bien les sites patrimoniaux et les paysages français qui seront mis en valeur.
« Jusqu’à maintenant, c’est vrai que le marché américain vient pour des champs assez iconiques, confirme Marin Rosenstiehl, responsable de la Commission du film [l’entité gérant l’attractivité des tournages sur un territoire, ndlr] à l’Agence Occitanie Films. La tour Eiffel, les châteaux de la Loire, la Riviera… Les Américains, dans leurs histoires, cherchent un peu la carte postale française typique. »
Mais la vision des producteurs d’outre-Atlantique est en train d’évoluer. Loin de se focaliser sur des décors clichés et parisiens vus et revus, ils se laissent séduire par la diversité des sites tricolores. L’Occitanie, par exemple, « offre des départements extrêmement contrastés, entre son pourtour méditerranéen, les Pyrénées, son arrière-pays de campagne traditionnelle française, et quelques grandes villes comme Toulouse et Montpellier », décrit Marin Rosenstiehl. Si, à l’échelle nationale, le tournage de séries étrangères a augmenté de 20% en 2022, la région Occitanie a, elle, été le lieu de tournage de cinq séries internationales, trois de plus qu’en 2021.
Parmi ces productions, la série Monsieur Spade, bientôt diffusée sur Canal+ et réalisée par l’Américain Scott Frank (créateur, entre autres, du Jeu de la dame) a été tournée pendant plus de trois mois à Bozouls, dans l’Aveyron. De son côté, Shawn Levy, showrunner de Stranger Things, s’est installé quelque temps dans la commune de Villefranche-de-Rouergue, toujours dans l’Aveyron. Là, il a capté les images de All the Light we Cannot See, future minisérie Netflix dans laquelle figure notamment Mark Ruffalo (Hulk, Shutter Island, Zodiac…).
Les atouts tricolores : paysages et crédit d’impôt
Les paysages français attirent, c’est certain. Mais la première motivation des producteurs et productrices venus d’autres pays est, d’abord, financière. Depuis 2020, le crédit d’impôt international, alloué aux sociétés étrangères tournant des films et séries en France, est passé de 30 à 40 % pour les projets dont les dépenses liées aux effets spéciaux sont supérieures à 2 millions d’euros.
« C’est une arme de guerre absolument redoutable, cela a complètement changé la donne !, assure Marin Rosenstiehl. Au même moment, il y a eu une modification du paysage audiovisuel avec l’implantation, en plus d’acteurs historiques comme Netflix, de plateformes croissantes type Disney+, Paramount+… », ajoute-t-il. Des plateformes de streaming toujours plus nombreuses qui ont généré une activité croissante sur le territoire.
D’autant plus que, depuis cette année, les films portés par ces plateformes étrangères via un producteur délégué français peuvent prétendre aux aides publiques du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) – sans que cela ne soit cumulable, bien sûr, avec le crédit d’impôt précédemment mentionné. « On se retrouve avec des œuvres portées par des producteurs français, réalisées par des Français, avec toute une équipe française… Mais à diffusion internationale ! », se réjouit Marin Rosenstiehl.
En effet, les plateformes de streaming, et parfois même les réalisateurs étrangers, ne rechignent pas à travailler directement avec des collaborateurs français. Les compétences des frenchies sont parfois même un élément de plus pour convaincre les Américains de se délocaliser. « Ils montent des équipes pléthoriques, qui peuvent aller jusqu’à 200 ou 300 personnes, mais ils sont très exigeants, reconnaît Marin Rosenstiehl. Ils veulent des professionnels d’un très haut niveau, qui savent parler anglais. »
À ce niveau-là, la France a un atout : son savoir-faire au niveau des effets spéciaux. En la matière, des sociétés comme Buf, Mathematic Studio ou The Yard VFX, qui a décroché le César des meilleurs effets spéciaux pour Notre-Dame brûle de Jean-Jacques Annaud, sont déjà reconnues. Le pays est aussi doté de grandes écoles de formation aux VFX, comme ARTFX à Montpellier.
La France est donc très bien dotée, mais, pour faire face à la concurrence et combler l’avance prise par l’Espagne, l’Allemagne ou l’Italie, un outil reste encore à développer, et non des moindres. « Sans studio, et on n’est pas dans le game ! », résume Marin Rosenstiehl. Effectivement, l’Hexagone manque cruellement de studios de tournages.
Pour rattraper ce retard, le ministère de la Culture vient de débloquer 350 millions d’euros de subventions. Objectif : doubler la surface des plateaux, pour passer de 60 000 à 153 000 mètres carrés d’ici 2030. Onze projets sont sur la table et des agrandissements et rénovations sont prévus. Le plateau de Bry-sur-Marne, dans le Val-de-Marne, est par exemple destiné à devenir le troisième plus grand site d’Europe.
Les studios de France TV à Vendargues, près de Montpellier, vont être également considérablement agrandis pour devenir un hub créatif de huit hectares. Dans l’Hérault, c’est une construction d’envergure qui est imaginée : le Pics Studio, gigantesque pôle de création cinématographique de plus de 30 000 mètres carrés, sera ouvert en 2025.
Un plan à 350 000 euros pour bâtir un parc de studios de dimension internationale
« C’est indispensable pour pouvoir se positionner et rester compétitif sur ces nouveaux marchés extrêmement vertueux, surtout en termes de création d’emplois », rappelle Marin Rosenstiehl. Selon lui, une production étrangère s’installe sur les tournages entre quatre et six mois, et les plus grosses séries dépensent entre 700 000 et 1 million d’euros par semaine. Pour sa saison 2, Emily in Paris a, par exemple, demandé un tournage de 12 semaines, pour plus d’un million d’euros dépensés chaque semaine.
L’industrie est donc très porteuse économiquement, pour les communes accueillant des tournages comme pour les bassins d’emploi locaux. En moyenne, une série produite par une plateforme réunit une équipe d’environ 200 personnes. « Il va falloir former des milliers de techniciennes et techniciens chevronnés », conclut Marin Rosenstiehl. De quoi booster un secteur qui ne connaît définitivement pas la crise, et surtout pas en France.