En ce 11 juin, Françoise Hardy s’est éteinte, à l’âge de 80 ans dont 62 ou presque à chanter et à inspirer nombre de générations d’artistes. Retour sur le parcours exceptionnel de cette artiste, d’abord idole puis icône, en France et dans le monde.
Françoise Hardy, une chanteuse iconique
Comment parler d’une icône comme Françoise Hardy ? Tâche ardue car on a peur de ne pas être à la hauteur, d’en donner une image trop floue. Parce que d’icône, il s’agit vraiment ! Une de celles qui peut se prévaloir de plus de 60 ans de carrière et de chansons intemporelles en pagaille ! Celle qui n’aimait pas son corps et son allure mais qui est devenue un idéal féminin. De fait, sa silhouette longiligne et sa beauté captivante l’ont transformée en ambassadrice de la mode (Courrèges, Paco Rabanne, Saint-Laurent) faisant se pâmer tout le Swinging London de l’époque. Car Françoise Hardy a eu une carrière dans le monde entier, en particulier en Angleterre où elle se rendait souvent pour enregistrer et faire des concerts. Elle a côtoyé les plus grands (Beatles, Rolling Stones, Bob Dylan…) parce qu’elle faisait et fait partie des plus grands. D’ailleurs, sait-on à quel point elle a inspiré les autres ? Comme Dylan qui, sur la pochette de son album Bringing It All Back Home en 1965, pose avec le disque de Tous les garçons et les filles à ses pieds. Ou comme le réalisateur américain Wes Anderson qui a écrit une scène du film Moonrise Kingdom juste parce qu’il aimait la chanson Le Temps de l’amour.
Tant de belles choses…
Elle est l’une des rares artistes de l’époque à écrire textes et musiques, des chansonnettes comme elle dit, mais des chansonnettes qui ont traversé le temps. Alors regagnons le passé et (re)découvrons quelques-unes de ses chansons afin de dresser le portrait de l’une des plus grandes artistes françaises… Madame Françoise Hardy !
Tous les garçons et les filles (1962)
Ce titre fait partie du 1er EP sorti par Françoise Hardy et c’est sans doute son plus grand succès. On y perçoit ce qui fait la personnalité de l’artiste à l’époque, une demoiselle timide, pas très à l’aise en amour, peu sûre d’elle, de sa féminité et de sa beauté. Et pourtant, à l’origine, ses éditeurs n’avaient pas choisi ce titre pour lancer leur nouvelle chanteuse prometteuse.
Après sa signature avec sa maison de disques, son éditeur veut absolument que Françoise enregistre une chanson américaine proposée par un confrère, car la similitude avec la voix de Françoise le frappait. Cette chanson s’appelle Oh Oh Chéri. On hésite aussi avec J’suis d’accord. Mais Françoise Hardy possède déjà des chansons de son cru et a un petit un petit faible pour Tous les garçons et les filles. Timide mais suivant son instinct, elle réussit à se faire entendre. Les ventes s’enflamment et continueront de s’enflammer lors de ses passages télévisés dans Toute la chanson d’André Salvet – l’émission de variétés de l’époque ! – et surtout lors de la soirée électorale du 28 octobre où Charles De Gaulle, par référendum, demandait aux Français.es que le président soit élu au suffrage universel. Ça y est ! Sa carrière est lancée et le tourbillon dans lequel elle plonge va l’emmener très loin, aux quatre coins du monde.
Mon amie la rose (1964)
Après avoir adapté deux chansons italiennes (Non aspetto nessuno de Little Tony et Everamo Amici de Dino), Françoise Hardy entre en studio pour enregistrer d’autres titres. Parmi ceux-ci, il y a Mon amie la rose. Elle avait entendu cette chanson en 1962 dans la classe du Petit Conservatoire de la chanson de Mireille. Son auteure s’appelle Cécile Caulier. Lorsque les deux femmes se croisent plus tard, la chanteuse demande des nouvelles de cette chanson qui lui trotte encore dans la tête. Madame la rose devient Mon amie la rose orchestrée par Charles Blackwell, un homme qui lui sera fidèle pendant des années et lui fera acquérir un son nouveau. Mireille avait dit de cette chanson qu’elle aurait son destin, qu’il fallait une rencontre entre une chanson et l’interprète. Elle avait vu juste. La reprise par Natacha Atlas dans une version orientale lui vaudra plus tard une nouvelle jeunesse, et confirmera les prédictions de Mireille.
All over the world – In English (1966)
Devant sa célébrité grandissante en Angleterre, Françoise Hardy décide de faire un disque destiné au marché britannique. C’est ainsi qu’elle enregistre des adaptations anglaises de ses propres chansons sous la houlette de Charles Blackwell. Ce premier album, le premier d’une longue liste, s’appelle In English et contient la chanson All over the world (Dans le monde entier). Elle est plusieurs fois honorablement classée dans les hits anglais. Elle chante même au Savoy, un cabaret se trouvant dans le palace du même nom, le temple mythique du moment. Cela lui vaut une très belle réputation à l’époque mais aussi auprès des générations d’artistes britanniques qui suivent. Par exemple, Morrissey des Smiths a avoué avoir été obsédé par ses chansons. David Bowie, quant à lui, a dit qu’il l’avait passionnément aimée. Les garçons de Blur lui ont même demandé de participer à l’une de leurs créations. C’est ainsi qu’elle pose sa voix sur le titre To the end (La comédie) pour la version française en 1995, sur l’album The great escape. Peu d’artistes de l’époque peuvent se targuer d’avoir connu une renommée aussi importante et aussi pérenne.
La maison où j’ai grandi (1966)
En 1966, Françoise Hardy participe au Festival de San Remo, le festival italien incontournable. Quelle que soit la popularité de l’artiste, cet événement impose des phases éliminatoires. Adriano Celetano, qui présentait Il raggazzo della via Gluck, fut recalé. Pas Françoise. Elle craque immédiatement pour cette chanson et, de retour à Paris, décide de l’adapter. Ses éditeurs sont peu emballés par le projet mais Françoise résiste une nouvelle fois, et cela devient la superbe chanson La maison où j’ai grandi, qui connaîtra un immense succès. D’ailleurs, des années plus tard, Il raggazzo della via Gluck est devenu un titre que tous les Italiens entonnent en chœur dans les concerts du grand Celetano.
Voilà – Ma jeunesse fout le camp (1967)
La mélancolie amoureuse de Françoise Hardy et la complexité de sa relation avec Jacques Dutronc sont de notoriété publique. La chanteuse s’est souvent inspirée de sa vie pour écrire ses textes, envoyant par là-même des messages vers son amour. En juin 2021, Michel Denisot reçoit Jacques Dutronc et évoque cet aspect. Piqué au vif, Jacques Dutronc lui répond qu’il a bien conscience que les chansons de Françoise lui sont adressées. « C’est ce qu’elle croit. Je sais qu’il y en a une qui m’est totalement dédiée, elle s’appelle Voilà. » La déclaration d’une femme trompée à celui qu’elle aime, lui exprimant ses frustrations. C’est dit.
Des ronds dans l’eau – Ma jeunesse fout le camp (1968)
Pierre Barouh et Raymond Le Sénéchal signent ce titre interprété par Nicole Croisille et Annie Girardot pour le film de Claude Lelouch Vivre pour vivre. Curieusement, c’est la reprise de Françoise Hardy qui popularise cette chanson.
Comment te dire adieu (1969)
On reconnaît bien la patte musicale et littéraire de Serge Gainsbourg. Nous sommes en 1968 et Françoise Hardy aimerait bien reprendre une chanson anglo-saxonne, It Hurts to Say Goodbye, d’Arnold Goland et Jack Gold, interprétée par Margaret Whiting. Malgré son talent et l’envie de la chanter, Françoise bloque sur le texte. Son manager de l’époque, Lionel Roc, lui propose de demander à Gainsbourg, tout auréolé du succès rencontré par sa muse de l’époque, Brigitte Bardot. Gainsbourg accepte et vient présenter la chanson à Françoise à l’hôtel Savoy (Londres) où elle séjourne. L’idée de Gainsbourg est de jouer sur la rythmique à la césure des mots avec une syllabe en ‘-ex’. C’est ce qui donne à ce titre toute sa magie et sa singularité. Il devient le morceau le plus emblématique de l’album éponyme. Sacré Serge !
T’es pas poli avec Patrick Dewaere (1971)
C’est au Café de la gare que Françoise Hardy fait la connaissance de Patrick Dewaere et de sa femme Sotha. Ce premier, fou amoureux de musique (presque plus que de comédie), avait composé une chanson, T’es pas poli, qu’il chantait avec sa femme sur scène. Conquise, Françoise Hardy propose aux deux artistes de les produire. Ils préférèrent qu’elle assure la partie féminine. C’est Jacques Higelin qui les accompagne à la guitare en studio.
La question (1971)
Dans son édition originale, l’album ne porte pas de titre. Puis, il s’appelle Viens lors d’une réédition en 1988 ou La question pour la réédition de 1995. Lors du 3e Festival International de la chanson populaire de Rio de Janeiro en 1968, Françoise Hardy rencontre Léna, une brésilienne avec qui elle sympathise qui lui présente son amie chanteuse Tuca… La question, c’est celle d’une femme qui attend inlassablement son homme, un homme libre comme le vent qui lui échappe désespérément. Avec sa guitare, ses mélodies douces aux accents bossa, Tuca signe une musique qui colle totalement au timbre de Françoise et à son âme. Les cordes (parmi elles apparaît une certaine Catherine Lara) subliment le tout. Ce n’est pas son plus grand succès mais cette chanson et l’album sur lequel elle figure marquent une étape dans l’évolution de l’artiste. Le spleen de sa vie personnelle s’entrechoque avec la parfaite liberté d’artiste qu’elle s’octroie.
Message personnel (1973)
Après l’échec de ses deux précédents albums et la fin de son contrat avec Sonopresse, Françoise Hardy est un peu perdue. Jean-Marie Périer l’invite à se tourner vers Michel Berger, jeune auteur compositeur prometteur. Ce dernier arrive avec ce qui deviendra Message personnel. La chanteuse est immédiatement sous le charme. Berger lui demande d’écrire une partie parlée. Si cette chanson figure parmi les plus belles de son répertoire, le souvenir de l’enregistrement reste assez douloureux, comme elle l’explique dans son autobiographie : « Berger, aussi fragile qu’il parût, faisait preuve d’une autorité, d’une exigence et même d’une intransigeance intimidantes. (…) Ma voix parlée me dérangea et j’obtins de la refaire au retour des vacances. (…) Ce ne fut pas le cas. La maison de disque utilisa la mauvaise version, (…) reconnaissable à la façon dont je coupe et laisse perché en l’air aussi peu naturellement que possible le mot voix, quand je dis au bout du téléphone il y a votre voix. Je n’arrive pas à m’y faire et suis toujours aussi contrariée quand je l’entends« .
Partir quand même – Décalages (1988)
Un jour, dans sa maison de la rue Hallé, Françoise entend une mélodie qui lui plaît beaucoup. C’est une composition de Jacques Dutronc et il lui propose d’en écrire les paroles. Partir quand même voit ainsi le jour et intègre l’album Décalages. Une deuxième version sortira avec Julio Iglesias. Pour la petite histoire, Henri Salvador, le père de son ex-compagnon Jean-Marie Périer, avait prévu de l’enregistrer accompagné de 40 musiciens. Il décéda avant de concrétiser le projet.
Dix heures en été – Le danger (1996)
Cette chanson marque l’une de ses collaborations avec Rodolphe Burger. Dès qu’elle entend la musique et cette boucle, elle ressent « une atmosphère à la Marguerite Duras« . Le texte lui vient un soir d’été orageux alors que trône dans la bibliothèque un livre intitulé Dix heures et demi du soir en été. « Encore aujourd’hui« , explique-t-elle dans Chansons sur nous et sur toi, « quand quelqu’un évoque l’album Le danger, c’est presque toujours cette chanson qui est citée. »
Puisque vous partez en voyage avec Jacques Dutronc – Clair Obscur (2000)
Mireille a beaucoup compté pour Françoise Hardy qui a participé au Petit Conservatoire, apprenant sous les conseils avisés de la maîtresse de maison à faire des chansons et plus encore. Il est resté une amitié très forte entre les deux femmes. Jacques et Thomas admiraient et aimaient beaucoup Mireille. C’est ainsi que les trois artistes mirent beaucoup de cœur à faire cette reprise d’une chanson de Mireille et Jean Nohain.
Tant de belles choses – Tant de belles choses (2004)
Nous sommes en 2004 et la maladie frappe Françoise Hardy. Elle prend alors conscience de sa fragilité. C’est à son fils Thomas qu’elle s’adresse dans cette sublime chanson, pleine d’amour et de pudeur à la fois. Ses problèmes de santé et la musique de la femme d’Alain Lubrano, Pascale Daniel, lui inspirent ce texte profond à la fois si intime et si universel.
Modern styles avec Alain Delon – Parenthèses (2006)
En 2006, avant que ce soit la mode, la maison de disque de Françoise Hardy lui propose de faire un album de duos. C’est ainsi que naît l’album Parenthèses et ce duo avec Alain Delon. Modern Styles (écrite par Jean Bart) faisait partie de ces chansons qui dormaient dans son coffre mais qui n’arrivaient pas à voir le jour. L’acteur accepte immédiatement de participer. Lors de l’enregistrement, Alain Delon demande à Françoise de rester à côté de lui. « C’était surréaliste ! Nous n’étions que trois – Dominique Blanc-Francard, le propriétaire du studio Labomatic, sa femme Bénédicte qui le remplaçait à la console, moi donc et fûmes impressionnés par l’intensité dramatique d’une parfaite justesse que cet immense acteur mit immédiatement dans son interprétation de Modern style. Ce fut un moment inoubliable ». (Chansons sur toi et nous)
« Ma préoccupation majeure en tant qu’auteure aura toujours été de me mettre au service du cadeau du ciel qu’est une belle mélodie et d’arriver autant que possible à sa hauteur. » Françoise Hardy a fait bien plus que cela. Elle a coloré la chanson française de sa voix feutrée, de sa mélancolie, de sa poésie. Pas étonnant que les artistes aussi divers que Louis Chedid, Michel Jonasz, Gabriel Yared, Etienne Daho, Rodolphe Burger, Thierry Stremler, Calogero ou La Grande Sophie aient collaboré avec elle. Pas étonnant non plus qu’elle ait écrit pour les autres : Fais-moi une place de Julien Clerc (Victoire de la musique de la chanson de l’année en 1991), Faire à nouveau connaissance de Diane Tell, La pleine lune de Jane Birkin…