À l’occasion de la sortie au cinéma de Flo, L’Éclaireur a rencontré, à Cannes, l’équipe du biopic sur la navigatrice Florence Arthaud. Entretien.
Flo, le biopic sur Florence Arthaud, a été présenté au Cinéma de la Plage durant le Festival de Cannes. À l’occasion de cette avant-première mondiale, L’Éclaireur a pu s’entretenir avec sa réalisatrice, Géraldine Danon, et son actrice principale, Stéphane Caillard. Les deux artistes ne nous ont pas donné rendez-vous dans une chambre d’hôtel luxueuse, comme le voudrait l’usage cannois, mais sur le bateau de Florence Arthaud avec lequel la sportive a gagné la Route du Rhum en 1990.
Naissance du projet, casting, mais aussi l’icône féministe qu’était Florence Arthaud ; Géraldine Danon et Stéphane Caillard sont revenues sur le film attendu ce 1er novembre dans les salles obscures françaises. Rencontre.
Comment le projet est-il né ?
Géraldine Danon : Quand Florence était encore là, elle avait deux projets qui lui tenaient particulièrement à cœur. Le premier, c’était l’Odyssée des femmes, une régate avec des femmes du monde entier. Elle voulait partager à travers cela son amour pour la voile ; c’était essentiel que ce soit des femmes. Tout le bonheur qu’elle avait eu en mer, elle voulait le partager avec elles.
Son second projet était de faire un biopic sur sa vie. Elle y tenait tout particulièrement, elle m’en avait parlé, mais elle est partie subitement avec cet accident. Je n’y ai plus pensé, car j’étais sous le choc. Puis, j’ai lu le livre de Yann Queffélec (La Mer et au-delà, 2020), et j’ai retrouvé le parfum de Florence Arthaud. Cette aura, je l’ai retrouvée intacte et je me suis dit qu’il fallait absolument faire un livre sur sa vie. Je me suis donc remise à écrire le scénario, librement inspiré du livre de Yann. Ensuite, il a travaillé avec moi sur le script.
Pourquoi voulait-elle faire un biopic sur sa vie ?
G.D. : Je crois que quelqu’un avait lu l’un de ses livres, Un vent de Liberté (2010), et lui avait dit qu’il fallait faire un film sur sa vie ; ça lui plaisait. Je pense qu’elle voulait aussi le faire, car c’est une femme qui doit servir de modèle à toutes les autres pour toutes les raisons qui sont expliquées dans le film : c’était une femme libre, qui s’est toujours battue pour la cause féminine, sans le revendiquer. Elle s’est toujours battue pour cette cause à travers ses actes.
Stéphane, qu’est-ce qui vous a intéressé dans le projet et dans le challenge d’incarner une personne qui a réellement existé ?
Stéphane Caillard : Ce n’est pas tant qu’elle ait existé, mais ça avait un lien avec le fait que sa vie était romanesque et drôlement cinématographique. C’est un terrain de jeu assez dense. Le fait qu’elle ait existé, le fait que ça soit quelqu’un qui soit cher à la réalisatrice avec qui j’ai travaillé, ça comptait, bien évidemment, mais le scénario qui a été livré révélait surtout l’écriture d’un très beau personnage.
Comment vous êtes-vous préparée ? Je pense notamment à la maîtrise de sa voix et son évolution.
G.D. : C’est vrai qu’il y a eu un vrai travail sur la voix, elle n’a pas du tout la même quand elle est jeune, puis plus âgée.
S.C : Je l’ai beaucoup écoutée, en plus elle est très agréable. Puis, de la même manière, j’ai lu les livres qu’elle avait écrits. J’ai vu beaucoup d’interviews, mais j’ai surtout aimé l’entendre. Elle a fait beaucoup de radio et de podcasts sur sa vie qui sont très intéressants et dans lesquels on se laisse porter assez agréablement. Le but, c’était de trouver un équilibre entre s’approcher le plus du personnage, sans être dans quelque chose de très didactique, ni dans un biopic trop pédagogique. C’était s’y intéresser le plus, pour s’en emparer sans égratignure.
G.D : Le scénario était déjà très parlant et j’ai essayé d’expliquer à Stéphane quelles étaient les couleurs qui me paraissaient essentielles. Comme c’est une actrice extraordinaire et qu’elle travaille beaucoup, ça n’a pas été trop difficile.
À l’origine, qu’est-ce que représente Florence Arthaud pour vous ?
G.D : La liberté, mais je dirais aussi le combat, car ça a toujours été une combattante. Elle s’est battue pour n’appartenir à aucune étiquette, pour aller au bout de ses rêves, pour les vivre pleinement. Je dirais aussi le mot ”femme”, car elle a vraiment fait avancer la condition féminine. Quand elle arrive de la Route du Rhum et qu’elle dit ”ce soir les femmes vont pouvoir relever la tête”, je crois que c’est une phrase qui la caractérise vraiment. Il y a aussi un autre mot qui me vient en tête, c’est ”extrême”. C’était quelqu’un de très extrême. On ne peut pas inopinément aller braver les océans comme elle l’a fait, seule sur un bateau aussi difficile à manier. ”Générosité”, aussi. Quand elle était là, elle l’était vraiment.
S.C. : Elle pouvait représenter une icône. J’étais encore petite quand elle a fait la Route du Rhum, donc ça a été d’abord l’icône et après elle est devenue une figure de grande sportive ; ce dont on se rend compte quand on pratique un petit peu et qu’on s’y intéresse. Aujourd’hui, je garde la combativité d’une femme, mais aussi d’une très grande sportive.
Est-ce que Flo est un biopic féministe ou bien est-ce trop réducteur ?
G.D. : Je dirais plutôt un biopic féminin.
S.C : C’est un biopic féminin et un portrait de femme.
Pourquoi y a-t-il ce parti pris de montrer une facette plus sensible dans le scénario et la mise en scène ?
G.D : Parce qu’elle était extrêmement fragile et que j’ai tendance à penser qu’on ne peut pas être fort sans être fragile. Moi, je m’intéresse au paradoxe, et ça m’apparaissait important de montrer qu’on peut être combative, tout en étant une femme fleur bleue, amoureuse de la vie, amoureuse des hommes, extrêmement fragile. Ce parti pris, je dirais que c’est vraiment l’histoire du film. C’est aussi un premier film donc j’y cherche forcément des résonances, et je crois que plus on est fort, et plus on affiche une certaine force, plus on est fragile. En tout cas, si ce n’est pas le cas, ça ne m’intéresse pas.
Comment avez-vous composé votre casting ?
G.D. : Je trouve qu’il est assez éclectique. D’abord, tout tourne autour de Florence et de son personnage. Ma difficulté était de trouver l’actrice pour interpréter ce rôle, donc quand j’ai vu Stéphane arriver, j’étais très soulagée. Ça me met la chair de poule quand je vous le dis. On ne pouvait pas rêver meilleure interprète. Et ça, c’était vraiment le nerf de la guerre, si je puis dire.
Après, autour d’elle, j’ai essayé de faire en sorte que le casting soit suffisamment éclectique pour que d’emblée, de par les personnages, chaque rapport soit vraiment très différent ; que ça soit son rapport avec son frère, avec sa copine, ou avec les hommes qui sont tous très différents, en particulier Parisis, interprété par Samuel Jouy, le premier homme à avoir fait découvrir la mer et avec qui elle a traversé l’Atlantique ; et Alexis Michalik, qui joue Olivier de Kersauson, et qui était l’amour de sa vie, son grand amour.
Ils sont tous très différents et du coup, ça donne une teinte dans leur rapport qui est vraiment radicalement différent, encore une fois. C’était ce que je voulais : qu’elle ait vraiment un rapport affectif avec chaque personnage, une couleur différente.
Cela impliquait donc d’aller chercher des acteurs qui venaient aussi d’horizons différents.
G.D. : Alexis Michalik vient plus du théâtre et Alison Wheeler de la télévision. Elle a un tempérament comique qui m’intéressait pour son personnage. Samuel Jouy est extraordinaire en Parisis, parce que c’est vraiment la brute de décoffrage, et il lui apporte toute sa douceur, sa tendresse et sa sensibilité. C’est encore une fois un paradoxe assez intéressant entre cet homme qui est assez rude et cette fragilité qu’on soupçonne derrière cette rudesse.
Comment en tant qu’actrice principale on travaille cette dynamique avec toute cette panoplie d’acteurs si différente ?
S.C : Je ne saurais pas le dire. Il y avait des rapports forcément très distincts les uns avec les autres. On s’est très peu vus en groupe en fait, parce qu’ils apparaissent et disparaissent dans la vie du personnage. J’ai eu par moments l’impression que le film se construisait comme une course en solitaire et que parallèlement, j’étais rejoint par de grands équipiers, qu’on faisait un petit bout de chemin ensemble, et qu’après, ils me laissaient repartir vers une autre étape.
G. D : C’est une très belle image, c’est exactement cela. C’est la traversée en solitaire de Florence Arthaud/Stéphane Caillard. Il y a des personnages qui viennent croiser son destin, des marins qui embarquent dans sa vie.
S.C : C’est un peu la sensation que j’avais. Puis, c’est surtout un groupe d’acteurs qui a été au service du film. C’était très agréable parce qu’ils racontent tous aussi une facette du personnage principal et ils se sont tous attachés à aller dans ce sens-là. Ils y contribuent et le film a toujours été ce qui prévalait. Tout le monde était à son service et à celui des personnages.
Il y a aussi un autre acteur important dans le film, c’est la musique. Comment expliquez-vous ce choix de mettre en valeur cette bande originale, de montrer Florence en train de danser et de chanter ?
G.D. : Parce qu’avant tout Florence était, comme je le disais, une amoureuse de la vie. C’est vraiment la joie qui la définit. J’aurais pu le dire dans les mots clés qui la définissent. Elle était toujours de bonne humeur, elle n’affichait pas une fragilité. Elle était vraiment particulièrement lumineuse et joyeuse. La musique et la danse avaient une place très importante. Je trouve que quand elle marchait, et Stéphane a vraiment adopté ses attitudes, ses postures de corps, elle avait quelque chose d’assez chaloupé ; sans doute aussi le fait de passer beaucoup de temps en mer.
Que pensez-vous du fait qu’il y ait de plus en plus de biopics dans le paysage cinématographique aujourd’hui ?
G. D. : Je ne saurais pas vous répondre, mais ce que je peux vous dire, c’est que je me suis toujours intéressée, même en littérature, aux biographies. Même dans la peinture, j’adore les autoportraits. C’était une amie, il se trouve que je la connaissais bien, mais quand on a des personnages aussi charismatiques, forcément, les cinéastes sont inspirés par leur vie.
Qu’est-ce que cela vous fait de présenter le film à Cannes ?
G.D. : On est très honorés d’être ici. C’est un grand honneur. Cannes, c’est le plus grand festival du monde. C’est la plus belle des récompenses quand on a travaillé comme on l’a fait avec tout notre cœur, d’être ici et en plus de pouvoir partager ce film avec le public.
Quelle est la Palme d’or qui vous a le plus marqué ?
S.C. : Ce qui m’a surtout marqué à Cannes, ce n’est pas une Palme d’or, mais le prix d’interprétation pour Björk et Dancer in the Dark (2000).
G.D. : Je dirais Emir Kusturica.
S.C : Je pense quand même aussi à la Palme de Quentin Tarantino !
Flo de Géraldine Danon avec Stéphane Caillard, Alexis Michalik, Samuel Jouy, Alison Wheeler et Pierre Deladonchamps, en salle le 29 novembre 2023.