Le biopic, à lui tout seul, concentre de multiples réflexions intrinsèques au cinéma et à son rapport au réel. En effet, ce genre cinématographique vieux comme le septième art prolifère autant qu’il fait débat. Pourquoi attire-t-il toujours autant qu’il divise ?
Le biopic, contraction de « biographical motion picture », ne date pas d’hier. Un des premiers, Cléopâtre, a été réalisé en 1899 par Georges Méliès. Mais ces 15 dernières années, le biopic foisonne particulièrement. En France notamment, le mouvement a été lancé par l’incroyable succès de La Môme d’Olivier Dahan (2007). Avec le temps, le biopic semble s’éloigner de plus en plus de sa forme, à savoir la mise en lumière d’une enfance torturée doublée d’une fin tragique. Entre retranscription d’un environnement, époque redécouverte de l’histoire et valeurs éducatives, quel(s) constat(s) faire de ce genre polémique qui ne cesse de se chercher ?
Reflet ou révélation ?
Belen Vidal, dans son ouvrage The Biopic in Contemporary Film Culture, co-écrit avec Tom Brown, renvoie à la pensée d’Hermione Lee, une illustre biographe : « La biographie est en fait une quête de vies qui nous parlent. » L’autrice explique qu’il est vraiment important de capturer l’essence du caractère ou de la vie de la personne. Pour ainsi mieux comprendre pourquoi cela devrait nous importer, pourquoi ce film ferait de cette vie choisie une histoire fascinante, ici et maintenant.
L’attrait du public réside avant tout dans l’attente de voir un fantôme renaître, un·e idole se réincarner à l’écran. Le sujet du héros ou de l’héroïne présente de nombreux avantages en termes de public et, par conséquent, de marché. Le biopic rassure les producteurs : un personnage connu au préalable est plus facile à vendre, le scénario plus simple à écrire. Le choix de l’acteur·rice est alors déterminant, le succès allant souvent de pair avec le mimétisme de la personne « biographée ». C’est pourquoi un casting peut durer très longtemps : celui-ci nécessite l’adéquation parfaite entre l’acteur·rice et la star incarnée. Mais de la création d’une œuvre – biopic ou pas – découle inévitablement un point de vue. Le piège est didactique : tout le pari est de parvenir à doser les attentes d’un public aspirant autant à découvrir des vérités cachées qu’à vérifier ce qu’il connaît déjà.
Une vie, mille facettes
« Trop de biopics ne le sont pas, se limitant la plupart du temps à une période d’existence », a écrit Jean-Louis Coy en 2017 dans la revue Humanisme. Mettre une vie en sons et en images, le tout en un laps de temps limité, implique un risque : celui de la dénaturer. Très peu de biopics vont du berceau à la tombe, ce format n’étant en réalité pas adapté à la réalisation de films. Un des dangers de ce genre est donc celui de l’angle choisi par celui ou celle qui le met en scène, menant souvent aux raccourcis, voire aux omissions.
Certains réalisateurs prennent le parti pris de centrer le film sur un événement précis, comme dans Hitchcock de Sacha Gervasi (2012), qui présente parfaitement les années de préparation de Psychose. Un autre procédé fréquemment utilisé est celui de condenser différents moments de vie en une seule anecdote, contenant essentiellement le point que le créateur tient à faire valoir. Ou encore, celui de limiter l’ennui qui pourrait naître d’une simple retranscription en ajoutant des éléments plus fictionnels, à l’instar de la marionnette appelée « La Gueule » dans Gainsbourg (Vie héroïque) (2010), présente dans des séquences purement surréalistes.
De ce genre découle inévitablement une sélection de tranches de vie, parfois sciemment occultées. Il n’est pas rare non plus que des incohérences historiques soient pointées du doigt. C’est le cas par exemple dans Bohemian Rhapsody, biographie du groupe Queen et de son chanteur Freddie Mercury, qui ne se seraient pas séparés comme indiqué dans le film. Ou encore dans Blonde, dan lequel Andrew Dominik passe sous silence certains traumatismes d’enfance cruciaux de Marilyn Monroe.
Du moins, il les réduit à l’abandon et à la violence de ses parents. Pourtant, à 8 ans, dans la vraie vie, Marilyn a été violée par un homme de manière régulière. Dans son biopic, le réalisateur dépeint l’icône comme une femme belle et imbécile, croqueuse d’hommes, pleurnicharde. En racontant la déchéance d’une femme sans en expliquer la cause, en omettant certaines parcelles de vie essentielles, il brise toute l’objectivité sur les conséquences de celles-ci.
Des histoires de genres
En 120 ans d’Histoire du genre, presque 75 % des sujets de la production de biopics sont masculin. Pourtant, le genre du biopic participe bel et bien à la création d’une conscience collective. Lorsque l’on regarde l’histoire du genre, la disproportion est frappante. La sensation qu’il n’y a eu que des hommes scientifiques, des hommes politiques, des hommes créateurs ou entrepreneurs prend le dessus. Où sont les femmes ?
Dennis Bingham a théorisé le biopic en évoquant deux genres bien distincts : le biopic féminin et le biopic masculin. Il observe un double standard au niveau de la narration : la plupart du temps, les biopics féminins sont conçus comme de purs mélodrames, dans lesquels les émotions et les passions des femmes sont en conflit avec la société. Lorsqu’un biopic de femme débute, c’est souvent comme si la spirale tragique avait déjà commencé, comme si elle allait, de toutes façons, mal finir.
Les deux personnalités très similaires d’Édith Piaf et de Serge Gainsbourg sont de très bons exemples. Les deux interprètes avaient un talent indéniable, se sont perdu·e·s dans des addictions, avaient une passion dévorante pour le sexe opposé. Dans La Môme, Olivier Dahan fait du goût d’Édith Piaf pour les hommes une prison l’empêchant d’avancer créativement. De l’autre côté, dans Gainsbourg (Vie héroïque), Joann Sfar s’attarde sur les multiples succès de Gainsbarre, faisant l’éloge de ses conquêtes féminines, bien loin de représenter un comportement dévalorisant. La question de la dégradation physique est dédoublée dans une espèce de marionnette appelée « La Gueule », déjà citée plus haut.
En définitive, les réalisateur·rice·s de biopics gagneraient parfois à prendre davantage de liberté historiquement, en étant plus fidèles psychologiquement. Par le prisme de la biographie et du jeu de miroir, le spectateur peut non seulement apprendre d’une période de l’Histoire ou de la vie d’un individu, mais aussi de son propre rapport au passé ou au présent.