Peu après la Renaissance, un courant baroque a traversé l’art européen, que ce soit en matière architecturale (Le Bernin, Mansart), picturale (Michel Ange, Rubens) et musicale (de Lully à Bach). En littérature, ce style mêlant ornementation et virtuosité s’est exprimé au travers d’œuvres poétiques, romanesques, théâtrales. Retour sur les chefs-d’œuvre les plus représentatifs du baroque.
Satyre Ménippée (collectif) – 1594
Sortant de décennies de guerres de religion, la France se cherche un nouveau roi, à la fin du XVIe siècle. L’opposition entre la Ligue, composée d’aristocrates catholiques fanatiques, et le roi Henri IV, héritier légitime du trône et ancien protestant, est le sujet de la Satyre Ménippée. Prenant parti pour la liberté religieuse prônée par le souverain, des membres des grandes institutions parisiennes décident de moquer les ligueurs à travers une « satire », renommée Satyre Ménippée. Parodiant à la fois les récits allégoriques à message politique et les « États généraux », ces assemblées rassemblant noblesse, clergé et tiers état, les six écrivains anonymes derrière cet ouvrage réussissent un tour de force baroque, employant à bon escient pastiche et citations érudites tout en ridiculisant les orateurs de leur temps.
Ouvrage historique important, Satyre Ménipée est un récit curieux et une preuve de la grande liberté littéraire à laquelle aspiraient les humanistes qui ont adopté la posture baroque.
Les Aventures de Simplicissimus d’Hanks Jakob Grimmelshausen – 1669
S’inspirant des romans picaresques espagnols, Hanks Jakob Grimmelshausen importe le caractère baroque et libre de ce type de récits avec Les Aventures de Simplicissimus. Autour de l’existence rocambolesque du héros éponyme, l’écrivain nous fait parcourir l’Europe durant la guerre de Trente Ans, au gré de péripéties qui ballotent le personnage principal entre mission militaire, brigandage, vie sentimentale. Merveille d’aventure loufoque, ce roman loin des carcans montre une certaine modernité, toujours appréciable quatre siècles plus tard.
Introduction à la vie dévote de François de Sales – 1609
La période baroque correspond à un moment particulier de l’histoire religieuse, marquée par la tension entre Réforme protestante et Contre-Réforme catholique. Même dans l’art, le souci de la grandeur et de l’ornementation provient d’une volonté des milieux « papistes » d’impressionner les fidèles. Le grand penseur spirituel François de Sales s’inscrit dans un même mouvement avec son Introduction à la vie dévote. À la fois manuel de vie quotidienne et récit métaphorique très riche sur la purification de l’âme, ce texte magistral figure comme exemple canonique d’écrit religieux baroque.
La vie du truand Don Pablos de Ségovie, vagabond exemplaire et modèle des filous de Francisco De Quevedo – 1626
Le roman picaresque espagnol a largement contribué au succès de la littérature baroque. En témoigne La Vie du truand Don Pablos de Ségovie, vagabond exemplaire et modèle des filous, qui narre par le menu l’apprentissage et les méfaits d’un « picaro » typique, réussissant son ascension sociale à travers moult canulars, larcins et autres comédies. Satirique à souhait, ce récit tire sa réussite d’une particularité baroque : l’usage du clair-obscur. Entre la noirceur de certains passages et le caractère presque burlesque d’autres scènes, entre humour et réalisme, cette œuvre inouïe apparaît comme l’un des grands mythes de la littérature espagnole.
Les Essais de Montaigne – 1580
Inventant un genre à lui tout seul – l’essai, qui diffère du traité ou de la somme – Montaigne a eu une postérité fameuse dans l’Histoire de la littérature. Par ses Essais, il a couché sur le papier toute sa pensée, qu’elle touche aux mœurs, à la raison, à la foi, à la paix, la métaphysique… Sceptique et ironique tout à la fois, truculent et plein de bon sens, cet érudit retiré dans son château a transmis par ce grand ouvrage la pensée antique et anticipé le modernisme. Bien que dense, ce classique se lit extrêmement facilement, en particulier grâce à une forme assez baroque qui nous fait davantage suivre le fil d’une conscience qu’une logique dialectique.
L’Illusion comique de Corneille – 1639
Présentée avant que Corneille ne triomphe dans le genre « classique », la pièce L’Illusion comique incarne comme nul autre texte le baroque au théâtre. Sa dramaturgie est en effet construite comme des poupées gigognes : les personnages assistent à une mise en scène, qui elle-même reconstitue un récit théâtral. Par ce procédé, cette tragi-comédie présente toutes les formes de l’époque, puisque s’y mêlent une authentique tragédie et une comédie de mœurs. Elle est depuis un classique authentique, encore renforcé par la postérité du personnage de Matamore, archétype du fort en gueule qui n’agit jamais.
Le Criticon de Baltasar Gracian
Également titré L’Homme détrompé, Le Criticon résonne toujours aujourd’hui, en tant que roman fondamentalement européen. Présentant le voyage (dans le temps et sur le continent) de Critile et d’Andrenius, cette vaste allégorie de l’existence nous fait suivre les âges de la vie, représentés par les saisons, et le cheminement de la raison de manière métaphorique. En faisant incarner les idées de l’époque par des personnages, Baltasar Gracian a construit un chef-d’œuvre baroque haut en couleur et parsemé d’images fortes et édifiantes.
La Vie est un songe de Pedro Calderon – 1636
Pedro Caldéron représente comme Corneille, l’aboutissement de l’évolution du baroque au théâtre. Dans La Vie est un songe, il met en scène la réalité vécue comme une expérience purement sensible, interrogeant par là même, la notion de liberté d’action. Centré autour d’un roi superstitieux et de son fils, que son père souhaite éloigner de la couronne en lui faisant croire qu’il rêve, ce drame sur les faux-semblants et la croyance intègre la notion de « masque », très importante à l’époque, qui renvoie notamment à l’illusion.
L’Astrée d’Honoré d’Urfé – 1627
Les amours contrariées d’Astrée et de Céladon – ils s’aiment, mais leurs familles se détestent – ont fourni à Honoré d’Urfé le thème central de cette fresque gigantesque. On y croise différentes formes, empruntées au récit antique aussi bien qu’au roman de chevalerie. La tournure pastorale (les deux héros sont bergers) du récit se pare ainsi de thèses autour de l’amour aussi bien que d’anecdotes guerrières.
Par sa profusion, L’Astrée appartient à une littérature baroque dite « précieuse », un genre qui a notamment été exploité en France et en Angleterre.
Les Tragiques d’Agrippa D’Aubigné – 1616
Dans ce poème dit « héroïque » en alexandrins, Agrippa D’Aubigné réunit des contraires : la guerre et la paix, Dieu et les hommes, la trivialité et la grâce. Passant de la satire au théâtre, du poème au roman d’aventures, Les Tragiques constitue un modèle d’épique baroque, avec de nombreuses sensations différentes insérées pêle-mêle dans un ensemble virevoltant.
Œuvres Poétiques de Saint Amant – 1629
Le propre du baroque demeure la fusion de genres différents et le jeu sur les contrastes. Le sieur de Saint Amant en apporte la preuve éclatante dans ses Œuvres poétiques, qui se réclament autant de la parodie que du poème héroïque, de la rêverie que du fantastique. Proche de ses contemporains espagnols et italiens qui ont amené le baroque au firmament, ce poète un peu oublié mérite aujourd’hui d’être redécouvert !
Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé de Théophile de Viau – 1617
L’histoire de Roméo et Juliette signée Shakespeare provient d’un conte babylonien, qui a connu de nombreuses adaptations : outre sa présence dans les Métamorphoses d’Ovide, les amours compliquées de deux jeunes mésopotamiens s’aimant malgré leurs familles en conflit ont donné naissance aux Amours tragiques de Pyrame et Thisbé. Cette tragédie de Théophile de Viau appartient au baroque par son lyrisme élégant et poétique.
Œuvres poétiques de François de Malherbe – 1626
Malherbe demeure sans doute le plus grand poète du baroque français. Maître de différentes formes, il manie à merveille des figures de style emphatiques et de nombreux contrastes dans ses Œuvres poétiques, qui évoquent à la fois Dieu, la politique et l’Amour, dans une égale transcendance.
Conte des contes de Giambattista Basile – 1636
Inspiré de la structure des Mille et une nuits, le Conte des contes déroule, en cinq jours, un conte amoureux – Zoza qui doit épouser un prince – dans lequel des personnages racontent eux-mêmes d’autres contes. Ce recueil – adapté au cinéma en 2015 par Matteo Garrone – comprend de nombreux passages assez exubérants pour faire de l’œuvre de Giambattista Basile un modèle du baroque.
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