Si les auteurs-compositeurs-interprètes dominent la chanson française à texte, certains chanteurs ont depuis longtemps préféré s’adjoindre les services de paroliers éminents. Certains ont même une double casquette : ainsi Philippe Djian est d’abord un romancier, qui a écrit quelques-uns des plus grands textes de Stephan Eicher. Voici dix exemples de collaborations réussies entre paroliers-écrivains et musiciens.
Jean-Paul Sartre
En 1938, Agnès Capri, chanteuse et autrice, crée un cabaret, Chez Agnès Capri, rue Molière, à Paris. C’est un lieu à part de la scène musicale de l’époque : en effet, le répertoire qui y est donné n’est constitué que de chansons écrites par des poètes. Ainsi, Apollinaire, Aragon ou Max Jacob y sont mis en musique, à une époque où le « littéraire » fait son entrée du côté de la rive gauche. Après-guerre, la tendance devint un véritable courant. Juliette Gréco débutante donna ainsi une version de La Rue des Blancs-Manteaux, un titre anti-peine de mort signé Jean-Paul Sartre. Le roi de l’existentialisme avait initialement conçu cette chanson pour sa pièce Huis clos, avant de la « donner » à la future star de la chanson. Un titre qu’on peut retrouver notamment dans l’album Je suis comme je suis.
Raymond Queneau
Fréquentant lui aussi Saint-Germain-des-Prés et Juliette Gréco, Raymond Queneau a laissé quelques chansons au répertoire Rive gauche. Cora Vaucaire (Port et Adieu), les Frères Jacques (Le Repas ridicule) ou Marie Popp (Sur le banc d’un square) ont ainsi interprété ses poèmes ludiques et émouvants. Mais c’est à Gréco encore que l’on doit l’une des plus belles mélodies tirées des textes du créateur de l’Oulipo. Avec Si tu t’imagines, elle créa à nouveau l’événement, comme interprète inoubliable des plus grands écrivains de son temps.
Jacques Prévert
Dans les années 1930, c’est d’abord comme scénariste-dialoguiste que le grand public découvrit le nom de Jacques Prévert. Et c’est d’ailleurs pour un film que le poète créa les paroles de la plus belle chanson française de l’Histoire : Les Feuilles mortes. Si le morceau ne fut pas entièrement chanté au cinéma (dans Les Portes de la nuit), ce classique va connaître un destin fameux, par le biais de deux interprètes, Cora Vaucaire et Yves Montand. La mélodie de Joseph Kosma deviendra un standard de jazz (Autumn Leaves) tandis que les poèmes de Prévert continueront d’inspirer la musique, à l’exemple de Barbara par Les Frères Jacques. Et rappelons que le plus grand recueil de l’écrivain s’intitule tout simplement… Paroles.
Michel Houellebecq
Si Michel Houellebecq doit son succès littéraire à ses romans, comme Les Particules élémentaires ou La Carte et le Territoire, l’homme n’a jamais caché son goût pour Neil Young et la poésie. Aussi, au début du siècle, il a livré un album dans lequel il parlait-chantait, Présence humaine. Puis sa plume se fit remarquer de certaines voix : Carla Bruni reprit un de ses poèmes, avant que Jean-Louis Aubert ne fasse tout un album à partir des rimes de l’auteur mélancolique : Les Parages du vide, sorti en 2014.
Philippe Djian
Écrivain générationnel, dont on tira de l’œuvre un film culte (37°2 le matin), Philippe Djian est aussi l’auteur d’une immense chanson : Déjeuner en paix. Ce titre évocateur des soubresauts intimes vécus lors de la Guerre du Golfe reste emblématique d’une très belle collaboration entre l’auteur et son collaborateur-musicien favori : Stephan Eicher. À deux, ils ont construit une œuvre commune remarquable, à écouter sur des disques comme Engelberg, Taxi Europa ou L’Envolée, sans oublier certains concerts collectifs !
Philippe Labro
Journaliste, patron de presse, cinéaste, écrivain (L’Étudiant étranger, Tomber sept fois, se relever huit), Philippe Labro a aussi été parolier pour l’idole des jeunes : sa collaboration démarre avec Johnny Hallyday pour l’album Vie, de ce dernier, et notamment la fameuse chanson Jésus-Christ. Fils de personne, Oh ! Ma jolie Sarah, Comme un Roc et Pardon, ainsi que l’intégralité de l’album Flagrant délit, sont à mettre au crédit de l’auteur, qui reste un important relais de la « maturité » qu’a déployé petit à petit la star du rock français dans ses choix de thématiques.
Virginie Despentes
Dans son œuvre romanesque, Virginie Despentes n’a jamais caché son amour du rock. En témoigne notamment sa saga Vernon Subutex, flashback dans le milieu underground des années 1980 à Paris. Mais elle a aussi prêté sa plume pour les paroles d’un groupe rock très apprécié il y a quinze ans : A.S. Dragon. Pour le deuxième album de ce combo (qui, pour l’anecdote, a accompagné Michel Houellebecq sur scène), Va chercher la police, l’autrice a notamment écrit Corine et Seules à Paris, deux chansons efficaces ayant pour thème l’homosexualité.
Jean-Loup Dabadie
Romancier, scénariste/dialoguiste, dramaturge et auteur de sketch, Jean-Loup Dabadie fait figure d’homme de lettres complet. Dans les années 1960, il devient parolier, et du genre prolixe : on lui doit Tous les bateaux, tous les oiseaux ou Lettre à France de Polnareff, une vingtaine de titres pour Julien Clerc, Chanteur de jazz de Sardou ou des textes pour Elsa, Reggiani, ou Johnny. Preuve de la polyvalence de cet immense auteur, à retrouver sur la compilation dédiée à ses textes !
Gaël Faye
Cas à part dans la musique française, Gaël Faye semble être le parolier de sa propre existence. Sa plume romanesque correspond à son flow de rappeur, et pour cause : connu avec Pili-pili sur un croissant au beurre, son premier album, il se révèle un excellent romancier, comme l’atteste Petit pays. De là à penser que sa vocation de parolier vient de son goût pour l’écriture, il n’y a qu’un pas que l’on franchit allégrement !
Jean-Claude Carrière
Scénariste et brillant essayiste, Jean-Claude Carrière s’est lui aussi porté sur les paroles des chansons. Il a ainsi donné quelques titres à Juliette Gréco, à découvrir sur ses albums Un jour d’été et quelques nuits et Ça se traverse et c’est beau. L’auteur a aussi donné à Delphine Seyrig une très belle chanson, Une fourmi et moi, exemple parmi d’autres de son talent et de son imagination.
