Décryptage

Ces séries qui écornent les licornes (et détruisent le rêve des millenials)

11 juillet 2022
Par Florence Santrot
“WeCrashed”.
“WeCrashed”. ©Apple TV+

Irrépressible ascension, culot XXL, comportement de gourou et chute tout aussi monumentale… Le destin des licornes a tout pour faire un bon scénario et créer la convoitise chez les plus jeunes.

WeCrashed sur Apple TV+, Super Pumped sur MyCanal, The Dropout sur Disney+… Les titans déchus des sociétés licornes semblent devenir une nouvelle catégorie en vogue sur les plateformes de streaming vidéo. Dans la droite ligne de The Social Network, film sorti en 2020 et dédié à Mark Zuckerberg (Facebook), ou encore de Steve Jobs, long-métrage diffusé en 2016 sur le mythique fondateur d’Apple, voilà que les sociétés tech au destin chahuté passionnent Hollywood. Pour expliquer cette attirance pour ce genre d’histoires, Drew Crevello, l’un des producteurs de WeCrashed, explique que « la combinaison de la jalousie et de la joie malsaine est une drogue assez puissante ».

Ce nouveau genre est né de la fascination du public pour les arnaqueurs en tous genres. D’où le succès phénoménal sur Netflix de la série Inventing Anna, produite par Shonda Rhimes, qui présente l’histoire vraie d’une femme qui s’est faite passer pour une héritière et a escroqué des membres de l’élite new-yorkaise.

Inventing Anna.©Netflix

Ou encore le documentaire sur la supercherie du Fyre Festival, diffusé sur Netflix. Il retrace la préparation de cet événement musical unique qui devait se dérouler sur une plage paradisiaque des Bahamas. Présenté comme le « Coachella du riche », il finira en festival raté et une grosse arnaque à base d’influenceurs Instagram et de sandwichs au fromage même pas dignes d’une aire d’autoroute.

Start-up and down

Adam Neumann, le fondateur de l’entreprise de coworking WeWork, est interprété par Jared Leto, Elizabeth Holmes, fondatrice de Theranos (technologies de la santé), est jouée par Amanda Seyfried, Joseph Gordon-Levitt se glisse dans la peau de Travis Kalanick, PDG d’Uber… Les stars se bousculent pour interpréter ces boss brillants, mais à l’ego XXL et qui, à trop forcer leur chance et flirter avec la ligne jaune, se sont vite brûlé les ailes.

Super Pumped.©MyCanal

Dans WeCrashed, Jared Leto et Anne Hathaway interprètent avec brio ce couple qui veut réussir à tout prix et maîtrise le storytelling comme personne pour vendre tout et n’importe quoi. Tout et n’importe quoi, mais surtout du rêve. Comme faire passer une société immobilière de sous-location d’espaces de travail en entreprise tech grâce à une couche de collaboratif.

Une vision impossible à tenir sur le long terme, mais qui sera rapidement remplacée par une autre dans une permanente fuite en avant. Jusqu’à ce que la coupe soit pleine et que les investisseurs se lassent des excentricités d’Adam Neumann et de sa femme. Même chose chez Uber où Travis Kalanick ne cessait de demander toujours plus d’argent à ses fonds d’investissement. Grow or die est leur philosophie. Croître ou mourir… ou se faire virer. La preuve, WeWork et Uber ont survécu à leurs fondateurs.

WeCrashed.©Apple TV+

« De Shakespeare aux Grecs, les auteurs ont toujours été attirés par ces histoires tragi-comiques très médiatisées, dont tout le monde parle sur la place publique, explique à USA Today Tom Nunan, ancien président de NBC Studios et maître de conférences à l’UCLA School of Theatre, Film and Television. Aujourd’hui, ces histoires concernent les entrepreneurs, les enfants prodiges, les gens qui gagnent des milliards, parfois avec des mensonges, et qui, en fin de compte, en paient les conséquences. »

Des cracks et des krachs

Nombreuses sont les start-ups qui ont promis monts et merveilles, parfois même sans avoir le début de la queue d’une solution. Ce fut le cas de Theranos et de ses tests sanguins express et pas chers grâce à une machine révolutionnaire qui n’a jamais fonctionné. À ses débuts, Uber promettait la fin des embouteillages et même de la pollution avec son système de partage de voitures. Et Airbnb vantait son système de séjour chez l’habitant pour mettre fin aux guerres. Les Ukrainiens apprécieront.

The Dropout.©Disney+

Ces licornes ont toutes une chose en commun : leurs fondateurs croient dur comme fer que leur business va sauver le monde. Qu’ils font le bien pour l’humanité tout en gagnant un maximum d’argent. Et les millennials y croient. À commencer par les employés de ces start-ups, qui rejoignent presque un culte et se jettent corps et âme dans le « projet ». Jusqu’à déchanter. Il ne reste alors plus que des employés exploités qui ont cru, un temps, à une forme de capitalisme utopique.

Le miroir aux alouettes d’une réussite facile

Ces gourous aux comportements de rock stars sont devenus des exemples à suivre. À l’instar des influenceurs et des stars de téléréalité, il faut réussir vite, par tous les moyens. On glorifie celui ou celle qui a « fait un coup », piraté le système en quelque sorte. Pas étonnant qu’une série sur Elon Musk soit actuellement en préparation (en Angleterre, cette fois). Mais vient toujours le moment où l’on tombe de haut. « C’est la fin du rêve des millennials », explique Eleanor Burgess, une des auteurs du scénario de WeCrashed.

Combien de temps encore le bluff, le culot, la témérité et le cynisme seront encore loués comme des qualités par les plus jeunes, bien loin devant le travail acharné ? Même si, bien souvent, ces patrons déchus ont réussi en ne comptant pas leurs heures. « We work harder, we work longer and we work smarter », lance Joseph Gordon-Lewitt (Travis Kalanick) dans Super Pumped. Mais cela, les séries ne le montrent pas toujours.

À lire aussi

À lire aussi

Article rédigé par