Cinq ans après son dernier long-métrage Du soleil dans mes yeux (2018), Nicolas Giraud est de retour ce mercredi 15 février avec L’Astronaute. Pour l’occasion, le cinéaste est également passé devant la caméra et a donné la réplique à Mathieu Kassovitz. Un projet cinématographique aussi rêveur que réaliste, mais surtout passionnant, sur lequel les deux artistes sont revenus auprès de L’Éclaireur.
Ce 15 février, il n’y a pas que le nouveau volet d’Ant-Man qui promet de vous faire voyager depuis votre fauteuil de cinéma. C’est aussi le cas de L’Astronaute, porté devant comme derrière la caméra par Nicolas Giraud. Dans son long-métrage, il incarne Jim, un ingénieur en aéronautique chez ArianeGroup, qui se consacre depuis des années à un projet secret : construire sa propre fusée et accomplir le premier vol spatial habité en amateur. Mais, pour réaliser son rêve, il va devoir apprendre à le partager, notamment avec Alexandre, un ancien spationaute incarné par Mathieu Kassovitz.
Après une première expérience dans les films de sous-marin avec Le Chant du Loup (2019), l’acteur et cinéaste à qui l’on doit La Haine (1995) s’essaie au long-métrage de fusée. Cependant, cantonner L’Astronaute à un film français sur l’espace serait trop réducteur. C’est d’ailleurs sur l’ADN du long-métrage qu’a débattu le duo d’artistes auprès de L’Éclaireur, tout en revenant plus globalement sur les origines du projet, son tournage et ses personnages.
Comment l’histoire de L’Astronaute est-elle née ?
Nicolas Giraud : L’Astronaute me vient de ma passion pour le cinéma. Évidemment que l’espace me fait rêver, mais ma vraie passion, c’est le cinéma et la salle de cinéma : tout ce qu’elle permet et promet. À travers cette histoire, je me suis dit que j’avais tous les outils du grand écran, le cinémascope, le sound design afin de pousser au plus loin la direction artistique et utiliser les outils qui sont propres à l’expérience en salles.
Et vous Mathieu, qu’est-ce qui vous a attiré dans ce projet ?
Mathieu Kassovitz : Je suis passionné d’espace, donc j’ai sauté sur l’occasion de pouvoir devenir un astronaute sur grand écran ! J’ai eu la chance de fréquenter beaucoup d’astronautes, et de rencontrer l’ingénieur et astronaute Jean-François Clervoy, il y a 20 ans. J’ai aussi travaillé sur un projet qui m’a permis de découvrir tout cet univers-là d’un point de vue scientifique. Donc, quand Nicolas m’a proposé L’Astronaute, j’ai sauté sur l’occasion, car le cinéma est une porte ouverte sur les mondes auxquels on n’a pas forcément accès dans la vie de tous les jours. Pouvoir se permettre de faire semblant d’aller dans l’espace, c’était une chance.
Pourtant, L’Astronaute fait le choix de l’hyper-réalisme, pourquoi ?
N. G. : Mon premier souhait est de faire un film crédible, de me rapprocher d’un astronaute. C’est pour cette raison que j’ai travaillé avec Jean-François Clervoy, qui est allé trois fois dans l’espace. Par ailleurs, si ArianeGroup ne nous avait pas rejoints, le film n’aurait pas tenu debout. Nous n’aurions jamais eu les moyens d’être réalistes, d’avoir les sites d’essai et de pouvoir piquer les pièces pour que le film tienne correctement en équilibre. Les acteurs et les actrices pour qui j’ai écrit, je les entends, je connais leur corps. J’aime beaucoup la sonorité et j’ai écrit pour toutes celles et ceux que vous voyez, à l’exception d’Ayumi Roux. Je cherchais une actrice soit japonaise, soit franco-japonaise, qui accepterait d’avoir les cheveux rasés. Je voulais une femme avec les cheveux très courts.
M. K. : Pourquoi cette obsession des cheveux courts, d’ailleurs ?
N. G. : Parce que je trouve Sinéad O’ Connor magnifique et je l’avais en tête au moment de l’écriture. Son regard m’a toujours marqué et elle portait cette féminité encore plus haute. Je voulais une femme qui guide Jim.
Il y a quelque chose qui nous marque quand on regarde le film, c’est son côté intime et pudique, malgré la thématique grandiose du voyage spatial. Peut-on définir L’Astronaute comme un film d’espace à la française ?
N. G. : Définir m’ennuie. Je sais que Mathieu me chambre quand je le dis, mais quand on définit, on réduit et je n’ai pas envie de réduire L’Astronaute ou de le nommer. Je laisse chacun le penser comme il le souhaite et mettre les mots qu’il a envie de mettre, mais ce seront les siens. Je n’ai pas envie de le définir, j’ai envie de l’ouvrir.
M. K. : Mais, sans définir le film, ce n’est pas un film d’espace français, c’est un film fondamentalement français. Non seulement il a été fait en France, mais il y a aussi ce qui est dit, ce qui est montré, les gens qu’il représente, la façon de faire, le pourquoi du comment, la transgression des règles, avec le côté “impossible n’est pas Français”. On peut vraiment imaginer ce que pourrait être le remake américain : la même chose dans une ferme plus grande, avec une fusée plus grande, avec plus de personnages. Là, c’est vraiment quelque chose de plausible. Quand tu vois le groupe créé et que tu les mets sur l’affiche, tu les regardes, tu te dis effectivement que c’est un groupe de Français [rires].
N. G. : Ça me plaît, et je l’entends, car je n’avais pas les moyens de jouer à l’Américain et je ne voulais pas jouer à l’Américain.
M. K. : Mais pourquoi nommer ton personnage principal Jim ? C’est parce que ton père avait des rêves d’américanisme, non ?
N. G. : Pourquoi je t’appelle Ribot ? Je n’en sais rien finalement. Je ne sais pas, c’est ça que j’aime, car plus j’ignore, plus je donne de l’importance. Peu importe, si on ne comprend pas cette phrase, moi je la comprends. Je pense qu’une des manières possibles de définir le film, et c’est Mathieu qui l’a dit en interview, c’est que ce n’est pas un film de science-fiction, c’est un film de fiction-scientifique. J’ai adoré quand il a dit ça !
M. K. : Finalement, pour moi, ce n’est pas un film à la française, c’est un film français sur l’espace, mais à l’américaine. Il y a le plaisir du spectateur en avant, ça reste une aventure. Ça ne s’arrête pas avant la fin et ça va jusqu’au bout. Ce n’est pas juste une idée qui s’arrête parce qu’on n’ose pas aller plus loin, car souvent en tant que cinéaste français on se réduit à ce qu’on sait faire en France, à ce qu’on imagine pour les spectateurs français.
On sent aussi cette volonté de mélanger les genres. Si ce n’est pas simplement un film d’espace, peut-on alors qualifier le long-métrage de buddy movie ou de feel good movie, étant donné l’alliance des personnages face à cette cause commune ?
M. K. : Oui, totalement et ce n’est pas du tout réducteur de dire cela. J’ajouterai que c’est même un film qui pourrait avoir été fait dans la grande tradition des Walt Disney, par rapport au respect des choses, dans ce qu’il y a de bien dans l’humanité.
N. G. : Avant d’être réalisateurs et acteurs, nous sommes spectateurs, donc évidemment je m’inspire de plusieurs genres pour un seul film. Par exemple, j’aime autant Godland (2022), le film islandais, que Les Gardiens de la galaxie (2014). Je prends le meilleur de tout cela. Surtout, je fais le film que j’ai envie de partager.
Revenons sur les personnages, comment avez-vous composé ce casting ?
N. G. : En tant que réalisateur, je vais vers les talents qui m’inspirent. Évidemment, je connaissais le travail de Mathieu en tant que metteur en scène, quand je vois Les Rivières pourpres (2000)… Bien sûr, je pense aussi à La Haine, mais là je pense aux Rivières Pourpres, la contre-plongée, le cinéma, le volume, la direction artistique… Tout le monde ne filme pas comme Mathieu, et personne ne va filmer une fusée comme moi.
Je vais auprès de celles et ceux auxquels je suis sensible. J’aime comme il incarne le personnage d’Alexandre, de la même manière chez Hélène Vincent, chez Bruno Lochet, chez Hippolyte Girardot, ou Ayumi Roux. Je rêvais de ce groupe. Il y a la grand-mère, incarnée par Helène Vincent, Bruno Lochet avec ses cheveux longs que j’aimais coiffer moi-même pendant le tournage. Je voulais cette jeune femme qui guide Jim. Je vais vers les talents qui vont me permettre d’organiser ma vision du cinéma et c’est pour ça que L’Astronaute a une certaine tenue artistique.
Vos personnages respectifs, ceux de Jim et d’Alexandre, vous ressemblent-ils ?
N. G. : On me dit souvent que Jim est mon jumeau. Certes, je partage des caractéristiques, mais je me sens vivre dans le personnage d’Alexandre, dans le personnage de la grand-mère, dans le lac, et dans les petites fleurs gelées.
M. K. : Si j’avais été un astronaute, je pense que j’aurais été comme Alexandre, finalement. C’est sûr que j’aurais terminé dans une ferme à ne plus vouloir parler à personne. Si tu as accès à l’espace, il faut avoir l’énergie de Jean-François Clervoy. Je veux dire qu’il a une énergie très spécifique qui fait qu’il a besoin de communiquer ce qu’il a vécu, mais il y a aussi beaucoup d’astronautes qui se sont renfermés sur eux-mêmes après leur mission, car ils se sont rendu compte de la petitesse de pensée générale comparée à ce qu’ils ont vu et à la révélation.
Je ne pense pas, quand on est sorti, qu’on a vu le globe depuis l’ISS, que l’on puisse revenir sur Terre de la même façon. Ce que j’ai reconnu dans le personnage, c’est ce dont j’ai rêvé à travers les rencontres que j’ai faites avec ces personnes pendant 20 ans. J’en ai tellement rêvé que je n’avais même plus besoin d’y aller à une époque, parce que j’ai vécu tout cela de l’intérieur et j’ai pensé que si j’y allais ça serait quelque chose de fou, mais c’est un autre rêve. Rentrer dans le rôle d’Alexandre m’a permis de toucher d’un peu plus près ce genre de choses. Et puis, faire croire à des gens dans la rue que je suis réellement allé dans l’espace, c’est assez amusant. Ils pensent que je suis un vrai espion !
Pour finir, est-ce que vous avez un souvenir de tournage à nous partager ?
M. K. : Quand tu compares ce que tu vois au combo et ton expérience sur le tournage, quand tu arrives sur le décor, et tu te retrouves dans une ferme, c’est assez impressionnant. Tu as cet objet, la fusée, qui est un vrai faux objet, tu es forcément curieux. C’est ça que Nicolas a voulu filmer. Quand je vois cet objet métallique au milieu de cette ferme et le chef opérateur qui l’éclaire, le scope, je réalise ce qui se passe autour de moi. Tu es dans une ferme avec trois acteurs que tu n’associes pas du tout à la science-fiction, tu es devant un accessoire de cinéma, et pourtant tu te dis que ça sent le cinéma. Il n’a pas mis le niveau de son cinéma au niveau du réalisme. Ce qui est raconté est scientifiquement possible, mais la façon dont il le réalise a une licence poétique. C’est du cinéma qui est ancré dans le sol.
N. G. : Cela représente bien le projet, d’ailleurs. Les pieds sur terre et la tête dans les étoiles à travers une vraie technologie et un sens du travail qui impose beaucoup de choses, la solitude, le non-concours des autres. Je me souviens très bien du premier jour de tournage. Je ne voulais pas que Mathieu voie la grange et la fusée. Je voulais me débrouiller pour capter son émotion. Alors on commence, je laisse la caméra à l’extérieur et je ne vais même pas près des acteurs. Il me regarde – c’est quand même un animal, Mathieu, il en impose –, puis il me demande : “Tu ne vas pas faire un champ contre champ ?” Je lui dis que non, et il me répond : “Ok, tu es le Ridley Scott des campagnes” [rires].
L’Astronaute, de Nicolas Giraud, avec Mathieu Kassovitz, Nicolas Giraud, Bruno Lochet, Hélène Vincent, Ayumi Roux, 1h50. En salle le 15 février.