Pourquoi ne pas offrir un peu de littérature ? Les fêtes de fin d’année approchant, il est temps de penser aux idées cadeaux. Pour (se) faire plaisir, quoi de mieux qu’un bon roman ? Afin de vous aider, voici une sélection personnelle des lectures qui m’ont le plus marqué cette année. Petit bilan de mes conseils en 2025.
Un perdant magnifique – Florence Seyvos (L’Olivier)
Un perdant magnifique, couronné du Prix Livre Inter 2025, nous offre le portrait saisissant de Jacques, un homme que la mère de la narratrice qualifiait d’exceptionnel, après l’avoir épousé. Flamboyant, instable, et profondément irresponsable, il traverse le récit comme une comète. Capable de dépenser son argent sans compter, alors que la famille est surendettée, sa présence, à la fois lumineuse et oppressante, laisse une empreinte indélébile sur ceux qui l’entourent. Florence Seyvos capte avec une justesse bouleversante le paradoxe de cet homme en marge, doux rêveur incapable de se confronter au réel, admirable dans sa démesure et son incapacité à aimer autrement que dans l’excès, jusqu’à exercer une certaine forme d’emprise.
Labeur – Julie Bouchard (La Contre-allée)
Le roman suit une galerie de personnages — chauffeur de bus, caissière, professeur, étudiante, agent de sécurité, truand — qui se croisent dans les lieux du quotidien : rue, supermarché, immeuble, bus. Chacun est pris dans le rythme de son labeur du jour, jusqu’à ce qu’un événement vienne gripper les rouages de leur routine et lier leurs destins de manière inattendue. La narration avance comme un passage de relais entre les personnages. Chaque chapitre, autonome comme une nouvelle, s’enchaîne par le biais d’un détail infime — une image, un geste, un mot — dont la précision donne sens à l’ensemble. Labeur est un roman choral qui ressemble à un puzzle pointilliste, révélant peu à peu un tableau sur lequel la solitude occupe le premier plan. De son écriture sensible, Julie Bouchard dit les difficultés de se lier, d’aimer et d’exister avec beaucoup d’humanité. Une vraie réussite !
Je rouille – Robin Watine (Calmann-Lévy)
Noé, adolescent en quête de repères, vit un été trouble dans une station balnéaire où il travaille, tandis que Léna, jeune fille solaire et privilégiée, revient chaque année comme une vague apparition. Entre eux, l’attirance est palpable, mais les différences sociales creusent un fossé silencieux. Dans une langue nerveuse et charnelle, Robin Watine explore les premiers émois, les tensions de classe et les désirs inavoués, livrant un récit d’apprentissage à fleur de peau. Je rouille est un premier roman incandescent qui capte les vertiges de l’adolescence de façon si intense que vous le lirez d’un trait.
Le Lit clos – Sophie Brocas (Mialet-Barrault)
En 1924 se déclenche à Douarnenez une révolte inédite. Les sardinières entrent en grève pour protester contre des conditions de travail insupportables. Sophie Brocas rend ici un hommage appuyé à celles qu’on appelait les Penn Sardines et au courage de toutes les femmes qui ont su défier la fatalité et l’oppression. Dans Le Lit clos, ce combat est magnifié par l’histoire d’amour entre deux femmes, Rose et Louise, qui participent à cette première grande grève féminine du XXe siècle. Portées par ce vent de liberté, elles osent s’aimer, mais la société patriarcale et religieuse les rattrape. Ce roman fluide et lumineux transcende l’histoire sociale pour célébrer le courage, la sororité et la quête de liberté.
La Colline qui travaille – Philippe Manevy (Le Bruit du monde)
La Colline qui travaille est le surnom du quartier de la Croix-Rousse à Lyon dans lequel se trouvaient les canuts, par opposition au quartier de Fourvière, surnommé « la colline qui prie ». Les canuts étaient ces tisserands de la soie qui ont fait la réputation et le succès industriel de la région lyonnaise. Dans son roman éponyme, Philippe Manevy rend un très bel hommage à ces ouvriers. Il livre un récit à la fois intime et puissant, porté par une écriture aussi tendre que poétique. À travers l’histoire de sa propre famille, il tisse une fresque sociale d’une grande empathie, où chaque souvenir devient un fil précieux dans la mémoire collective. Chaque chapitre explore un membre de la famille, traversant les deux guerres mondiales, les Trente Glorieuses, les crises économiques, et les désillusions du XXe siècle. Le livre a reçu le Prix Roman France Télévisions 2025, salué pour sa justesse émotionnelle, sa dimension historique, et son hommage vibrant aux gens ordinaires.
Les Têtes hautes – Martin Thibault (Editions Do)
Dans Les Têtes hautes, Martin Thibault transforme un banal vendredi 13 en un moment de grâce collective : treize ouvriers décrochent le gros lot au Loto, et avec lui, une parenthèse inattendue dans leur quotidien d’atelier. Ce coup du sort devient le point de départ d’un récit profondément humain, où la solidarité ouvrière prend toute sa force. À travers le regard d’un militant syndical, l’auteur célèbre la dignité des travailleurs avec humour, verve et une sincérité désarmante. Ce roman engagé, entre punchlines et tendresse, rappelle que le vrai jackpot, c’est peut-être de garder la tête haute, ensemble.
Fils prodigues – Colin Barrett (Rivages)
Portée par une écriture d’une rare humanité, Colin Barrett métamorphose une sombre histoire d’enlèvement en une œuvre lumineuse. Fils prodigues débute comme un polar noir avec deux petites frappes en quête de vengeance, puis s’élève rapidement au-delà du fait divers. L’auteur insuffle à ses personnages une profondeur bouleversante, révélant leurs failles, leurs espoirs et leur solitude avec une douceur mélancolique. Une écriture brute qui, même dans les moments les plus obscurs, fait surgir la tendresse, la compassion par la voie de la rédemption. Une littérature réaliste qui touche au cœur.
Les Eléments – John Boyne (JC Lattès)
Ce roman est une fresque magistrale, d’une grande puissance émotionnelle, sur les traumatismes et la culpabilité. John Boyne entrelace 4 récits avec 4 personnages différents tous reliés les uns aux autres. Une construction astucieuse que l’on retrouve aussi sur le thème central des abus sexuels sur mineurs abordé frontalement, en explorant les rôles de victimes, bourreaux, complices et facilitateurs. Il interroge la responsabilité morale des adultes et la complexité psychologique des personnages, nous obligeant à repenser les notions de reconstruction et de rédemption. Les Eléments, couronné par le Prix du Roman Fnac 2025, captive par sa richesse psychologique et sociale, offrant une lecture aussi envoûtante que bouleversante sur la quête de paix intérieure.
Les Preuves de mon innocence – Jonathan Coe (Gallimard)
Avec Les Preuves de mon innocence, Jonathan Coe signe une œuvre aussi audacieuse que jubilatoire. Démarrant comme une simple enquête criminelle, le roman se transforme en un labyrinthe littéraire où les genres se télescopent : du cosy crime à l’autofiction en passant par la dark academia, ces romans noirs qui se déroulent dans les milieux universitaires. Coe manipule les codes narratifs avec brio pour mieux dénoncer les dérives de l’extrême-droite, tout en célébrant le pouvoir subversif de l’imagination. Une satire politique mordante et un roman à énigmes inventif, ce livre est un véritable tour de force, à la fois drôle et intelligent.
A la table des loups – Adam Rapp (Seuil)
A la table des loups est une saga familiale envoûtante et troublante, traversant près de soixante ans d’histoire américaine. Les membres de la famille Larkin, chacun marqué par ses blessures et ses secrets, évoluent dans une atmosphère où plane une menace sourde, presque animale. Les loups semblent rôder partout, qu’ils soient tapis dans l’ombre ou nichés au cœur des personnages, auxquels on s’attache vite. La narration alterne les points de vue avec une efficacité troublante. S’émane peu à peu une atmosphère oppressante qui s’infiltre jusque dans les tréfonds de l’âme noire américaine. Adam Rapp publie une fresque intime hypnotique, entre thriller psychologique et portrait d’une Amérique fracturée. Une vraie réussite pour un premier roman.