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Qui sont les “deaditors” de Wikipedia ?

04 octobre 2022
Par Florian Gallant
Qui sont les “deaditors” de Wikipedia ?
©Depths of Wikipedia (Twitter)

Vous êtes connu et vous venez de mourir ? Pas de panique, une armée de contributeurs de Wikipédia s’active d’ores et déjà pour modifier votre page sur la célèbre encyclopédie en ligne. Choix de la photo d’illustration, nouvelles tournures de phrases, citations de l’entourage… Chaque décès est l’occasion de nombreux débats parmi ceux que l’on nomme les « deaditors ». L’Éclaireur a tenté de les rencontrer.

Nous sommes le 8 septembre 2022. Il est 15h10, heure de Londres. La reine Élisabeth II vient de rendre son dernier soupir au château de Balmoral, en Écosse, à l’âge de 96 ans. Sa disparition met ainsi un terme à un règne historiquement long de 70 ans, 7 mois et 2 jours. Il faudra attendre néanmoins quelques heures supplémentaires pour que son décès soit annoncé au grand public.

À 18h40 (heure britannique, 19h40 heure française), la British Broadcasting Corporation (BBC) affiche un écran noir suivi du texte : « La BBC interrompt ses programmes habituels pour vous annoncer une information importante. »  C’est le début d’une longue période de recueillement dans le monde entier pour célébrer le règne d’une des monarques qui aura marqué son temps.

Quelques secondes plus tard…

Littéralement quelques secondes plus tard, la page Wikipédia de la monarque est actualisée. Un contributeur anonyme – Sydwhunte de son pseudo – a mis à l’imparfait la première phrase de présentation de l’article. La reine n’« est » plus, elle « était » (« was » en anglais).

Le reste de la communauté Wikipédia se met en branle, tout en félicitant Sydwhunte. On souligne sa rapidité et on qualifie sa modification éclair d’« exploit ». Lui-même peut désormais parader à sa façon : pour certains éditeurs de Wikipédia, être le premier à mettre à jour la page biographique d’une personne après sa mort est proche d’un badge d’honneur. Mais, désormais, c’est le reste de la page Wikipédia qu’il faut mettre à jour. Le début d’une course effrénée pour ceux que l’on appelle les « deaditors », contraction des mots anglais dead et editors.

« À peine la mort de la reine confirmée que les conflits d’édition dans sa page ont explosé », explique Annie Rauwerda, contributrice Wikipédia. C’est également elle qui tient le compte Twitter Depths of Wikipedia, qui partage les articles, photos et notes de wikipédiens les plus drôles et absurdes de la plateforme. Sur ce même compte, elle a partagé dans une série de tweets l’émulation qu’a entraînée la mort de la reine Élisabeth II.  

Premier conflit qu’elle évoque, outre les phrases qu’il faut désormais réécrire au passé : quelles photos doivent désormais illustrer l’article ? « Lorsque quelqu’un meurt, Wikipédia préfère généralement utiliser une photo historique plutôt qu’une photo récente d’une personne âgée », reprend la contributrice. 

Des modifications aussi chaotiques qu’orchestrées

Au final, au plus fort de cette tempête collaborative, plus de 300 versions de l’article étaient enregistrées simultanément sur l’encyclopédie en ligne.

Imaginez désormais réécrire un chapitre d’un livre d’histoire avec plus de 300 personnes, simultanément. Très vite la question se pose : quels changements sont pertinents ? Pour éviter le chaos, la communauté Wikipédia avait tout prévu : une équipe spéciale nommée « WikiProject London Bridge » – en écho au plan London Bridge originel – faisait office de garde-fou et curateur. Une seconde page Wikipédia était également mise à jour concernant les funérailles de la reine. 

« Les éditeurs de Wikipédia écrivent l’histoire en temps réel, ne peut s’empêcher de constater Annie Rauwerda. Et, contrairement à beaucoup de publications, ils peuvent faire ces changements à la vitesse de l’éclair. »

Bien sûr, tout ce branle-bas de combat, à la fois chaotique et savamment orchestré, n’est visible que lorsqu’une personnalité connue décède. L’encyclopédie en ligne avait déjà connu pareille émulation lors des décès de Michael Jackson, Prince and Kobe Bryant. Le site était même temporairement inaccessible à ces occasions, tant l’afflux de contributions était important. L’invasion de l’Ukraine par la Russie et la pandémie de Covid-19 avaient également mobilisé en temps réel les contributeurs et contributrices.

« Je m’attendais à ce que ce soit des contributeurs très expérimentés qui fassent cela, mais ce n’est pas le cas. En réalité, beaucoup de ces contributeurs n’ont même pas de compte sur Wikipédia. Ils sont totalement anonymes, on ne connaît que leurs adresses IP. Mais ces éditeurs anonymes sont apparemment assez rapides quand quelqu’un meurt. »

Hay Kranen

Les “deaditors” travaillent seuls

D’ordinaire, les deaditors travaillent seuls. C’est le cas de Pierrick, étudiant en médecine du Pas-de-Calais et accessoirement contributeur Wikipédia. Également féru d’histoire locale, il est petit à petit devenu deaditor au gré de ses visites : « C’est simple, quand j’entends un nom qui m’est inconnu, je le cherche en ligne et, dans les premiers liens, il y a toujours Wikipédia. Lorsqu’il est question de figures locales, il arrive que les pages ne soient pas à jour. Un maire décédé récemment ne l’est pas annoncé comme tel sur sa page, alors je modifie. » À force, Pierrick se prend au jeu : il feuillette la presse locale et complète les articles de Wikipédia qui le nécessitent. « C’est moi aussi qui ajoute les résultats des élections locales sur les pages des communes alentour », reprend-il, en expliquant faire de même sur Wikipasdecalais, le pendant local de l’énorme structure collaborative. 

Cela n’empêche pas le contributeur de 28 ans de parfois tenter de ravir le « badge » du premier contributeur lors d’un décès. Il se souvient tout particulièrement du décès de l’astrophysicien Stephen Hawking : « J’ai vu la nouvelle de son départ sur les réseaux sociaux, tout en haut de ma timeline. C’était tout récent. Alors je me suis précipité pour modifier sa page anglophone, elle ne l’était pas encore. Mais à quelques secondes près, on m’a devancé. J’ai rafraîchi la page plusieurs fois avant de retourner sur la page française : la dépêche AFP venait de tomber et l’article était également modifié. »

Tout le monde est un deaditor

Tout cela ne répond pas à la question : qui sont les deaditors ? La réponse est simple : un peu tout le monde. C’est en effet ce qu’avait démontré en 2018 le développeur web Hay Kranen dans un billet sur son blog personnel. C’est également lui qui a popularisé le terme deaditors pour qualifier ce type de contributeurs bien particulier… Mais au final pas tant que ça ! « La chose qui m’a le plus surpris, c’est le fait que toutes ces personnes soient différentes, analyse-t-il. Je m’attendais à ce que ce soit des contributeurs très expérimentés qui fassent cela, mais ce n’est pas le cas. En réalité, beaucoup de ces contributeurs n’ont même pas de compte sur Wikipédia. Ils sont totalement anonymes, on ne connaît que leurs adresses IP. Mais ces éditeurs anonymes sont apparemment assez rapides quand quelqu’un meurt. » 

Autre découverte du développeur : sur les pages Wikipédia de célébrités décédées qu’il a analysées, près du tiers des modifications sont réalisées à partir d’un téléphone portable. « Je peux vous assurer : éditer Wikipédia depuis un smartphone n’est pas très pratique. La plupart des contributeurs réguliers de Wikipédia utilisent la version de bureau. »

Une énième preuve que l’encyclopédie en ligne est collaborative.

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Article rédigé par
Florian Gallant
Florian Gallant
Journaliste