Séries françaises, adaptations littéraires, spin-off… On a profité du passage de Charlotte Sanson au Marseille Series Stories, en novembre 2022, pour l’interroger sur son métier et découvrir les coulisses de la création de séries.
Votre série Les 7 Vies de Léa a été un véritable phénomène sur Netflix. Quels sont les ingrédients pour faire un bon scénario qui embarque immédiatement le spectateur ?
Les 7 Vies de Léa est une adaptation du livre Les 7 Vies de Léo Belami. Dans les deux œuvres, le personnage principal fait des allers-retours entre deux temporalités. Léo/Léa est un·e lycéen·ne en 2020, mais il·elle se réveille chaque jour dans le corps d’un·e ado différent·e à la fin des années 1980. Le bouquin proposait un concept déjà très fort et appétissant pour Netflix. Voyage dans le temps, body swap… Il regroupait des univers que la plateforme développe déjà dans ses créations.
Dès le début de l’écriture, notre pool de scénaristes voulait pallier les manques du livre. En littérature, on peut prendre le temps, mais dans l’audiovisuel, il faut être efficace. On a donc dû rendre le premier épisode plus captivant. Par exemple, on a ajouté l’idée que Léa retrouve le corps du jeune homme disparu il y a 30 ans (contrairement à Léo qui subit juste la situation). Je voulais lier le destin de mes héros et héroïnes, avec l’idée de développer l’histoire sur plusieurs saisons – mais Netflix a décidé qu’il n’y en aurait qu’une.
Comment êtes-vous parvenue à vous réapproprier le livre pour faire de cette adaptation une création originale ?
L’auteur a cédé les droits en sachant qu’il ne participerait pas à l’écriture, donc on avait beaucoup de liberté. Netflix était très intéressé par le concept, mais ils savaient que le livre ne pouvait pas être adapté tel quel. De nombreuses scènes se déroulent dans la tête du héros, il passe beaucoup de temps en cours…
C’est très bien pour la littérature, mais une série a besoin d’action et de rebondissements. Notre enjeu, c’était de rendre l’héroïne active et de ne pas l’oublier, malgré le fait qu’elle change de corps tous les jours. On devait sentir sa présence, ses pensées et ses prises de décision.
Mon autre volonté, c’était de lier tous les personnages pour créer un maximum de possibilités. Je me suis intéressée aux personnalités détestables et j’ai modifié leur évolution pour créer des êtres plus complexes. J’ai aussi décidé de changer d’époque : dans le livre, l’intrigue se déroule dans les années 1980, tandis que la série se situe durant les nineties. Léo fait des allers-retours entre 2018 et 1998, et Léa entre 2021 et 1991. Cette temporalité me permettait de parler d’une période que je connaissais mieux, car je l’ai vécue.
Pourquoi avez-vous choisi le format sériel ? Celui du film ne vous intéressait pas ?
Quand j’ai lu le livre, je me suis dit qu’une adaptation en série était évidente. Les chapitres étaient découpés en sept jours, donc ça me semblait logique de partir sur sept épisodes. Pour un scénariste, le terrain de jeu offert par ce format est génial – contrairement aux unitaires d’une heure trente. Là, on peut vraiment rentrer dans le cœur des personnages et dans la tête de tous ceux et toutes celles que Léa visite. En tant que scénariste, la série est l’exercice que je préfère, car il me permet d’explorer des mondes entiers.
En tant que spectatrice, préférez-vous les adaptations qui retracent parfaitement les événements d’un livre, ou celles qui s’en inspirent librement et créent leur propre univers ?
Tout dépend du livre et à quel point il est cinégénique. Par exemple, ce n’est pas le cas pour Les 7 Vies de Léo Belami. Il porte un super concept de série, mais il se focalise trop sur le monologue intérieur d’un adolescent. À l’inverse, j’ai pu adapter la BD Pilules bleues de manière très fidèle, et j’ai même repris des dialogues de l’œuvre originale. Il y avait quelque chose de simple et limpide dans l’histoire qui était très dur à changer.
Des adaptations de comics DC et Marvel sont par exemple très difficiles à réaliser, car les lecteurs sont très attachés à l’œuvre originale et ont des attentes élevées…
Je suis d’accord, ils attendent ces films et séries au tournant. J’ai vécu un peu la même expérience avec mon téléfilm Pilules bleues. Il a été hyper bien accueilli en festival et par la presse, et le seul public qui a été dur, c’est celui des les lecteur·rices·s de BD. Les communautés de fans peuvent être difficiles.
Mais est-ce qu’un bon roman fera forcément une bonne adaptation ? Un matériau de base exceptionnel assure-t-il une série ou un film exceptionnel ?
Il n’y a pas de règles. Une œuvre géniale peut être adaptée d’une manière catastrophique et un livre très mauvais peut devenir une super série. Tout dépend de qui le fait et de l’énergie que cette personne met dans son travail.
Parfois, il y a aussi une histoire d’alignement des planètes. C’est vraiment dur de réussir une œuvre artistique. Il y a plein d’accidents possibles. Il faut réunir beaucoup de talents, mettre tout le monde d’accord, et ce, dans un marché violent…
Quand on réussit à tirer son épingle du jeu, il y a quelque chose de magique. Ce n’est jamais prédictible, sinon on ne ferait que des chefs-d’œuvre. Parfois, la rencontre avec le public est étonnante. Par exemple, Netflix ne s’attendait pas à ce que Squid Game fonctionne autant. S’ils savaient le prédire, ils ne feraient que des succès de cette ampleur.
Et quelles adaptations vous ont particulièrement marquées, en bien comme en mal ?
En bien : La Servante écarlate. J’ai lu le livre et vu la série, et je trouve que c’est une super adaptation. Il y avait plein d’éléments dans le bouquin, mais c’était beaucoup trop court pour en faire cinq saisons. Les auteur·rice·s qui s’en sont emparé ont réussi à emmener le format audiovisuel très loin. Pour moi, ce sont presque deux œuvres différentes aujourd’hui. À l’inverse, l’adaptation de Conversations entre amis (Sally Rooney) m’a un peu déçue.
Celle de Normal People m’avait beaucoup plu, mais celle-ci est moins convaincante. Peut-être que le livre s’y prêtait moins. La série est un peu plate. Comme je le disais, la littérature permet de nous plonger dans l’intériorité des personnages, mais cette dimension d’introspection est très difficile à retranscrire à l’écran. Dans Les 7 Vies de Léa, on a fait le choix de la voix off pour rendre cet aspect plus dynamique, par exemple.
Finalement, qu’est-ce qui fait une bonne adaptation sérielle ?
C’est quand elle devient une œuvre à part entière, et que les deux (l’originale et l’adaptation) communiquent entre-elles. En tant que scénariste, je pense que la clé est d’ajouter un élément perso. Il ne faut pas simplement marcher dans les pas d’une œuvre déjà existante. J’envisageais Les 7 Vies de Léa comme un projet personnel et je m’y suis beaucoup attachée. Il faut s’investir, même s’il s’agit d’une adaptation.
Fermez les yeux et imaginez la scène : Netflix vous contacte et vous propose un budget illimité pour créer l’adaptation de vos rêves. Ce serait laquelle ?
Il y a quelques années, je vous aurais répondu la BD Black Hole, mais plusieurs personnes (dont des auteurs très talentueux) ont déjà essayé de l’adapter et ça n’a jamais fonctionné. C’est devenu un serpent de mer. Il doit bien y avoir une raison pour que ça ne se fasse pas. Plus on est fan d’une œuvre, plus c’est difficile de s’y frotter. On a peur de l’abîmer. Parfois, il faut presque avoir une approche plus détendue pour s’autoriser à la trahir et emmener de nouvelles choses.
Les Liaisons dangereuses, Sherlock, Les Misérables… De nombreuses adaptations sont tirées d’œuvres classiques. Ces séries pourraient-elles permettre de redonner le goût de la lecture aux plus jeunes ?
Sûrement. Les lectures obligatoires du collège ou du lycée peuvent paraître barbantes, mais si les élèves voient une adaptation réussie de Germinal, ils et elles auront certainement envie de se plonger dans le bouquin. Il ne faut pas oublier que les lecteur·rice·s sont étonnant·e·s. Par exemple, Le Jeu de la dame a relancé les ventes d’échecs. C’est devenu un vrai phénomène. Je n’aurais jamais parié sur cette mode, car c’est un jeu qui peut paraître austère. Je pense que le public est capable de tout quand il est passionné.
De belles séries françaises ont brillé sur Netflix en 2022. Je pense aux 7 Vies de Léa, à Drôle, mais aussi à Lupin. Qu’est-ce qui fait la spécificité de nos créations ?
C’est difficile de le déterminer en tant que Française, il faudrait peut-être poser la question à un étranger ! Mais quand je regardais les avis sur IMDb (qui sont écrits par des usagers américains), j’ai remarqué qu’un commentaire revenait très souvent : “Il y a trop de sexe dans la série”. Les internautes attribuaient souvent ça au fait qu’on est français, et qu’on “ne peut pas s’en empêcher”.
À l’inverse, je trouvais qu’on avait été très soft sur la représentation de la sexualité – mais ça me semblait essentiel d’en parler. Ce changement de corps et de genre était un terrain de jeu exceptionnel. On voulait aussi montrer certaines évolutions sociétales, comme l’acceptation de l’homosexualité. On a tendance à regarder le passé avec nostalgie, mais on voulait aussi souligner le fait que des choses avaient changé, en bien.
Quelles séries françaises vous ont particulièrement marquée ces dernières années ?
J’ai adoré Le Monde de demain. Arte a fait un travail exceptionnel au niveau du scénario, de la mise en scène, du choix des comédiens, de la recréation de l’époque… Il y a de très belles choses qui se passent sur la scène sérielle en ce moment en France.
La plupart des séries qui cartonnent sur Netflix sont américaines. La France pourrait-elle devenir un sérieux concurrent ou nos productions sont-elles essentiellement produites pour notre territoire ?
Je pense qu’on peut devenir de sérieux concurrents. Les séries nationales font de meilleurs chiffres qu’avant dans l’Hexagone. Il y a moins de méfiance de la part du public envers elles. Après, ça reste dur. En tant que teen drama, Les 7 Vies de Léa n’a pas atteint le succès d’Euphoria. Les Américains ont un savoir-faire plus ancien, leur industrie est plus organisée… En France, on continue de se chercher et nos créations sont parfois un peu artisanales, malgré les budgets alloués.
Mais nos créations ont-elles un avenir ? Drôle, par exemple, a été annulée dès la première saison…
Je n’ai travaillé qu’avec Netflix, mais la plateforme a des ambitions énormes en termes d’audience. Ils veulent toucher beaucoup de personnes. Un succès sur le site au N rouge n’est pas le même que sur une chaîne traditionnelle. Ce qui va être vu comme des chiffres moyens ou bas pour le premier pourraient être exceptionnel pour les autres.
C’est un géant du streaming et il a de grosses ambitions. Ce n’est pas évident à appréhender pour les auteurs et les autrices. On a l’impression de toucher un très large public grâce à eux, mais leurs attentes sont encore plus grandes. Pour l’instant, c’est difficile de créer des marques, car les séries ont rarement plusieurs saisons.
Ces ambitions monstrueuses ne contraignent-elles pas votre créativité et ne vous poussent-elles pas à fabriquer des œuvres grand public ?
On a reçu un budget conséquent pour Les 7 Vies de Léa. Netflix avait des ambitions et ils ont mis les moyens. On visait clairement le grand public dans le choix de certains décors, certaines scènes ou costumes. Pendant la fabrication de la série, on pensait essentiellement à une cible adolescente (même si les quadras et les trentenaires peuvent être touché·e·s par la dimension nostalgique).
On voulait faire un teen drama, avec ce que ça peut comporter de mainstream. Il y a constamment ce balancier entre le fait de créer une œuvre d’auteur qui soit à la fois suffisamment vaste et universelle pour toucher le plus grand nombre.
Depuis quelques années, les plateformes sont envahies par des préquel et spin-off en tout genre. Pensez-vous que c’est une bonne idée, ou qu’il faut arrêter de réutiliser des œuvres à l’infini ?
Il y a deux réponses : l’artistique, et celle du marché. Quand il y a beaucoup d’adaptations autour d’une saga, c’est qu’il y a un vivier de public extrêmement vivace qui regardera tout ce qui est fait autour de cet univers – même s’ils n’aiment pas toujours ces spin-offs. En tant que scénariste, je ne souhaite pas me frotter à certaines œuvres qui ont déjà été largement explorées.
Il y a un moment où c’est difficile de faire mieux. Par exemple, je pense que c’est très compliqué de trouver de nouvelles idées autour de Star Wars. Après, il suffit que quelqu’un ait la bonne idée et un nouvel angle génial pour créer quelque chose d’exceptionnel malgré le fait que l’œuvre d’origine ait été utilisée à l’excès.