Quelles lectures retenir de 2023 ? Quels romans m’ont le plus ému, touché ou marqué parfois durablement ? C’est ce que je vous propose de découvrir dans cette sélection très subjective. Et vous quels sont vos coups de cœur de l’année ?
Éteindre la lune – William Boyle (Gallmeister)
On commence avec un grand écrivain américain qui nous livre un nouveau roman bouleversant de beauté et de bonté publié en janvier dernier par les éditions Gallmeister.
Traduit par Simon Baril, le titre original Shoot the Moonlight Out vient d’une chanson des années 1970 de Garland Jeffreys. Une histoire d’amour et de seconde chance qui se prête très bien à l’œuvre de William Boyle.
On s’occupe comme on peut à 14 ans dans un quartier où la frustration a pris le pas sur l’espoir. Bobby trompe son ennui en balançant des pierres sur des voitures du haut d’un pont. Lorsque l’une d’elles provoque un accident mortel, la fuite sera son reflexe et sa porte de sortie. Mais on n’échappe pas si vite à son destin quand le père de la jeune victime est un redresseur de tors mandaté par les gens modestes de son quartier pour intimider les escrocs qui essaient de les usurper.
William Boyle n’a pas son pareil pour faire se croiser, décroiser et recroiser des trajectoires de vie qui n’auraient jamais dues se rencontrer. Par le biais d’un atelier d’écriture qui lui sert à exorciser sa douleur, Jack, le père, va retrouver la trace de celui qui a tué accidentellement sa fille.
Eteindre la lune pour ne jamais étouffer la flamme de l’espoir, de la vérité et du pardon. Telle pourrait être la moralité de ce très beau roman pétri d’humanité.
Mungo – Douglas Stuart (Globe)
Dans une véritable escalade d’émotions, Douglas Stuart nous entraîne sur les pas de Mungo qui vit dans un quartier populaire de Glasgow dans les années 1990. Un cadre et une époque où les pas de coté sur l’identité sexuelle et plus encore sur la religion ne sont pas permis. Mais Mungo est un jeune garçon fragile attiré comme un aimant par James, un jeune voisin qui a le malheur d’être catholique dans une ville protestante.
La mère de Mungo décide de l’envoyer en stage de redressement avec deux hommes qui ont promis de faire de lui un homme, un vrai. Elle ne prend même pas la peine de vérifier leurs prétendues compétences en la matière. Entre ses relations de couple avortées, son refus de vieillir, un fils trop faible et le second, un caïd version tête brûlée, elle est complètement dépassée.
C’est le début de l’enfer pour Mungo, mais peut-être aussi celui d’une renaissance et de la construction de sa personnalité. Dans la solitude des forêts de l’Écosse profonde, Mungo va devoir apprendre à se battre pour survivre et gagner sa liberté.
Après le bouleversant Shuggie Bain, Douglas Stuart manie avec talent les bouleversements des sentiments en alternant les scènes de tendresse et de cruauté. Certains passages sont âpres et violents, mais d’autres pages sont autant de magnifiques pages d’amour, d’une beauté déchirante, magnifiquement traduites par Charles Bonnot. Mungo est un roman étincelant et magnétique comme on en lit rarement.
Abondance – Jakob Guanzon (La Croisée Delcourt Littérature)
Un père et son fils de 8 ans vivent dans une voiture. Au chômage et sans logement, Abondance semble être un titre mal choisi tant chaque journée est un combat pour Henry afin de pouvoir se nourrir, se laver et dormir dans un lieu sûr. Nous sommes aux Etats-Unis, pas pendant la Grande Dépression ou une énième crise économique, mais de nos jours au sein d’un pays à l’économie prospère. Avant, Henry avait pourtant une vie famille, un foyer et de l’espoir à revendre. Comment a-t-il fait pour tout perdre ? Comment peut-il survivre ?
Ce roman est une véritable course poursuite après l’espoir. Loin de tout misérabilisme, Jakob Guanzon parvient à rendre dynamique une situation qui semble désespérée. Il nous tient en haleine avec la quête d’Henry pour trouver un travail et rythme ses chapitres en fonction du contenu très fluctuant de son porte-monnaie.
Une écriture vive, traduite par Charles Bonnot, qui illumine ses deux « ombres vagabondes » dans le silence assourdissant des « cathédrales d’abondance » que sont les zones commerciales. Un premier roman qui est un bijou d’humanité.
Marzahn, mon amour – Katja Oskamp (Zulma)
Au mitan de sa vie, à un âge où on lui promet de devenir invisible, une écrivaine se rebelle. Reconvertie en pédicure, elle s’installe à Marzahn, autrefois cité modèle de l’ex-RDA. Des soins des pieds aux soins des âmes, il n’y a qu’un pas qu’elle franchit allègrement. Empreintes de bonté et de bienveillance, les tranches de vie de ses patients qu’elle nous rapporte sont comme des instants suspendus de tendresse.
Marzahn, mon amour est un enchantement, un véritable concentré d’humanité, original et délicat. Tour à tour insolites ou tragiques, ces vies ordinaires deviennent un peu les nôtres et se rapprochent de l’universel grâce à la plume sensible de Katja Oskamp. Une comédie humaine en miniature à dévorer d’une traite ou à déguster par petits chapitres et à offrir, car c’est un véritable cadeau que de le lire !
Les Silences des pères – Rachid Benzine (Seuil)
22 ans qu’ils ne se sont pas vus, ni donnés de nouvelles. A la mort de son père, le fils retourne à Trappes, sa ville natale, et découvre une collection de cassettes audio enregistrées par le défunt. Taiseux et en rien démonstratif, c’est la redécouverte d’un homme et de ses origines. S’adressant à son propre père resté au Maroc, il parle comme jamais son fils ne l’a entendu « enfoncé dans son fauteuil et dans son silence » : l’exil, l’installation dans le Nord de la France, les difficultés de l’intégration, le travail d’ouvrier, les camps de harkis. Maintenant que l’absence a remplacé le silence, il s’agit de combler les trous d’une mémoire intime et politique. Avec Les Silences des pères, cette vie de non-dits a aussi une portée historique.
Il arrive parfois que les pères ne sachent pas s’exprimer. Les fils non plus. Comment renouer les fils d’une relation que l’on n’a pas vécue ? Les enregistrements permettent petit à petit de mettre des mots sur l’histoire de ce grand inconnu. Le plus dur est de faire le premier pas et savoir entendre la voix de ces silences. Un livre de Rachid Benzine très touchant et d’une grande dignité.
Les Voleurs d’innocence – Sarai Walker (Gallmeister)
La famille Chapel a construit sa fortune avec les armes à feu. Père de six filles, le patriarche et chef d’entreprise s’occupe peu de la vie de ses enfants. La mère de famille erre sans but dans les couloirs de l’immense demeure victorienne, quand elle ne remplit pas le manoir de ses hurlements de terreur nocturnes. Une femme seulement apaisée par son jardin et l’étude de la botanique. Toutes ses filles portent d’ailleurs un prénom de fleur : Aster, Rosalind, Calla, Daphne, Iris et Hazel.
Attention nous ne sommes pas ici dans un conte de fées, ni même un conte maléfique, mais peut-être un peu entre les deux. Très vite, on s’aperçoit que quelque chose ne tourne pas rond dans cette maison. Une malédiction étrange semble frapper les Chapel. À peine mariées, les deux aînées meurent subitement… Les Voleurs d’innocence est un roman à l’atmosphère gothique parfaitement maîtrisée qui peut prêter à diverses interprétations dans une ambiance des années 50 qui ajoute du mystère et rend la lecture d’autant plus addictive.
Inspirée par la vie de Sarah Winchester, veuve du fabricant d’armes dont la maison était paraît-il hantée, des peintures florales de Georgia O’Keefe ou des poèmes mélancoliques d’Emily Dickinson, l’écriture de Sarai Walker exerce à coup sûr une fascination dont il est très difficile de se détacher.