Le multivers est partout. Depuis quelques années, le concept est à la mode dans les films Marvel, les jeux vidéo, les comics… Mais pas forcément pour le meilleur.
Le premier à avoir imaginé la possibilité d’univers multiples s’appelle Anaximandre. Philosophe grec ayant vécu il y a 2 600 ans, il se penche sur l’origine du monde – vaste sujet –, et développe le concept d’apeiron, soit la possibilité de l’infini. Au fil des siècles, d’autres philosophes reprendront cette réflexion. Nicolas de Cues, Bruno Giordano ou encore Gottfried Leibniz essaient d’expliquer que plusieurs mondes différents pourraient cohabiter. Tous peuvent l’imaginer, mais ont quand même du mal à se montrer précis. Ils sont avant tout adeptes du « tout est possible ». Ce n’est qu’à partir des années 1930 que la science va tenter de valider cette possibilité.
Albert Einstein, Niels Bohr et Erwin Schrödinger s’appuient sur la théorie de la relativité et la physique quantique pour imaginer que deux réalités, pourtant contradictoires, peuvent exister en même temps. L’expérience du chat de Schrödinger nous en donne un exemple, très vulgarisé, même pour un scientifique amateur : enfermé dans une boîte contenant un dispositif pouvant délivrer un gaz mortel, le félin est, pour notre regard extérieur, en même temps vivant et mort, tant qu’on n’ouvre pas la boîte pour vérifier. Voilà la base de la théorie des univers multiples, si chère au physicien américain Hugh Everett, qui a consacré une grande partie de sa vie à cette hypothèse, et que les acteurs de la culture mondiale utilisent pour raconter des histoires parfois inexplicables.
Quelle est la différence entre un bon et un mauvais multivers ?
Aujourd’hui, pourtant, les avis divergent sur la possibilité des univers multiples. Adam Frank, astrophysicien et consultant sur le dernier Doctor Strange, l’affirme : « Il n’y a absolument aucune preuve de l’existence du multivers. »
Mais c’est surtout l’utilisation qui en est faite par les différents scénaristes contemporains qui pose problème. Tant que le multivers permet l’existence de plusieurs Spider-Man (punk, cochon, version animée, noir…), tous bien différents les uns des autres, mais partageant certaines références communes, tant qu’il permet de suivre différentes visions de créateurs, tant qu’il offre d’autres perspectives plus intéressantes et des nuances rafraîchissantes pour les lecteurs, c’est plutôt une bonne chose. Les fans de Rick et Morty ou du Spider-Man: New Generation pourront le confirmer : le multivers peut être une source d’inspiration, d’humour et d’intrigues.
En revanche, quand le multivers sert à rattraper un manque de cohérence au sein d’une histoire globale, ou bien entre différents arcs narratifs qui finissent par se recouper, ou même à faire revivre des personnages morts pour des raisons avant tout commerciales, c’est une autre chose. Les rumeurs de résurrection d’Iron Man ont par exemple fait couler beaucoup d’encre : pourquoi toute cette tragédie, pourquoi ce sacrifice de Tony Stark, pourquoi perdre son temps à suivre les aventures, la vie et pleurer la mort d’un personnage si ses créateurs peuvent le faire revivre grâce à l’excuse multivers ? Pas difficile de comprendre que les sagas perdraient ainsi de leur tension dramatique et certainement aussi, au passage, l’enthousiasme du public.
Bientôt un combat entre Bugs Bunny, Arya Stark et Batman
En juillet sortira le jeu vidéo MultiVersus, dans lequel combattront des personnages d’au moins huit univers différents : Finn l’humain et Jake le chien d’Adventure Time, Arya de Game of Thrones, Le Géant de Fer, Bugs Bunny et Taz de Looney Tunes, Sammy et Véra de Scooby-Doo, Tom et Jerry, Steven Universe, Batman, Harley Quinn, Superman et Wonder Woman de DC. Si l’on parle ici plutôt d’un crossover (permis par la possibilité du multivers), il n’en reste pas moins que MultiVersus a de quoi embrouiller les esprits les plus aguerris à la physique quantique. Dans quel monde Véra a-t-elle une chance de gagner un duel contre Batman ?
Certes, c’est amusant, ça fédère et il faut parfois laisser la fiction s’exprimer de manière libre et remplir son rôle imaginaire, et on repassera pour la vraisemblance. Mais cette manière de raconter, reraconter, modeler, remodeler à l’infini les histoires ressemblent à un aveu de stérilité créative. Il faut que le multivers soit synonyme d’imagination, d’aventures, de mondes à revisiter, d’effets papillons en veux-tu en voilà. Pas le contraire.