Décryptage

Pourquoi les Français tirent-ils aussi bien leur épingle du jeu… vidéo ?

29 mars 2023
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“A plague Tale Requiem”.
“A plague Tale Requiem”. ©Focus Entertainment

Ces derniers mois ont été marqués par de jolis succès critiques et commerciaux pour les jeux français. Une réussite aux racines profondes.

Impossible d’être passé à côté, les jeux français sont partout ces derniers temps. Durant la récente cérémonie des Pégases, le pendant hexagonal des Game Awards américains, ils se sont imposés dans de nombreuses catégories. Les plus récents se nomment Stray, ce jeu exclusif à la PlayStation 5 où l’on incarne un chat, A Plague Tale Requiem, formidable titre d’aventure action dans une France soumise à l’inquisition et envahie par les rats, ou encore Sifu, jeu de combat dont le gameplay est un régal de chaque instant pour les fans du genre. Plus fort encore, le bien nommé studio Fortiche a décroché l’an dernier un Emmy Award pour sa série d’animation Arcane, inspirée de League of Legends. Mais comment expliquer un tel engouement pour les productions Made in France ?

Des racines profondes

Lorsque l’on évoque les pionniers du jeu vidéo français, trois noms reviennent systématiquement : Éric Chahi (Another World en 1991), Paul Cuisset (Flashback en 1992) et Frédérick Raynal (Alone in the Dark en 1992). Trois génies qui ont créé des titres forts, souvent révolutionnaires, devenus les modèles de tant d’autres jeux cultes par la suite, de toutes origines. Outre leur aspect technologique exceptionnel pour leurs époques respectives, ces titres s’appuyaient aussi sur des histoires, des mécaniques et une direction artistique uniques.

Cependant, on oublie généralement des noms tout aussi essentiels, tels que Rémi Herbulot, un pionnier de la « préhistoire » vidéoludique, l’époque des micro-ordinateurs. Il a développé sur Amstrad quelques-uns des premiers jeux à trouver grâce en dehors de nos frontières. Du flipper Macadam Bumper au jeu d’action-aventure Crafon & Xunk, il a sans doute contribué à donner aux productions de chez nous l’étiquette « french touch » à l’étranger.

C’est quoi la “french touch” ?

Sous cette appellation, les journalistes ou éditeurs étrangers reconnaissaient dans les jeux français des inspirations aux différences très marquées des autres productions. Les aspects scénaristiques et artistiques, notamment, provoquaient souvent l’étonnement et l’admiration.

Mais, au fil des années, ce surnom s’est aussi vu accoler une critique récurrente, celle de jeux certes beaux et intéressant sur leur concept, mais pas forcément bien finis ou exempt de défauts. L’époque qui symbolise le mieux ce travers se retrouve dans d’anciens noms aujourd’hui disparus, tels que Cryo, Exxos, Kalisto et tant d’autres studios empêtrés dans ces envies artistiques qui prenaient trop fréquemment le pas sur le ludique.

Des sociétés mythiques

Lorsque les frères Guillemot se lancent dans le jeu vidéo, dans les années 1980, c’est avant tout pour en faire l’importation, les fournisseurs français de matériel et de software étant plus chers que les Anglais, notamment. Leur expérience grandissante leur donne envie de créer leurs propres titres avec leur société Ubisoft, fondée en 1986. Parmi eux, le fameux Zombi, librement adapté des films de genre.

Au fil de sa croissance, Ubisoft donne naissance à Rayman (de Michel Ancel), rachète des studios américains pour acquérir des licences porteuses à l’étranger (Tom Clancy’s Splinter Cell, Rainbow Six ou Ghost Recon), tout en continuant de lancer ses propres franchises, dont un certain Assassin’s Creed… on connaît le succès qui contribuera à leur empire actuel.

À l’inverse, la société Infogrames a connu une belle ascension depuis le milieu des années 1980 jusqu’aux années 2000, avec des titres marquants tels qu’Alone in the Dark, ou encore V-Rally. Mais sa soif de rachats, une dette grandissante et de mauvaises orientations éditoriales conduiront la marque au tatou – pourtant choisi comme symbole pour sa capacité d’adaptation – à la liquidation, sous son nouveau nom d’Atari SA en 2013.

Diaspora et rencontres

En dépit des difficultés traversées durant la mutation du jeu vidéo vers de grosses productions, les talents français continuent de trouver leur place, mais de façon souvent d’abord plus discrète, dans des structures étrangères. Impossible d’oublier Christophe Balestra, d’abord simple programmeur parti rejoindre Naughty Dog aux États-Unis avant d’en devenir le président, non sans avoir créé la saga Uncharted. Chez les plus grands noms du développement, de Blizzard à Rockstar en passant par Santa Monica Studios (God of War), on retrouve nos frenchies à divers stades de la production. La qualité de la formation française en est en partie responsable, mais aussi, toujours, cette manière de créer bien de chez nous.

Parfois, ce sont aussi des rencontres qui forment des dynamiques formidables. Le studio Arkane, derrière le succès récent de Deathloop (2021), a été fondé entre autres par Raphaël Colantonio, en 1999. Son premier jeu, Arx Fatalis (2002) rencontre un vif succès critique. Mais, par la suite, Arkane est contraint de jouer les seconds rôles dans de plus gros développements, afin d’assurer sa survie financière. C’est grâce à la rencontre entre Colantonio et Harvey Smith (Deux Ex, Thief Deadly Shadow), devenus complices, que les idées du duo vont former leur premier succès moderne : Dishonored.

Un présent tonitruant

Aujourd’hui, si l’on évoque de moins en moins le terme de french touch, les productions françaises n’en sont pas moins omniprésentes. Dans le cas de l’éditeur Ubisoft, bien sûr, tout n’est pas produit à 100 % en France, puisque le géant détient des studios un peu partout dans le monde. Mais les derniers succès tels que Just Dance 2023 ou Assassin’s Creed Valhallah ont bien de l’ADN français en eux. De plus, les studios jadis plus modestes dans leurs ambitions ont réussi à s’imposer dans des domaines parfaits pour leur épanouissement.

On pense notamment à l’éditeur Dotemu, responsable de Windjammers 2, suite d’un titre sorti à l’époque sur l’antique Neo-Geo, ou plus récemment de Teenage Mutant Ninja Turtles: Shredder’s Revenge, vibrant hommage aux jeux d’arcade basés sur les célèbres tortues. Autre spécialisation intéressante, celle de Microids, éditeur français passé maître en adaptation de licences liées à l’univers de la BD et désormais de l’animation. Astérix & Obélix XXXL, ou les prochains Tintin Reporter – Les Cigares du Pharaon et Goldorak – Le Festin des loups en sont les ambassadeurs.

Une efficacité redoutable

Parmi les succès tout récents, Stray, Sifu, A Plague Tale Requiem ou encore Steel Rising n’ont pas tous le même profil. Et c’est sans doute une force du jeu français, puisque toutes les tailles de studios s’y retrouvent, du plus petit indépendant aux grosses machines capables de lancer un « AAA », un blockbuster en somme. Et la différence majeure avec l’époque de la french touch réside dans la capacité de ces développeurs à faire mouche rapidement, même avec une première tentative, et ce, sur tous les aspects de leurs productions.

Impossible, enfin, de ne pas évoquer l’histoire étonnante de Dead Cells (2018), le rogue-like des Bordelais de Motion Twin à l’immense succès, inspiré de jeux cultes tels que Metroid ou Castlevania. Le jeu vient d’accueillir début mars 2023 un contenu téléchargeable officiel de… Castlevania. Être adoubé de la sorte par un éditeur japonais aussi mythique que Konami, avec un tel nom accolé à leur production, prouve mieux que n’importe quel prix la reconnaissance acquise par les productions françaises.

Un futur radieux

Si le passé à montré que les changements du secteur avaient parfois remis en question certains modèles économiques ou créatifs, aujourd’hui les studios et éditeurs semblent bien mieux armés pour affronter ces écueils. Surtout, les projets en cours chez les acteurs majeurs du jeu vidéo hexagonal sont souvent monstrueusement ambitieux ou attendus.

Chez Ubisoft, on pense notamment à Beyond Good & Evil 2, qui, malgré ses allures d’arlésienne, pourrait créer la surprise à sa sortie. Assassin’s Creed Mirage quant à lui démontrera dès 2023 un changement dans la proposition faite autour des mondes ouverts, plus limitée mais mieux maîtrisée. Un passage sans doute obligé après des années placés sous le signe de la démesure.

Arkane Studios devrait une fois encore créer l’événement avec son prochain RedFall, prévu pour le mois de mai.

Enfin, et surtout, aurait-on envie de dire, la cerise sur le gâteau viendra dans quelques années d’un des plus gros studios français, lui aussi pionnier dans nombre de technologies depuis sa création : Quantic Dream. Après Heavy Rain, Detroit Become Human et tant d’autres succès, le géant s’attaque à la licence la plus culte de la pop culture avec son Star Wars Eclipse. La preuve que nos frenchies visent les étoiles !

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