Écrits à la plume, puis au clavier, et maintenant… au logiciel de montage. Les fanfictions, ces textes imaginés par les fans pour les fans, se lisent désormais sur smartphones. Et c’est notamment sur le réseau social chinois TikTok que les millenials se réapproprient le genre.
Et si la professeure McGonagall envoyait des élèves dans le passé pour empêcher la naissance de Lord Voldemort ? Et si Iron Man vivait une histoire d’amour avec Captain America ? Et si vous, lecteurs et lectrices, étiez né(e)s dans l’univers du manga One Piece ? Ces scénarios ne sont pas officiels : ils germent en réalité dans l’esprit des afficionados de la pop culture. Plus précisément dans leurs fanfictions, des textes écrits à partir d’un livre, d’un film ou d’une série, dans lesquels ces passionnés vont puiser ce qui les intéresse pour construire de nouveaux contenus.
La fanfiction, un genre littéraire plus ancien qu’il n’y paraît
Des créations qui ne datent pas d’hier, comme le rappelle Mélanie Bourdaa, maîtresse de conférences à l’université Bordeaux Montaigne et spécialiste des fans, des séries télévisées et du transmedia storytelling. « Il y avait déjà des fanfictions autour de Dickens ou de Dumas, qui publiaient mois après mois dans des journaux populaires », explique-t-elle. Afin de compenser la frustration due à l’attente des nouvelles publications, les fans de l’époque ce sont donc mis à produire leurs propres textes.
« Les premiers clubs de fans, qu’on appelait des “sociétés”, sont créés autour d’Arthur Conan Doyle et des Sherlock Holmes. Et, là aussi, les gens partageaient leurs écrits : ils les faisaient passer de main en main et se les lisaient », poursuit la professeure. Plus tard, ce sont dans les premiers fanzines, distribués lors de conventions, que seront écrites et lues des histoires alternatives, notamment autour de l’univers de la saga Star Trek.
@olyydia Like Mother like Son, trouble just always seems to follow this family! #lilyevans #maraudersera #harrypotter #hogwarts #firstwizardingwar ♬ middle of the night Loveless cover – Loveless
Aujourd’hui, plus de papier : les fanfictions se lisent sur Internet. Clubs et sociétés sont devenus forums et commentaires en ligne. Les fans partagent leurs histoires sur des sites comme fanfiction.net ou Wattpad, créant des communautés numériques autour des franchises les plus populaires. Mais la dernière évolution en date – car la fanfiction n’en a jamais fini de se renouveler – c’est bien celle des smartphones, et des réseaux sociaux.
Sur TikTok, les mots-clés rassemblant les amateurs du genre pullulent : #storieswithyn (près de 7 millions de vues), #ynpovstories (14 millions de vues), ou encore #yn (plus de 10 milliards de vues) « yn » ou « tp », pour « Your Name » ou « Ton Prénom », un raccourci permettant au public de s’identifier dans les scénarios. Dès qu’une personne aperçoit l’acronyme, il lui suffit de le remplacer mentalement par son prénom, et le tour est joué.
Des récits en quelques chapitres aux vidéos en quelques secondes
Car, dans la fanfiction, celui ou celle qui lit devient, la plupart du temps, un personnage à part entière du scénario, interagissant avec les protagonistes dont il est fan. Un mécanisme que l’on retrouve sur TikTok, avec l’image en plus. Les écrivaines – parce qu’il faut bien le dire, la grande majorité des auteurs de fanfictions sont des autrices – deviennent même, sur le réseau social, des actrices. Entre les incrustations en fond vert, à l’image de @olyydia, ou les performances où elles se griment en élève de Poudlard ou en personnage de manga, comme @_elotaku_lilith, les fans n’hésitent pas à se mettre en scène de façon très élaborée, grâce à des cosplays et des maquillages n’ayant rien d’un travail d’amateur. Et si leurs scénarios sont très souvent construits autour d’histoires d’amour, le genre est loin de se résumer à cela.
« La fan iction, c’est très codé, il y a plusieurs formes d’histoires, précise Mélanie Bourdaa. Les “slashs”, par exemple, sont des histoires homoérotiques. Elles sont apparues autour de Star Trek, quand les fans écrivaient des histoires entre Kirk et Spock. Mais il existe d’autres types de fanfictions, comme “l’alternate universe“ », un scénario qui diffère de l’univers de base grâce à un événement ou un personnage alternatif. Selon la spécialiste, il y a aussi plusieurs formats de fanfictions : elles peuvent être des « one shot », ce qui s’apparente à des nouvelles, ou encore être imaginées en plusieurs chapitres.
@stranger_eggos0x Trouvez un pov… ib : @zrhrzk #strangerthings #eddiemunson #nancywheeler #fyp #st4 #strangerthings4 #tp #pov ♬ original sound – ✨
Autant de genres et de formats que les TikTokeuses se réapproprient. C’est le cas de Lucile, 14 ans, plus connue sous le pseudo de @stranger_eggos0x. Sur la plateforme, elle compte plus de 84 000 abonnés. Son créneau : la série à succès Stranger Things. Lucile, elle, ne se met pas en scène, mais utilise des visuels du programme comme support de ses histoires. « Je dois avoir les bonnes expressions, les images qui correspondent aux personnages que je veux utiliser, souligne-t-elle. Donc je vais sur YouTube et je cherche des scènes bien précises de la série. Ensuite, j’utilise une application de montage, je rajoute des sous-titres, et je mets en forme mon histoire. »
Des histoires visuelles qui font écho à ce qui pourrait être imaginé par écrit, le public étant inclus dans le scénario via l’acronyme « YN/TP » mentionné plus haut, mais aussi parce qu’on y retrouve certains genres comme le slash (dans une de vidéos de Lucile par exemple, Will et Mike, meilleurs amis dans Stranger Things, sont dépeints comme étant secrètement amoureux). Mais la différence principale, c’est le format. Les vidéos de l’adolescente ne font pas plus d’une dizaine de secondes, et elles ne se suivent pas. « Je préfère créer des vidéos TikToks parce que je ne suis pas du genre à écrire de longues histoires, ça ne m’intéresse pas », confirme la créatrice. Mélanie Bourdaa abonde dans ce sens. Pour elle, « ce sont des publics assez jeunes qui produisent ces fanfictions, et le format TikTok est très attractif pour eux parce qu’il est très rapide ».
Au-delà de l’histoire, la création d’une communauté
Le format de la fanfiction évolue donc… et se raccourcit. Pour autant, l’essentiel reste le même. Le but, c’est avant tout de créer pour rassembler une communauté qui partage la même passion. « Ce contenu, c’est pour un certain public, reconnaît Lucile. Il faut vraiment être fan de la série. Grâce à TikTok, je me suis fait pas mal d’ami(e)s, et j’ai une petite communauté de gens qui aiment beaucoup mes contenus… Il y a même des gens qui ont créé des comptes de fans ! », confie-t-elle, bouche bée.
@_elotaku_lilith Oui je le repost a cause du shadowban 😭. #cosplay #killua #killuacosplay #gon #goncosplay #hxh #hxhcosplay #genderbend #blackcosplayer ♬ son original – ✨Pilier Insecte slayer✨
Une communauté qui interagit, se conseille et passe même des commandes. Ainsi, la fan de Stranger Things reçoit parfois des requêtes précises, réclamant par exemple des histoires sur un personnage spécifique. Dans certaines vidéos, elle laisse même son public décider de l’identité de certains personnages, des points de suspension remplaçant un prénom. Rien d’étonnant pour Mélanie Bourdaa : « La fanfiction fonctionne toujours de la même façon : à l’origine, elle est souvent écrite par plusieurs fans, commentée et améliorée. On est dans un processus d’écriture collective, et TikTok favorise cela », assure-t-elle.
En effet, Internet et les réseaux sociaux favorisent le lien social entre les fans et permettent de créer des communautés plus importantes, plus rapidement. Ils rendent aussi ces activités de fans beaucoup plus visibles et moins underground. « Ces fans jouent un rôle de médiateurs culturels ! », résume l’experte. Par des textes ou des vidéos, sur plusieurs chapitres ou en quelques secondes, la fanfiction remplit donc toujours le même rôle : transmettre la passion de la littérature ou du cinéma, et aider de nouveaux publics à accéder à plus de contenus culturels. Et une chose est certaine : en mots ou en images, le genre a encore de beaux jours devant lui.