À l’occasion de la parution de Super bien, merci, rencontre avec Monica Heisey, une autrice qui dynamite le genre de la comédie romantique.
Jeune scénariste acclamée pour les séries Schitt’s Creek et Workin’ Moms, la Canadienne Monica Heisey se lance dans l’aventure littéraire avec Super bien, merci, un premier roman drôle et touchant qui raconte le chemin de croix d’une jeune femme fraîchement divorcée à l’âge où la société vous imagine amoureuse et comblée. À l’occasion de la sortie du livre, le 1er juin 2023 aux éditions Robert Laffont, L’Éclaireur a rencontré l’autrice pour évoquer son travail, ses références, ainsi que sa première expérience en tant que romancière.
Comment ce premier roman est-il né ?
J’ai vécu un divorce très tôt dans ma vie, alors que j’étais encore dans la vingtaine. Cela a été un événement extrêmement difficile, une forme d’isolation vis-à-vis du monde, étant donné que pour la plupart de mes proches l’heure était plutôt au mariage qu’au divorce. Paradoxalement, cet épisode a été aussi dramatique pour ma vie privée que stimulant pour ma vie d’écrivaine. Dans la fiction, le divorce est toujours traité de la même façon : on met en scène des personnages au carrefour de leur vie, dans la quarantaine ou la cinquantaine, alors que pour certains, le divorce est une sorte de faux départ qui intervient beaucoup plus tôt.
Vous êtes connue pour vos scénarios de séries, notamment Workin’ Moms et Schitt’s Creek. Pourquoi avoir écrit un roman et pas une série ?
Cette histoire s’amuse constamment du décalage entre ce que vous dites aux gens et ce que vous vivez réellement. Maggie passe son temps à répéter à qui veut l’entendre qu’elle va bien, mais le lecteur lui sait qu’en fait, elle est au plus mal. J’ai tout de suite pensé que la forme romanesque serait le meilleur moyen de raconter ce conflit intérieur, ce jeu des apparences.
C’est donc un roman qui emprunte à votre parcours personnel ?
Un mariage, un divorce, c’est l’histoire de deux personnes. Il était hors de question de livrer mon intimité et celle de mon ex-mari en pâture dans un livre. Cette histoire est une pure fiction, mais les émotions elles, sont celles qui m’ont traversée à un moment de ma vie. Je voulais m’emparer d’un thème que je connais bien, mais laisser agir la fiction, laisser libre cours à mes envies, faire rire avec ces blessures qui traversent nos vies. L’idée n’était surtout pas de me servir de l’écriture comme d’une thérapie, mais plutôt de tendre la main à d’autres femmes qui traversent ou qui ont traversé ce genre d’histoire.
Parce que le divorce, ce n’est pas qu’une séparation avec un homme, c’est une confrontation avec le monde ?
Oui, c’est tout le début du livre où Maggie ne parvient pas à annoncer la nouvelle à ses amis. Un mariage, c’est une promesse qu’on fait à l’autre devant ses proches. Si l’on casse cette alliance, on s’expose aussi vis-à-vis de tous ces témoins. En divorçant, on trahit une promesse, quelque part.
Pensez-vous qu’une séparation ou un divorce sont plus durs à porter pour une femme ?
Oui, je crois. J’ai l’impression que c’est plus douloureux pour nous les femmes parce que nous sommes plus exposées. Un divorce entraîne une plus grande honte, des regards plus pesants à notre encontre. Même si les choses changent vite, dans nos sociétés, trouver le prince charmant reste à ce jour le plus bel aboutissement dans la vie d’une femme. Quand elles perdent cela, on estime qu’elles ont tout perdu. Le livre traite beaucoup, comme une grande partie des séries que j’ai écrites d’ailleurs, du poids des étiquettes qui pèse encore sur les femmes.
Avec des conséquences importantes sur le rapport au corps et à la nourriture ?
Quand on fait le portrait d’une femme en crise, ces questions sont fondamentales. La nourriture et le corps sont des blessures qui ne partent jamais vraiment. On pense parfois en avoir fini, mais je crois que c’est une illusion. Même aujourd’hui où nous avons beaucoup progressé sur le sujet, il y a une forme de mauvaise foi. Nous sommes censées ne plus avoir honte de nous, mais il reste une forme de pression silencieuse qui nous pousse quand même à tout faire pour être parfaites.
Comment les ruptures amoureuses ont-elles été impactées par l’ère des réseaux sociaux ?
Dans nos vies amoureuses, comme dans nos ruptures, les réseaux sociaux jouent un rôle primordial. Divorcer à l’ère d’Instagram et de TikTok, c’est un cauchemar ! Tout devient public. Il y a une audience qui guette vos réactions, votre nouvelle vie. Rien que le fait de ne plus poster de photo avec votre mec vous expose aux questions curieuses. Tout ça n’aide clairement pas à vivre sereinement et sainement une rupture. Si vous ajoutez à ça la jungle sauvage que sont les applications de rencontre, vous obtenez un cocktail explosif, à la fois effrayant et drôle.
Vous avez d’ailleurs intégré les réseaux sociaux et Internet dans l’écriture même du récit.
C’est un peu le défi du moment, notamment dans les séries ou au cinéma. Comment utiliser cette nouvelle forme de communication et l’intégrer dans l’histoire ? Comment la représenter ? On voit les écrans s’afficher dans le champ, les échanges de texto avec le sound design. Ça m’intéressait d’explorer ça dans un roman. Tout le chapitre qui représente l’évolution des recherches Google de Maggie juste après sa rupture, c’est un procédé narratif et visuel simple, mais qui en peu de mots parvient à dire toutes les émotions qui la traversent.
Une comparaison à Bridget Jones figure sur la couverture du livre français, est-ce que c’est une référence qui vous parle ?
Bridget Jones était un produit de son temps. Effectivement, aujourd’hui, il y a plein d’aspects problématiques dans ce personnage qui ne se définit qu’à travers les hommes, mais l’œuvre d’Helen Fielding a été une influence pour moi dans sa manière de fabriquer l’humour. Comment faire un roman drôle sur une femme en train de devenir folle ?
Quels sont vos livres de chevets ?
J’ai quelques obsessions de lecture. Le livre Sheila Hati, Comment être quelqu’un ? m’accompagne partout. Zadie Smith est pour moi une référence. J’ai une profonde admiration pour deux figures classiques du roman anglais : Charles Dickens et Jane Austen. Ils ont un sens de l’humour redoutable, alors même que leur littérature est incroyable grave.
Avec du recul, quel regard portez-vous sur cette première expérience romanesque ?
J’ai adoré ! Je suis déjà en train d’écrire un deuxième roman. Je veux creuser ce filon de l’humour, qui n’est pas si répandu que cela dans la littérature. Je dois rendre mon livre d’ici la fin de l’année, ça tombe bien, nous sommes en grève [la grève des scénaristes d’Hollywood, ndlr], ça m’offre plus de temps [rires].
Super bien, merci, de Monica Heisey, Robert Laffont, depuis le 1er juin en librairie.