La rentrée 2022 nous réserve un programme riche et passionnant d’expositions photographiques. Morceaux choisis !
Parmi les rendez-vous incontournables, la tant attendue rétrospective consacrée à Boris Mikhaïlov, le photographe le plus influent de la scène actuelle en Europe de l’Est, qui investira la Maison européenne de la photographie avec une exposition politique renversante : Journal ukrainien. Et puis, le jeune duo français Elsa & Johanna, l’artiste américaine Zoe Leonard pour la première fois en France, et encore beaucoup de rendez-vous partout en France pour suivre les actualités photographiques du moment.
Les expositions
1 Boris Mikhaïlov à la Maison européenne de la photographie
L’une des rétrospectives photographiques les plus attendues de cette année est celle de Boris Mikhaïlov, considéré comme l’un des artistes contemporains les plus influents d’Europe de l’Est. À partir du 7 septembre, l’exposition Journal ukrainiennous plongera dans le quotidien de l’Ukraine sous l’URSS et dans la période successive à la chute du communisme. La pratique pionnière de Boris Mikhaïlov se situe aux frontières de la photographie documentaire, du travail conceptuel, de la peinture et de la performance. Il mène depuis les années 1960 une réflexion sur les bouleversements qui ont accompagné l’effondrement de l’Union soviétique et les conséquences, en Ukraine, de sa dissolution.
Conçue en étroite collaboration avec l’artiste, l’exposition rassemble plus de 800 œuvres et présente une vingtaine de ses séries les plus importantes, jusqu’aux plus récentes. Une photographie profondément subversive, qui montre le pouvoir de contestation de l’art. Inclassable, le style de Boris Mikhaïlov mélange expérimentation et photographie documentaire, en réconciliant l’humour et le tragique. Par son regard sans fioritures ni concessions, il ne cesse de défendre la liberté de création comme un moyen de résistance.
Boris Mikhaïlov, Journal ukrainien, à la Maison européenne de la photographie du 7 septembre 2022 au 15 janvier 2023. Toutes les informations sont disponibles sur le site de la MEP. Un livre sera publié par Mörel Books, avec une introduction de Simon Baker, le directeur de la MEP.
2 Elsa & Johanna à la Maison européenne de la photographie
Toujours à la MEP, à partir du 7 septembre, se tient une exposition monographique dédiée au duo de photographes Elsa & Johanna. The Timeless Story of Moormerlandouvre la saison du Studio de la MEP, avec un parcours expositif hors du commun : une installation composée d’une projection de 160 diapositives et de tirages argentiques. Ce projet, réalisé en Allemagne en mai 2021, est montré pour la première fois en France.
Pendant quatre semaines, Elsa & Johanna ont parcouru le nord du pays et se sont installées temporairement dans une quinzaine de communes, dont celle de Moormerland, en Basse-Saxe. Les artistes ont choisi avec soin des maisons au charme désuet qu’elles ont occupées le temps d’imaginer et d’incarner une vingtaine de personnages : père de famille, adolescente mélancolique, femme au foyer… En résultent des photographies qui se font le témoin d’une vie de quartier imaginaire enveloppée d’une atmosphère étrange à l’esthétique cinématographique, caractéristique du duo. En se mettant en scène, les deux interrogent la notion d’identité contemporaine, en portant un regard sur l’anonymat, la transition, la précarité du « moi ».
Elsa & Johanna: The Timeless Story of Moormerland à la Maison européenne de la photographie, du 7 septembre au 11 novembre 2022. Retrouvez toutes les informations sur cette exposition sur le site de la MEP.
3 Zoe Leonard au Musée d’art moderne de Paris
Zoe Leonard est l’une des figures de proue de l’art contemporain aux États-Unis. Née en 1961, elle a couvert les dernières décennies avec un regard engagé, puissant, avec toute la spontanéité de la pratique autodidacte. Travaillant surtout à l’argentique, la photographe est particulièrement attachée à sa matérialité, comme un vecteur de mémoire et une forme de résistance. Pour Zoe Leonard, le médium photographique est aussi objet d’une expérience sur le point de vue : que voit-on vraiment de là où l’on est ?
L’exposition Al río/To the River invite à un voyage le long du fleuve mythique qui marque la frontière entre le Mexique et les États-Unis. De 2016 à 2021, Zoe Leonard arpente les rives du Rio Grande, ainsi désigné aux États-Unis, ou Río Bravo, selon le nom donné au Mexique. Comme dans un long plan séquence, les paysages défilent, depuis les villes frontalières d’El Paso (Texas, États-Unis) et Ciudad Juárez (Mexique) jusqu’à l’embouchure du golfe du Mexique où le fleuve termine sa course. L’artiste invoque des questions tant géographiques que culturelles, historiques, sociales, politiques, écologiques et économiques qui en découlent. C’est d’abord le portrait d’un fleuve, mais c’est aussi celui des territoires et des populations qu’il traverse.
Zoe Leonard, Al río/To the River au Musée d’art moderne de Paris, du 15 octobre 2022 au 29 janvier 2023. Toutes les informations et réservations sur le site du MAM. Une publication trilingue (français-anglais-espagnol) en deux volumes, éditée par Hatje Cantz, accompagne l’exposition.
4 Véronique de Viguerie et Stéphane Lavoué à l’Arsenale de Bastia
Stéphane Lavoué et Véronique de Viguerie prêtent leurs objectifs à l’histoire de la piraterie, entre imaginaire et réalité. L’association Sguardi propose ainsi une mise en parallèle entre le travail cinématographique de Stéphane Lavoué et les séries de Véronique de Viguerie sur les pirates du Nigéria et les « pêcheurs-pirates » de la Somalie. Cette exposition est le témoignage visuel des expériences de l’une des plus grandes photojournalistes contemporaines, dont la connaissance des pays d’Afrique et du Moyen-Orient n’est plus à présenter (elle a réalisé des reportages dans de nombreux pays de ces régions, de l’Irak au Nigéria, en passant par le Soudan du Sud et le Mali) et d’un artiste photographe pluriprimé, associé à la Comédie-Française et lauréat du Prix Nièpce Gens d’Images en 2018.
Au long de l’exposition, on parcourt le Delta du Niger, entre mutineries et corruption, où l’or noir est au centre de toutes les convoitises, mais aussi la Somalie et ses plages infinies où les pirates sèment la terreur depuis 2008, entre enlèvements, rançons et meurtres. À la fin, on plonge dans la mer bretonne aux vagues titanesques à la recherche d’une piraterie fantasmée enjolivée par une vision cinématographique… Une exposition insolite, qui allie photojournalisme et fiction en faisant la lumière sur un grand enjeu contemporain.
Pirates, de l’imagerie au réel : Véronique de Viguerie et Stéphane Lavoué retracent le mythe de la piraterie, Arsenale de Bastia, jusqu’au 18 septembre. Retrouvez toutes les informations par ici.
5 Le Liban se dévoile à l’abbaye de Jumièges
Quinze photographes et cinéastes libanais sont rassemblés dans cette exposition présentée dans le magnifique cadre de l’abbaye de Jumièges. Le parcours invite à une interrogation en trois séquences sur les limites et les possibles de la représentation, de la narration et de la sublimation en référence à l’histoire contemporaine du Liban. « [Elle] propose une lecture sensible qui tente de saisir les enjeux de la création dans un contexte d’effondrement. Comment les traumatismes et catastrophes affectent les corps et les esprits. » L’exposition s’insère dans la saison consacrée à l’art libanais, promue par la Seine-Maritime. Au centre d’une actualité douloureuse, marqué par les explosions du 4 août 2020 à Beyrouth, le Liban est un pays résilient qui se relève et dont la scène artistique effervescente ne cesse de raconter le monde avec un regard féroce et plein de poésie.
Au bord du monde vivent nos vertiges , à l’abbaye de Jumièges, jusqu’au 6 novembre. Informations et réservations sur le site de l’exposition.
6 Mathieu Pernot au Mucem
Dans L’Atlas en mouvement, Mathieu Pernot rassemble plus d’une décennie de travaux autour des migrations. Les images présentées sont le fruit de rencontres et de collaborations avec les migrants. « Les photographies montrant des migrants sont très souvent faites par des personnes qui n’ont pas vécu leur situation, qui documentent et montrent ce qu’elles voient d’un point de vue extérieur », annonce-t-il.
Trois types de productions cohabitent au sein de cette exposition : celles de l’artiste, celles réalisées par les migrants et celles qui sont le fruit de leur collaboration. À travers des images et des objets, le photographe donne vie à un parcours exceptionnel : « J’ai eu l’envie de constituer une iconographie qui s’envisagerait avec eux, de faire en sorte qu’ils ne subissent pas l’image faite par d’autres. »
L’exposition est immersive, avec des salles de projection, des ambiances changeantes et le cadre enveloppant du Mucem. Si vous faites escale à Marseille, L’Atlas en mouvementest une étape fortement recommandée !
Mathieu Pernot, L’Atlas en mouvement, au Mucem (Marseille) jusqu’au 9 octobre. Un livre est édité par les Éditions Textuel en collaboration avec le Mucem et il est disponible ici.
Les festivals photographiques
7 Visa pour l’Image, à Perpignan
Visa pour l’Image est le temps fort du photojournalisme en France. Dans un monde chaotique, qui peut paraître par moment apocalyptique, avec des conflits en cours effrayants, les photojournalistes jouent un rôle fondamental pour la démocratie, pour relayer l’information et diffuser des récits au risque de leur vie. Ukraine, Afghanistan, les hôpitaux psychiatriques en Afrique, la condition des femmes en Amérique latine : un focus photographique sur le monde contemporain pour faire entendre les voix de celles et ceux que l’on n’entend pas et pour affronter avec conscience et clairvoyance les temps à venir.
Le festival est aussi l’occasion de découvrir en grand format des images qui ont fait le tour des médias et du Web. On retrouvera notamment les grands reportages faits en Ukraine, comme les portraits d’habitants de Lucas Barioulet pour Le Monde, ou ceux de Mstyslav Chernov et Evgeniy Maloletka, d’Associated Press, qui ont immortalisé la résistance de Marioupol, seuls photojournalistes indépendants restés sur place. On y découvrira la touchante série de Daniel Berehulak, du New York Times, Des gens vivent ici. Pour ce reportage, le photographe s’est rendu dans les zones où l’armée russe s’est retirée, là où les soldats ukrainiens ont découvert les crimes de guerre perpétrés par l’occupant. Une phrase qui, marquée sur les murs des maisons des civils pour indiquer leur présence aux occupants, est devenue le titre de cette 34e édition.
Visa pour l’Image, à Perpignan, du 27 août au 11 septembre. Le festival est ouvert tous les jours de 10 h à 20 h, entrée libre. Toutes les expositions sont en ligne sur le site du festival, sur inscription, jusqu’au 30 septembre 2022.
8 DRESS CODE aux Rencontres d’Arles
DRESS CODE a été l’un des temps forts des Rencontres d’Arles de cette année : l’exposition met en scène le vêtement sous toutes ses formes, en montrant une panoplie de manières dont le vêtement raconte l’identité, la recherche de soi et la création de la communauté. Une exposition collective réunissant 40 artistes qui rendent hommage aux femmes zapotèques du Mexique, aux Drag Queens de New York, aux pratiques de sorcellerie, mais aussi à comment le vêtement se joue des normes et défie les codes patriarcaux.
Certains parcours photographiques posent un regard critique sur les oppressions que l’habillement peut véhiculer, tandis que d’autres en dévoilent la force spirituelle. On retrouvera les travaux de Bénédicte Kurzen et Sanne De Wilde, qui explorent la mythologie autour des jumeaux au Nigéria ; de Delphine Blast, qui s’intéresse à l’émancipation des femmes en Amérique latine ; de Robin Block de Friberg, qui réfléchit à la notion de consentement en mettant en cause le voyeurisme de notre époque ; de Mathieu Richer Mamousse, qui explore le vêtement dans les cérémonies religieuses… Et bien d’autres noms à découvrir lors de cette exposition qui est prolongée jusqu’au 25 septembre, dans la continuité du festival de la photographie d’Arles.
DRESS CODE, Rencontres d’Arles, à la Fondation Manuel Rivera-Ortiz jusqu’au 25 septembre. En savoir plus sur le site des Rencontres. Un magnifique volume est consacré à cette exposition mélangeant anthropologie et photo, publié par Kehrer.
9 Visions d’Orient au festival La Gacilly
Jusqu’au 30 septembre, visitez le festival en plein air de La Gacilly. Dans la petite bourgade bretonne, des expositions dans un cadre où la nature dicte son rythme. Cette année, le festival a choisi de se consacrer à l’Orient : il pose ainsi un regard sur la complexité de la situation internationale actuelle, qui nous force à nous habituer à l’omniprésence de la guerre. « L’urgence est là, implacable. À la fin de ce siècle, la moitié des plantes et des animaux qui existent encore sera éteinte », écrivent les organisateurs du festival. Comment garder espoir et gagner ces combats ? Par l’action, répondent-ils.
La Gacilly propose par l’image de sensibiliser encore à l’urgence climatique. L’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan sont à l’honneur cette année. Trois pays d’Asie du Sud-Ouest qui tous appartiennent à l’espace culturel persan ; trois pays majoritairement musulmans, avec des populations indo-européennes, qui restent soumis aux lois de la religion et parfois à l’obscurantisme ; trois pays que l’on connaît si mal, mais qui ont conquis le cœur de tous les voyageurs s’y aventurant, de Marco Polo à Kessel, de Chardin à Bouvier ; trois pays, enfin, dont les photographes sont les défenseurs d’une pensée optimiste, les ambassadeurs de la conscience écologique, les lumières d’un espoir nouveau.
Festival La Gacilly – Visions d’Orient, jusqu’au 30 septembre. Informations et réservations sur le site de La Gacilly.