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Chefs 2.0 : comment les technologies font évoluer le milieu de la gastronomie

28 janvier 2023
Par Marion Piasecki
Chefs 2.0 : comment les technologies font évoluer le milieu de la gastronomie
©Prostock-studio/Shutterstock

Le SIRHA, salon incontournable des professionnel·le·s de la restauration, s’est déroulé du 19 au 23 janvier à Lyon. L’occasion de décrypter certaines tendances, comme l’utilisation des technologies.

Entre l’invention de robots de plus en plus sophistiqués et l’utilisation grandissante des réseaux sociaux, il est évident que le monde de la gastronomie se rapproche de celui des technologies. De quoi se poser la question de leur place dans la carrière des chef·fe·s : assistants très pratiques ou distractions qui font perdre de vue l’essentiel ?

Quelle place pour le geste de l’artisan face à la robotisation ?

Comme dans beaucoup d’autres milieux, les métiers de la gastronomie sont confrontés à la question de leur remplacement par des robots. À une nuance près que les robots qui peuvent pétrir, hacher, mixer ou fouetter existent depuis plusieurs décennies pour assister amateur·rice·s et professionnel·le·s de la cuisine. Ce n’est donc pas un changement aussi brutal que celui auquel les artistes font actuellement face avec les IA génératives, par exemple. Lors d’une table ronde nommée « Le futur du geste, les gestes du futur », le chef Thierry Marx et Raphaël Haumont, chercheur en chimie au Centre français d’innovation culinaire (CFIC), ont donc cherché à répondre à la question de la place de la robotisation en cuisine.

« S’il y a 5 000 repas à faire, est-ce que je vais prendre le risque d’avoir une tendinite parce que j’ai 5 000 carottes à couper ? Ce sont des métiers de station debout avec des maladies musculo-squelettiques, donc il faut aussi économiser le geste. »

Thierry Marx
Chef cuisinier

Raphaël Haumont a donné l’exemple d’un projet de cobot (robot collaboratif) qui apprend à couper des aliments correctement en analysant des gestes de chefs grâce à l’IA – pour l’angle du couteau par exemple – et à un texturomètre. Cependant, il affirme que « la machine doit être éduquée, sinon ça ne reste qu’un logiciel qui n’a aucun sens ». Il est donc essentiel que les chef·fe·s continuent d’apprendre et de transmettre ces compétences. Quand vient la question des gestes qui feraient mieux d’être réalisés par des robots, il s’agit avant tout des tâches pénibles physiquement : « S’il y a 5 000 repas à faire, est-ce que je vais prendre le risque d’avoir une tendinite parce que j’ai 5 000 carottes à couper ?, demande Thierry Marx. Ce sont des métiers de station debout avec des maladies musculo-squelettiques, donc il faut aussi économiser le geste. »

Certains robots peuvent également obtenir des résultats impossibles pour des humains, comme les imprimantes 3D alimentaires qui peuvent créer des biscuits aux formes géométriques complexes. Les chef·e·s n’ont pas réellement peur d’être remplacés par des robots, tant elles et ils sont maintenant médiatisés et leur maîtrise du geste fascine. Au SIRHA, il y avait ainsi beaucoup plus de public devant le championnat européen de sculpture en sucre (ou sucre d’art) que devant les nombreuses machines présentées lors du salon.

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Les chef·fe·s, nouvelles stars des réseaux sociaux

L’admiration du geste de l’artisan·e se fait aussi sur les réseaux sociaux, que ce soit les pochages de crème si satisfaisants de régularité de Cédric Grolet ou les impressionnantes sculptures en chocolat d’Amaury Guichon, deux chefs pâtissiers suivis par plusieurs millions de personnes sur Instagram. La médiatisation des chef·fe·s n’est pas un phénomène nouveau, puisque les émissions de cuisine existent depuis les années 1950 en France. Cependant, les réseaux sociaux l’ont exacerbée au point de transformer de manière radicale la carrière de certain·e·s chef·fe·s et les ambitions de la nouvelle génération. Emmanuel Rubin, journaliste au Figaro, et Valentin Joiff, fondateur de l’agence Food & Talent, ont décrypté cette tendance lors de la table ronde « L’image, accélérateur de carrière ».

Ils opposent la figure du chef classique, affublé de sa veste et sa toque blanche, qui fuyait les caméras, aux dernières générations qui cultivent un look de rebelle tatoué·e, se battent pour participer à Top Chef et multiplient les vidéos sur Instagram et TikTok. Avec les restaurants éphémères, résidences, partenariats avec des marques et autres publications sur les réseaux sociaux, les deux intervenants craignent que certain·e·s chef·fe·s se concentrent trop sur leur image et pas assez sur la cuisine, au point de ne plus passer de temps dans leur restaurant.

« Le “faire-savoir” risque de l’emporter sur le savoir-faire », estime Emmanuel Rubin. Opinion partagée par Valentin Joiff, qui considère que les réseaux sociaux sont plus des accélérateurs de notoriété que de carrière : « On peut devenir soudainement beaucoup plus connu et avoir une carrière qui stagne. » En effet, il existe souvent un décalage entre les personnes qui aiment leurs publications sur les réseaux sociaux et celles qui ont les moyens de manger dans leur restaurant, décalage qui est souvent source de désillusions.

Diego Alary, après un parcours remarqué dans Top Chef, est désormais le chef cuisinier le plus suivi au monde sur TikTok avec près de 3 millions d’abonné·e·s.

Autre problème, ces chef·fe·s stars peuvent également donner une vision faussée de la profession aux jeunes : « Le risque, c’est qu’il y ait beaucoup d’appelés et peu d’élus. Quand un jeune fantasme Mory Sacko ou Jean Imbert, c’est un peu comme l’apprenti footballeur qui rêve d’être Mbappé. Il a peu de chance d’y arriver, explique Emmanuel Rubin. Historiquement, ce qu’il y avait de formidable dans ce métier, c’est qu’il y avait mille façons et opportunités de rentrer dans la carrière, de se faire un nom et un parcours sans avoir ce besoin d’ego et de notoriété. » Pour éviter tous ces écarts, il propose que les écoles d’hôtellerie-restauration donnent des cours de communication, ajoutant que les étudiant·e·s sont probablement déjà en demande de ce type d’enseignement tant cet aspect est désormais crucial.

Pour eux, le meilleur contre-exemple en terme de médiatisation est Cyril Lignac : bien qu’il soit omniprésent, il a toujours gardé la même équipe autour de lui pour prendre le temps de se construire une carrière cohérente et équilibrée sur le long-terme, entre ses restaurants, livres de recettes, émissions de télé et – bien sûr – réseaux sociaux. De quoi avoir une image accessible et sincère auprès des Français·es… sans leur donner une indigestion.

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Article rédigé par
Marion Piasecki
Marion Piasecki
Journaliste