Décryptage

Vente de comptes de jeux en ligne : quand le manque de temps des uns fait l’argent des autres

26 août 2022
Par Robin Lamorlette
“League of Legends”, “Fortnite”, “World of Warcraft”, “PUBG”, “Overwatch” et bien d’autres jeux en ligne ont vu naître un véritable marché parallèle avec l’achat et la vente de comptes.
“League of Legends”, “Fortnite”, “World of Warcraft”, “PUBG”, “Overwatch” et bien d’autres jeux en ligne ont vu naître un véritable marché parallèle avec l’achat et la vente de comptes. ©Ricky Spears

Avec l’âge d’or des jeux en ligne au début du vingt-et-unième siècle, un marché parallèle s’est développé : l’achat et la vente de comptes. Qu’en reste-t-il ?

C’est une occasion de mêler l’utile à l’agréable. D’un côté, certains sont désireux de vivre de leur passe-temps. De l’autre, des acheteurs ayant les moyens et peu de temps sont prêts à payer, parfois cher, de tels services. Qu’en est-il réellement de cet échange de bons procédés ?

L’achat et la vente de comptes de jeux en ligne : comment ça fonctionne ?

Les joueuses et joueurs de League of Legends ou de MMORPG comme World of Warcraft le savent : les jeux compétitifs demandent beaucoup de temps. Dès lors, des membres très investis de la communauté se sont lancés dans un business de vente de comptes. Un marché donnant-donnant, car celles et ceux qui n’ont pas le temps ou l’envie peuvent ainsi s’allouer de tels services et obtenir très facilement des comptes bien avancés.

Rapidement, des groupes de joueuses et joueurs se sont réunis pour former des agrégateurs d’offres. Les acheteurs potentiels n’ont qu’à chercher sur Internet « achat compte de tel jeu » pour facilement trouver leur bonheur. Les sites les plus sérieux s’assurent de l’authenticité des comptes et de la sécurité de la transaction. L’achat s’effectue via PayPal ou d’autres plateformes similaires comme Skrill. Plus exceptionnellement, des transactions de particulier à particulier peuvent s’opérer via des enchères sur eBay et d’autres sites équivalents.

Ces armes autrefois légendaires peuvent aujourd’hui être obtenues contre « seulement » 1749€.©Buy Boost

Généralement, l’achat d’un compte est motivé par deux éléments : le rang classé dans les jeux compétitifs (ou le niveau dans les MMORPG) et/ou la collection d’objets et cosmétiques rares. Aujourd’hui encore, des comptes disposant de tels items peuvent se vendre à prix d’or.

Parmi les transactions les plus marquantes, un compte World of Warcraft: The Burning Crusade a été vendu en 2007 à 10 000 $. Il disposait en effet des armes les plus rares du jeu à l’époque. Plus récemment, en 2020, un compte League of Legends s’est vendu sur eBay à 15 000 $. Il affichait près de 1 000 éléments cosmétiques, dont certains ne pouvant plus être obtenus aujourd’hui.

Un âge d’or à l’apogée des jeux en ligne

La vente de comptes de jeux en ligne a véritablement explosé lors de la sortie de titres populaires. La nouveauté et le succès d’un titre favorisent ce business. Notre mode de consommation du jeu vidéo privilégie en effet la logique du « tout, tout de suite ». Or, pour avoir un compte de haut niveau ou collectionner des cosmétiques rares, il faut parfois être prêt à y passer des dizaines, voire des centaines ou des milliers d’heures.

La vente de comptes a globalement connu une forte dévaluation au fil de l’évolution des jeux en ligne.©Elo Boost

Ce constat est d’autant plus marquant lors du lancement d’un jeu, quand peu de joueurs et de joueuses le maîtrisent. Dans le cas de League of Legends, l’accès aux parties classées demandait à l’époque des dizaines d’heures de jeu. Il fallait gravir à la sueur de son front tous les rangs, de Bronze pour les débutants à Challenger pour les plus talentueux. Peu de gamers étaient prêts à investir autant de temps pour arriver jusque-là.

C’est dans ce contexte que Fabien s’est lancé dans l’achat de comptes. « Je voulais en acheter un deuxième pour faire du classé avec d’autres champions sans impacter mon compte principal. Ça m’a permis de ne pas perdre mon temps à monter le Ladder jusqu’à mon rang Diamant actuel, et ce pour seulement une cinquantaine d’euros. »

Un business qui perd du terrain et évolue tant bien que mal

Au fil du temps, les jeux en ligne ont évolué pour devenir plus accessibles aux nouveaux joueurs. L’investissement en temps s’est vu grandement réduit, et avec lui l’intérêt d’acheter un compte (et forcément son prix). Un compte Challenger sur League of Legends peut ainsi aujourd’hui se vendre entre 100 et 1 000 € selon les plateformes et le nombre de champions ainsi que d’éléments cosmétiques compris. Des comptes à des rangs plus bas sont quant à eux vendus entre 20 et 50 €, mais s’avèrent plus rapides à monter en vue d’une vente.

Un prix certes intéressant pour l’acheteur, mais beaucoup moins pour le vendeur. Le rapport temps investi/prix se révèle en effet moins rentable qu’autrefois, et en vivre confortablement n’est plus aussi évident. Ce marché sur World of Warcraft s’en sort encore plutôt bien, avec des comptes pouvant se chiffrer à plusieurs milliers d’euros. Mais un compte vendu à ce prix implique malgré tout des centaines d’heures de jeu et ne se montre donc pas des plus rentables.

World of Warcraft reste une exception, mais le temps requis pour vendre des comptes à ce prix s’avère également colossal.©BuyWoWAccount

Dès lors, les plus passionnés ont dû se réinventer pour continuer à vivre de leurs jeux préférés. C’est ainsi qu’est né le « boost ». Cette pratique implique qu’un client paye un booster pour jouer sur son compte à sa place afin d’arriver au plus haut niveau ou pour collectionner les objets les plus rares. Si ce système s’avère plus sécurisant pour le booster, il n’est cependant pas sans écueil.

Nous avons rencontré Christophe, booster sur World of Warcraft. « Booster un compte est plus sûr que de le vendre, et cela m’a assuré des revenus stables, notamment à la sortie de nouvelles extensions. Mais c’est devenu de moins en moins lucratif, car il faut beaucoup moins de temps qu’avant pour répondre aux demandes des clients. »

Une pratique mal vue par les studios et la communauté

Au-delà de la dévaluation de ce marché, le déclin de cette pratique se trouve aussi du côté des éditeurs, des studios de développement et de la communauté des jeux concernés. Par exemple, l’acquéreur du compte World of Warcraft vendu à 10 000 $ a été banni au bout de quelques jours seulement.

Au fil du temps, la sécurité et la loi encadrant les jeux en ligne ont été drastiquement renforcées contre ces pratiques. Même l’usage d’un VPN ne garantit plus qu’une telle transaction se fasse sans accroc. La plupart des vendeurs de comptes et des boosters sont notamment localisés aux États-Unis, en Russie ou en Chine.

Or, si un Français s’alloue de tels services, le système de sécurité du jeu détectera qu’il y a un conflit de région ou d’adresse IP. Le compte risque donc d’être rapidement banni. Dans une moindre mesure, la pratique du boost est épargnée, puisque le compte appartient au client même, et non pas à un tiers. Mais rien n’empêche qu’il soit détecté et puni en conséquence.

Nombreux sont les comptes achetés ou boostés ayant reçu un tel message.©Blizzard

Et quand la sécurité du jeu ne suffit pas, la communauté ne manquera pas de remarquer qu’un compte a été acheté ou boosté. La plupart des clients n’ont en effet pas les connaissances ou le niveau de jeu nécessaires pour faire bon usage de leur compte nouvellement acquis. Les joueuses et joueurs ayant passé un mauvais moment à cause de cette pratique ont tendance à signaler rapidement le compte fautif. Les modérateurs prennent ensuite le relais pour le bannir afin d’assainir l’expérience de jeu globale.

Ainsi, à quelques exceptions près, la vente de comptes de jeux en ligne est désormais une pratique sur le déclin. Les jeux rendus plus accessibles, leur sécurité renforcée, le manque à gagner pour les éditeurs et une communauté qui voit cette pratique d’un très mauvais œil y sont pour beaucoup.

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Article rédigé par
Robin Lamorlette
Robin Lamorlette
Journaliste