Deux ans de tournée et ce n’est pas fini ! Vérino s’apprête à repartir sillonner la France pour défendre son dernier stand-up, baptisé Focus et axé sur la pédagogie. Pour l’occasion, L’Éclaireur est allé à sa rencontre afin de revenir sur sa carrière, qui a évolué avec la démocratisation des vidéos sur Internet et le débat « Peut-on rire de tout ? ».
Pionnier de la nouvelle scène d’humoristes qui a émergé à l’aube des années 2010, Vérino ne cesse de remplir les salles avec une constance jalousée. Sa force : Internet. Dès 2015, le stand-upper a su s’en servir comme un outil de communication efficace. À travers un concept de vidéos intitulé Dis donc Internet, l’artiste entretient un lien privilégié avec son public. Tournées sur scène, elles lui permettent de dialoguer avec celui-ci, de réagir à l’actualité, de viser juste et d’être présent en permanence.
Focus, son dernier spectacle en date, arrive prochainement sur la scène du Théâtre Bobino, à Paris, avant de repartir en tournée en province. Dévoilé en 2021, Vérino l’a fait évoluer au fil du temps et l’a vu grandir comme un enfant. Entre deux représentations, l’humoriste a répondu à nos questions.
Vous avez vécu l’arrivée de YouTube et des réseaux sociaux en tant qu’humoriste. Comment ces éléments ont-il révolutionné l’humour et votre façon de travailler ?
Depuis les années 2010, le métier d’humoriste évolue de manière significative. Comme toujours, il faut maîtriser sa communication, mais désormais elle peut se faire uniquement sur Internet. Moi qui ne suis pas très à l’aise à la télévision, en partie car le médium n’est pas propice à la spontanéité, cela me va très bien. À partir des années 2010, des comiques ont émergé sur Internet en proposant des vidéos face caméra. Forcément, ils sont très critiqués par les “professionnels” mais ils ont commencé à remplir les salles, donc en 2015, je me suis dit qu’il était temps pour moi de créer ma chaîne YouTube.
Qu’est-ce-qu’Internet vous apporte de plus ?
Pour certains, la télévision fait encore le job. Mon copain Artus est très à l’aise sur un plateau. Je le trouve brillant. Il n’est jamais inquiet. Il sait être marrant quand il faut. Mon rêve, que je réalise petit à petit, c’est de ne dépendre de personne pour pouvoir me consacrer pleinement à la création de mes spectacles. Je ne veux pas être l’esclave des médias et devoir faire le clown dans une émission pour essayer de remplir les salles.
À la télévision, il faut tenter de séduire quatre millions de personnes d’un coup ou d’en décevoir le moins possible. Sur Internet, j’ai davantage l’occasion de montrer mon travail de manière précise à des gens susceptibles d’y adhérer et susceptibles de venir me voir sur scène. Je suis beaucoup plus épanoui dans cette façon de faire.
Quelle est votre façon de faire justement ?
Depuis 2015, tous les vendredis, je tourne une vidéo en direct sur scène. Au préalable, j’écris un stand-up de sept à huit minutes. À la fin du spectacle, j’enregistre la séquence en présence du public. Je lui tourne le dos mais je fais face à la caméra, ainsi les spectateurs peuvent se voir à l’écran, celui de la salle comme celui de leur ordinateur, une fois que la vidéo est montée et diffusée. Au moment où nous parlons, j’en suis à ma 265e vidéo.
Le débat “peut-on rire de tout ?” a rythmé ces dernières années, qu’en pensez-vous ? Dans votre spectacle, vous faites une blague absurde à propos des juifs, tellement absurde qu’elle ne peut pas être taxée d’antisémitisme. Fait-elle office de clin d’œil à ce débat ?
En tant qu’humoriste, je pars du principe que je déçois des gens en permanence. Rire de tout, ce n’est pas un débat pour moi. Est-ce qu’on peut imposer le rire ? La réponse est non, mais on peut le proposer. Les gens ont ensuite le droit de s’exprimer. Du moment qu’il y a un certain nombre de gens qui viennent m’écouter, ça ne me dérange pas si d’autres me détestent.
« On peut rire de tout, il faut trouver le bon angle et le faire dans un bon esprit. Je crois même que c’est nécessaire. »
Vérino
Pour être honnête, je dis ça avec beaucoup de philosophie, car je ne me fais pas insulter sur Internet [rires]. On peut rire de tout, il faut trouver le bon angle et le faire dans un bon esprit. Je crois même que c’est nécessaire. Je cours vers la liberté, mais pas après le buzz. Dans le spectacle, en effet, il y a des blagues à propos des juifs et non sur les juifs. L’association blague-juif rend certaines personnes hystériques. Je m’en amuse. Ma blague est volontairement inattaquable, car totalement absurde.
Aujourd’hui, vous avez la possibilité de vous exprimer et de rectifier le tir dans vos vidéos si jamais vous avez dérapé légèrement.
Exactement, si je me plante, j’ai la possibilité de me rattraper, de m’excuser ou de me justifier en vidéo, sur les réseaux sociaux ou sur ma chaîne YouTube. Cette tribune me permet de dialoguer avec les gens qui m’écoutent.
Votre spectacle est bienveillant, aucun débordement, et même si c’était le cas, nous vous pardonnerions plus facilement, car vous ne manquez pas d’autodérision. Vous n’hésitez pas à vous mettre en boîte, vous et vos proches.
Il faut savoir que j’écris avec ma femme. Tout ce que je dis sur scène, elle l’a validé. En effet, j’évoque ce qui cloche chez chacun de mes trois enfants. Mon plus grand louche. Un de ses camarades lui dit qu’il est moche parce qu’il porte des lunettes. Du coup, il les enlève. Par ce geste, il prend le dessus ! Quand vous avez une cible, elle doit être gagnante dans vos vannes.
« Quand nous avons, ma femme et moi, commencé à écrire sur notre famille, elle m’a dit que nous pouvions tout nous permettre du moment que ça pue l’amour. »
Vérino
Quand nous avons, ma femme et moi, commencé à écrire sur notre famille, elle m’a dit que nous pouvions tout nous permettre du moment que ça pue l’amour. Dans mes vannes, il s’agit davantage d’un vivre-ensemble avec nos défauts que de moqueries. L’idée n’est pas d’exclure des gens, mais de les rassembler.
Focus aborde les confinements, le Covid-19, la guerre en Ukraine. Comment réagissez-vous à l’actualité ? Comment un spectacle évolue-t-il sur la durée ?
Depuis le début, j’ai revu un tiers du spectacle. Un spectacle, c’est comme un bébé : on accouche lors de la première, mais après il grandit. Au début, on se fantasme en super papa, on s’imagine qu’on va le façonner à sa manière, mais, au fil de son évolution, il y a des éléments qui nous échappent. Dans mes vidéos, l’actualité joue un rôle important, sur scène moins. Je m’adapte juste. Davantage que l’actualité, c’est le social qui m’intéresse, la façon dont elle interagit avec les gens. Par exemple, les élections en soi, d’un point de vue humoristique, ne m’intéressent pas, mais la façon dont elles investissent un foyer familial oui.
Quel était le thème de départ de Focus ?
Je savais que je voulais parler de pédagogie, de nos rapports les uns aux autres, de diplomatie… Cette toile de fond, les spectateurs ne la voient pas forcément. Dans mon spectacle, il y a deux couches : une micro et une macro. La macro correspond aux complotistes, à la guerre en Ukraine, au véganisme, à la société de surconsommation. La micro traite de la cellule familiale, de ma femme et de mes enfants.
Vous considérez-vous comme un comédien ?
Je m’accroche le plus possible à la sincérité. Je ne suis pas un spectacle, mais un moment. Je ne monte pas sur scène pour jouer la comédie, je m’adresse aux gens de manière très naturelle, en fonction de mon état d’esprit. Je suis le même gars sur scène qu’à la ville. Je défends l’art du stand-up. Quand vous lisez un texte tous les soirs, ce n’est pas toujours facile d’être sincère, c’est pourquoi je me laisse porter par l’émotion des événements de la journée, je ne m’en décharge pas avant de monter sur scène. Pour Bobino, j’aurai plus d’expérience, mais c’est tout, j’aurai peut-être progressé ou régressé [rires].
Focus, de Vérino, du 1er au 4 juin 2023 au Théâtre Bobino et en tournée dans toute la France.