Décryptage

Jeanne Dielman de Chantal Akerman, élu meilleur film de tous les temps

07 décembre 2022
Par Lisa Muratore
Jeanne Dielman a été élu meilleur film de tous les temps. © Paradise films / Unité Trois / Collection Christophel
Jeanne Dielman a été élu meilleur film de tous les temps. © Paradise films / Unité Trois / Collection Christophel

Jeanne Dielman de Chantal Akerman a été élu meilleur film de tous les temps, selon Sight and Sound. Tous les dix ans, cette revue britannique rend son classement. Cette année, la première place est revenue à une cinéaste. Un changement historique.

Sight and Sound a rendu son verdict : Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles est considéré comme le meilleur film de tous les temps. Le long-métrage réalisé par Chantal Akerman a fait son entrée à la première place du classement, réalisé par la revue britannique. Porté par l’icône féministe Delphine Seyrig, ce film expérimental raconte le quotidien aliénant d’une femme bruxelloise, mère d’un garçon de seize ans et veuve. Or, quand elle ne fait pas la vaisselle, et quand elle ne repasse pas, elle se prostitue, accueillant occasionnellement des clients chez elle, qui lui permettent de payer son loyer. Ces derniers ressemblent quasiment tous à son mari, un mari qu’elle n’a jamais aimé. C’est donc un quotidien morose dans lequel Jeanne Dielman est enfermée, une vie sans plaisir jusqu’au jour où celui-ci va s’imposer à lui.

Un film révolutionnaire et féministe

Le Top 10 établi par Sight and Sound est l’un des plus respectés parmi les différentes revues culturelles et cinématographiques. Publié tous les 10 ans, depuis 70 ans, ce palmarès compile un panel de critiques, de spécialistes anglo-saxons et internationaux afin de l’établir. Cette année, la revue, émanation de la Bristish Film Institut, a donc choisi le film de Chantal Akerman. La réalisatrice n’a alors que 25 ans quand elle tourne Jeanne Dielman, avec une équipe majoritairement composée de femmes, un fait rarissime pour l’époque.

Delphine Seyrig incarne Jeanne Dielman dans le film éponyme. © Paradise films / Unité Trois / Collection Christophel

Par ailleurs, le sujet, le parti pris scénaristique, ainsi que sa durée – 3h21 – en font un film tout à fait unique pour l’époque. Si au moment de sa sortie, en 1975, les critiques criaient déjà au génie, d’autres comme Le Monde, évoquaient : « le premier chef d’œuvre du féminin dans l’histoire du cinéma. » Quant à Chantal Akerman, elle définissait son film ainsi : « C’est un film sur l’espace et le temps et sur la façon d’organiser sa vie pour n’avoir aucun temps libre, pour ne pas se laisser submerger par l’angoisse et l’obsession de la mort. » Jeanne Dielman a aussi influencé plusieurs cinéastes, notamment Gus Van Sant, qui s’est inspiré du dispositif de filmage pour tourner Last Days (2005).

Le long-métrage permet dans les années 1970 de déconstruire les bases des genres, et participe à l’expansion de la pensée féministe. Aujourd’hui, son impact est encore perceptible et si Jeanne Dielman est parvenu à se hisser à la première place du classement des meilleurs films de tous les temps, c’est parce que le cinéma et notre époque contemporaine ont appris à redéfinir l’image de la femme. Le sacre du film montre aussi comment en une seule décennie les considérations féministes ont évolué. Comment en diversifiant le panel des votants, on obtient une proposition de cinéma certes radicale, mais plus en phase avec son temps. Après Citizen Kane (1941) d’Orson Welles et Sueurs Froides (1958) d’Alfred Hitchcock, il était grand temps qu’une femme les détrône.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste