Hommage ultime aux cartoons des années 30, l’irrésistible Cuphead vient enfin de se rendre disponible sur Switch et l’affection que lui témoignent les joueurs depuis son annonce à l’E3 2014 démontre à quel point ce titre pourtant exigeant dégage un capital sympathie incroyable. Tour d’horizon des fruits les plus marquants de l’alliance entre le jeu vidéo et l’animation.
Des images et des vidéos ne suffisent pas à prendre la mesure du tour de force réalisé par les créateurs de Cuphead dans leur démarche de ressusciter la magie des tout premiers dessins animés sur nos écrans. C’est seulement manette en main qu’on peut réaliser à quel point ce titre constitue un portail inespéré vers une époque que peu d’entre nous ont connue. Celle des balbutiements de l’animation qui, aux alentours des années 30, se traduisait par une volonté de voir à tout prix les crayonnés prendre vie sur la pellicule, à grand renfort de cris et de gesticulations fantaisistes.
Cuphead ne se contente d’ailleurs pas de nous projeter à l’intérieur de ces précieux cartoons pour faire passer son message nostalgique. Il recrée surtout à la perfection les techniques de l’époque pour nous offrir une illusion d’authenticité à travers le grain de l’image ou le son que l’on jurerait d’origine. Un souci du détail qui passe par l’emploi de sonorités jazzy, par la réalisation d’arrière-plans en aquarelle et d’animations dessinées à la main sur celluloïds.
Quant à sa difficulté réputée implacable, elle ne doit en aucun cas dissuader quiconque de tenter l’expérience. Car le titre est ainsi fait qu’en surmontant les niveaux en mode Facile, le joueur devient rapidement en mesure de boucler les versions plus ardues de ces mêmes stages en Normal, la marge de progression s’avérant finalement extrêmement bien dosée !
Les pionniers du cartoon
Si Cuphead incarne à la perfection l’hommage appuyé aux cartoons des années 30 dans un jeu vidéo, il n’est pas le premier à avoir tenté de gommer la frontière avec le dessin animé. Aidés par la vague des adaptations quasi systématiques qui faisaient loi à l’ère des consoles 8 et 16 bits, les exemples sont légion même si peu d’entre eux ont su marquer les esprits par la qualité de leur direction artistique. On se souviendra néanmoins d’un certain Mickey Mania comme l’une des plus grandes réussites en la matière avec sa volonté de retracer l’évolution de la souris de Disney à travers le temps et l’introduction progressive de la couleur.
Aussi inventif sur la forme que plaisant sur le fond, ce titre sorti en 1994 sur consoles de salon a probablement inspiré les créateurs de Kingdom Hearts II qui pousseront encore plus loin l’idée d’un stage monochrome inspiré de Steamboat Willie. Incontournable, ce court-métrage de 1928 marque véritablement le début de la carrière de Mickey, ouvrant la voie à d’autres itérations qui influenceront les concepteurs de jeu, à l’instar de Mickey et le Haricot magique (1947) ou Le Brave petit Tailleur (1938) dont on retrouve le terrible géant dans l’un des jeux électroniques cachés de Kingdom Hearts III. Effet nostalgique garanti grâce à la combinaison de deux madeleines de Proust imparables : l’effet cartoon des années 30 et l’impression de jouer à un bon vieux Game & Watch !
En matière d’adaptation Disney, difficile de ne pas évoquer aussi la déclinaison Mega Drive d’Aladdin pour l’incroyable efficacité de ses animations qui, en 1993 déjà, réduisait considérablement la frontière entre le jeu vidéo et le dessin animé.
Du comics au pixel art
Quelle que soit leur nationalité, les concepteurs de jeux responsables d’adaptations d’œuvres issues de la bande dessinée ou de l’animation se sont heurtés à une même difficulté : celle de trouver des solutions graphiques permettant de s’affranchir des limites offertes par la technologie encore balbutiante. Le pixel art avait beau faire des merveilles, il ne suffisait pas à donner l’illusion de voir un comics américain ou une BD franco-belge prendre vie de l’autre côté de l’écran. Cela n’aura pas empêché certains titres de se démarquer par l’efficacité de leur direction artistique, à l’instar d’un certain Comix Zone qui, en 1995, réinvente le découpage de ses niveaux comme s’il s’agissait des planches d’un comic book. On y voyait les ennemis s’incarner sous la plume du dessinateur et le personnage principal passer d’une case à l’autre en s’exprimant par l’intermédiaire de phylactères.
Le résultat reste encore aujourd’hui régulièrement cité en exemple, là où la grande majorité des adaptations de comics américains ont échoué à rendre hommage aux œuvres dont elles étaient tirées. Parmi les exceptions qui confirment la règle, la version Super Nintendo de The Adventures of Batman & Robin démontre, toujours en 1995, que c’est bien en misant sur le travail de l’animation des sprites (personnages réalisés en pixels 2D) que le jeu vidéo peut prétendre se rapprocher du dessin animé. La série TV éponyme a beau jouir d’une réputation d’excellence, son adaptation ne démérite pas grâce à un parti pris artistique très fidèle à l’original.
Dans le même temps, les premières conversions des X-Men ou des Simpson paraissent presque déjà datées sur le plan purement visuel, et il faudra véritablement attendre le virage du cel-shading (que nous détaillons un peu plus loin) et l’emploi de nouvelles techniques graphiques pour voir la direction artistique évoluer vers d’autres styles plus modernes.
De Viewtiful Joe (2003) à Madworld (2009) en passant par No More Heroes (2007), l’illusion de franchir un portail reliant le jeu vidéo à l’univers des comic books américains gagne en crédibilité, surtout lorsque les innovations graphiques vont dans le même sens que les approches proposées en termes de gameplay.
À l’inverse, un déséquilibre trop significatif entre les intérêts ludiques et esthétiques condamne irrémédiablement le succès des adaptations les plus paresseuses, comme l’a compris à ses dépens Teenage Mutant Ninja Turtles : Mutants in Manhattan en 2016 en dépit d’une modélisation audacieuse des personnages.
C’est d’ailleurs sur le tard que la série TV américaine South Park trouve grâce aux yeux des joueurs par l’intermédiaire des itérations de 2014 (South Park : Le Bâton de la Vérité) et de 2017 (South Park : L’Annale du Destin) après de multiples tentatives rapidement tombées dans l’oubli. Le respect de ces adaptations aussi bien sur le plan visuel qu’humoristique explique en grande partie le bon accueil reçu auprès des fans de la série.
La B.D. européenne
Constat identique de l’autre côté de l’Atlantique où les développeurs européens s’escriment à trouver des moyens de reproduire le style des albums de B.D. franco-belge dans le cadre de leurs premières adaptations sur consoles. Astérix, Spirou et Lucky Luke font de leur mieux pour ne pas démériter sur le plan visuel, mais même lorsque Tintin au Tibet trouve le juste compromis sur la forme, il échoue à offrir un fond ludique de qualité.
Il faudra là encore franchir le cap des années 2000 pour assister à des créations bénéficiant d’une direction artistique digne des œuvres originales. À commencer par l’adaptation de la B.D. XIII par Ubisoft en 2003 qui ose la vue subjective dans un univers reprenant tous les codes de la bande dessinée.
Parfois, une approche plus ciblée des objectifs à atteindre donne lieu à des adaptations étonnantes. C’est le cas de Corto Maltese : Secrets de Venise qui, en 2014 sur PC et smartphones, offre une plongée intellectuelle dans l’œuvre de Hugo Pratt sous la forme d’une enquête spirituelle entièrement pensée autour des albums de Corto Maltese.
Le miracle du cel-shading
La quête d’une solution visant à gommer cette frontière encore tenace entre l’animation et le jeu vidéo perdure jusqu’en 2000, date à laquelle la Dreamcast accueille un véritable OVNI dénommé Jet Set Radio. Le tour de force du titre de Sega ne réside pas tant dans son caractère ludique hautement addictif que dans sa réalisation novatrice qui révèle aux yeux du monde l’avènement d’une nouvelle technique : le cel-shading (ou toon-shading). Celle-ci se définit par l’ombrage de celluloïds permettant de créer en 3D des contours et des textures rappelant ceux d’un dessin animé ou d’une bande dessinée.
Même s’ils n’ont pas véritablement marqué les esprits, les noms de softs tels que Cel Damage ou Auto Modellista restent directement associés à l’avènement du cel-shading, avant que son emploi dans The Legend of Zelda : The Wind Waker en 2002 n’en dévoile tout le potentiel dans le cadre d’un jeu d’action-aventure. La polémique suscitée par les images de ce « toon Link » dont le design est à des années-lumière de ce que les fans attendaient en dit long sur l’impact émotionnel qu’une direction artistique aussi décalée peut avoir sur l’image d’une franchise tout entière. A posteriori, une fois la surprise digérée, The Wind Waker restera dans les annales du jeu vidéo comme l’une des plus grandes claques visuelles de tous les temps, influençant quantité d’autres titres par la suite.
Une animation à la japonaise
Maîtres du RPG et de l’animation traditionnelle en 2D, les studios japonais ont à cœur d’employer tout leur savoir-faire à l’élaboration de techniques permettant la fusion « naturelle » des animes et des jeux vidéo. Se prêtant logiquement aux adaptations de séries TV issues de mangas de renom tels que Naruto, One Piece, JoJo’s Bizarre Adventure et beaucoup d’autres, le cel-shading trouve ici l’un de ses moyens d’expression les plus évidents en gommant encore un peu plus la frontière séparant le jeu de l’animation. Il n’y a qu’à voir le résultat sur Dragon Ball FighterZ pour y déceler l’apothéose d’un exercice que les studios japonais maîtrisent de mieux en mieux.
Mais plus encore que dans le registre du combat, c’est sur le créneau du jeu de rôle que le Japon a trouvé matière à se démarquer en combinant de manière quasi naturelle l’animation et le jeu vidéo. Si les épisodes de la série des Tales of mixaient déjà depuis longtemps des cinématiques animées en 2D avec des séquences utilisant le moteur de jeu, Dragon Quest VIII puis les récentes itérations de Valkyria Chronicles et de Persona ont su pousser encore plus loin l’illusion pour s’octroyer une direction artistique unique en son genre. Et les exemples similaires ne manquent pas, de Dark Chronicle à Okami en passant par Wild Arms 3, Breath of Fire V ou Rogue Galaxy.
Enfin, avec des titres comme Ni no Kuni et sa suite, c’est toute l’empreinte des films du célèbre studio Ghibli qui véhicule sa magie animée, des années après un certain Jade Cocoon réalisé en 1998 avec le concours d’un character designer du studio Ghibli…