Critique

Close de Lukas Dhont : à bout de souffle

02 novembre 2022
Par Félix Tardieu
Close de Lukas Dhont : à bout de souffle
©DR

Après Girl (lauréat de la Caméra d’or à Cannes en 2018), Lukas Dhont, prodige du cinéma belge, signe un deuxième long-métrage, Close, cette fois-ci récipiendaire du Grand prix du jury lors du dernier Festival de Cannes. Le réalisateur belge y confirme la sensibilité et l’originalité de son regard, mais le film, figé dans les écueils du mélodrame adolescent, finit malheureusement par faire du surplace.

Lukas Dhont, réalisateur belge de 31 ans, s’était illustré en 2018 en remportant haut la main la Caméra d’or (ainsi que la Queer Palm) au Festival de Cannes pour son tout premier long-métrage, Girl, qui remporta par la suite quatre Magritte (l’équivalent belge des César).

Le film suivait le chemin de croix d’une jeune femme trans (Victor Polster) se tuant à la tâche pour devenir danseuse étoile, tout en suivant, avec le soutien sans faille de son père, un traitement hormonal long et fastidieux.

Le film, en partie inspiré par le parcours de vie de la danseuse trans Nora Monsecour, avait remporté l’adhésion des critiques et du public malgré les reproches adressés par certains défenseurs des droits des personnes trans, reprochant entre autres au film son « voyeurisme » ou encore de ne pas avoir engagé une actrice trans pour le rôle.

La loi du silence

Pour son second long-métrage, Close, Lukas Dhont est une fois de plus parvenu à obtenir les grâces du jury cannois en décrochant le Grand prix du jury en mai dernier – cependant ex aequo avec Stars at Noon de Claire Denis.

Avec Close, le réalisateur belge pose une fois de plus son regard à la hauteur de ses personnages d’adolescents défiant les normes, en l’occurrence Léo (Éden Dambrine) et Rémi (Gustav De Waele), deux garçons inséparables qui s’apprêtent à faire leur rentrée au collège.

Un peu plus qu’amis, pas vraiment amants, le lien qui les unit est celui de tous les possibles. Leur relation est d’emblée traversée par un certain souffle cinématographique, envisagée avec délicatesse et sans ambiguïté par Lukas Dhont. Ces deux-là s’aiment par-dessus tout et peu importe, pour le cinéaste, de trancher sur la nature de leur relation.

Avec une aisance indéniable, le cinéaste belge enregistre les courses effrénées de ses deux comédiens à travers les champs de fleurs cultivés par les parents de Léo, dont la mère est incarnée par Léa Drucker tandis qu’Émilie Dequenne, découverte dans Rosetta (1999), des frères Dardenne, interprète celle de Rémi tout en endossant l’archétype de la mère d’adoption pour Léo.

©Kris Dewitte

Dans sa mise en scène, Lukas Dhont ne lésine pas sur la caméra à l’épaule et les travellings percés par une lumière rasante, se focalisant alors sur les visages magnifiés des deux garçons par les longues focales et une lumière naturaliste. Quelque part entre Xavier Dolan et Terrence Malick, le cinéaste belge s’applique – au risque d’en devenir trop scolaire – à épouser les mouvements de Léo et Rémi dont les trajectoires respectives, à pied comme à vélo, se superposent à l’écran comme un tout organique.

Mais, à mesure que Léo et Rémi s’adaptent à leur nouvel environnement, ces derniers doivent se confronter au jeu des normes, à travers un contraste peu subtil entre l’inimitié du milieu scolaire et l’intimité des paysages idylliques de leur enfance. Leur relation, inévitablement – et le film est nettement moins ambigu là-dessus – s’effrite, se disloque et leurs mouvements se désynchronisent littéralement à l’écran. 

La séparation n’est jamais verbalisée et passe entièrement par des regards, des gestes d’évitement, des changements d’habitude qui, à cet âge, peuvent vite prendre un tour dramatique et être vécus comme une véritable trahison. Le cinéaste, à grand renfort de plans serrés sur le visage « verrouillé » d’Éden Dambrine, se focalise alors peu à peu sur le personnage de Léo à mesure que ce dernier s’éloigne de Rémi, avant que l’impensable advienne. 

©Menuet/Diaphana Films/Topkapi Films/Versus Production

La chambre du fils

Dans Close, il sera beaucoup question de souffle, de battement, de vitesse. Lukas Dhont suit ces deux adolescents dans leurs élans, leurs courses, en même temps qu’il capte avec pudeur – décidément le maître-mot pour qualifier son cinéma – les moments de pause où il s’agit justement de reprendre son souffle.

Entre les murmures de Léo sur l’oreiller au moment de raconter une histoire à Rémi, les leçons de clarinette, l’entraînement de hockey sur glace de Léo (insistant lourdement sur l’incorporation d’une certaine virilité) fait de coups d’accélération et de chutes, les bagarres déchirantes dans la cour de récréation… Close est comme travaillé, d’un bout à l’autre, par la respiration de ses personnages dont le souffle se trouve irrémédiablement coupé par l’incursion de la tragédie et du silence.

©Menuet/Diaphana Films/Topkapi Films/Versus Production

À partir de ce revirement scénaristique, Lukas Dhont ne déroge plus de son programme et s’autorise des moments suspendus où la mise en scène fait mine de s’effacer pour émouvoir un spectateur qui ne peut qu’avoir la gorge nouée face à l’absence radicale d’artifices : musique, montage, tout s’absente pour laisser place aux yeux remplis de douleur, de tristesse et de culpabilité de ceux qui restent après que leur monde s’est effondré.

Sauf qu’il ne se passe alors plus grand-chose à l’écran qui ne soit pas déjà contenu dans les prémices de ce mélodrame à hauteur d’enfant ; l’indicible, l’apprentissage de la solitude, la culpabilité, la fin de l’enfance et de l’innocence.

Avec le peu de temps qui lui reste à ce stade du long-métrage, le metteur en scène belge s’attache alors à suivre Léo au fil des saisons et se repose sur la structure elliptique de son scénario, mais peine à dévier de l’itinéraire déjà tout tracé du mélodrame. À force de se reposer sur cette esthétique naturaliste consistant à filmer les non-dits des personnages avec une certaine retenue, les seuls échanges de regards entre Léo et Sophie, la mère de Rémi incarnée par une Émilie Dequenne exemplaire, ne suffisent finalement plus à porter le film sur leurs épaules. Ce qui aurait dû être une puissante décharge d’émotion tombe alors quelque peu à plat et on ne retrouvera jamais vraiment l’élan initial de ce second long-métrage pourtant rempli de promesses…

Close, de Lukas Dhont, 1h45, avec Eden Dambrine, Gustav De Waele, Émilie Dequenne, Léa Drucker. En salle depuis le 1er novembre 2022.

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Article rédigé par
Félix Tardieu
Félix Tardieu
Journaliste
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