Si un parfum de souffre peut parfois s’en émaner, la luxure est loin d’être le seul moyen de débaucher les bonnes mœurs d’une époque ou d’une communauté. Plus profond que la polémique, le scandale bouleverse la littérature ou la société dont il émaille son histoire. L’occasion de la parcourir à travers ces 10 livres choc au charme entêtant mais irrésistible…
Les Liaisons dangereuses, Choderlos de Laclos (1782)
« Qui pourrait ne pas frémir en songeant aux malheurs que peut causer une seule liaison dangereuse ! et quelles peines ne s’éviterait-on point en y réfléchissant davantage ! » (Lettre CLXXV, madame de Volanges à madame de Rosemonde)
Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos est un roman épistolaire du XVIIIe siècle qui met en scène la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont, figures littéraires du libertinage et de la manipulation, prêtes à tout pour assouvir leur seule ambition : la jouissance. Lancé dans une compétition de jeu de dupes, les personnages sont prêts à toutes les perversions pour arriver à leurs fins. Sauront-ils déjouer les pièges de l’amour et des sentiments sans que la honte ne les recouvre de son opprobre ? Chef-d’œuvre de la littérature française, longtemps interdit, censuré voire oublié, avant d’être reconnu pour ses qualités littéraires exceptionnelles et l’acuité psychologique de son auteur officier de l’armée, comme le roman du siècle des Lumières. Une fascination pour la perversité qui ne se dément pas aujourd’hui.
Madame Bovary, Gustave Flaubert (1857)
« Sa vie était froide comme un grenier dont la lucarne est au nord, et l’ennui, araignée silencieuse filait sa toile dans l’ombre à tous les coins de son cœur. »
Emma Bovary s’ennuie. Marié à un bourgeois de province dévot et étriqué, elle cherche l’amour chez un mari qu’elle n’aime pas et des amants de passage qui ne l’intéressent pas. Madame Bovary de Gustave Flaubert est un roman réaliste sous-titré « Mœurs de province » qui paraît en 1857. Il choque la bonne société par les idées qu’il propage mais impose le style de Gustave Flaubert dans cette œuvre majeure de la littérature française et mondiale. Refuser son statut de femme bourgeoise et sage et lui préférer une recherche de l’idéal était une idée insupportable en ce milieu du XIXe siècle. Cela lui vaudra même un procès pour « offenses à la morale publique et à la religion ».
Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire (1857)
« Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. » Extrait de L’Albatros
La publication en 1857, de ce recueil de poèmes Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, et qui englobe la quasi-totalité de son œuvre, scandalise très vite une société encore conformiste et sclérosée par des principes moraux, au point de lui intenter un procès et de le condamner pour « passages ou expressions obscènes et immorales. » Aujourd’hui ce recueil est considéré comme une œuvre majeure de la poésie moderne, symbole d’une beauté artistique universelle.
Ulysse, James Joyce (1922)
« Ce qui importe par-dessus tout dans une œuvre d’art, c’est la profondeur vitale de laquelle elle a pu jaillir. »
Ulysse est un pavé de plus de mille pages qui raconte ce qui se passe à Dublin un jour de l’année 1904. Contournant les règles orthographiques et n’hésitant pas à parodier différents styles littéraires, James Joyce reprend le long voyage d’Ulysse dans l’Odyssée, mais pour en faire l’errance sexuelle d’un homme chaste qui attend sa Pénélope. Interdit aux États-Unis jusqu’en 1934 pour cause d’obscénité, il est considéré aujourd’hui comme un monument de la littérature mondiale, certains n’hésitant pas à le qualifier de « cathédrale de prose ».
L’Amant de Lady Chatterley, D.H. Lawrence (1928)
« Dans sa beauté et sa pureté, la liberté d’une femme était infiniment plus merveilleuse qu’aucun amour sexuel. Le seul ennui, c’est que sur ce point, les hommes avaient tant de retard sur les femmes. Comme des chiens, ils tenaient absolument à ce sexe. »
L’Amant de Lady Chatterley de D.H. Lawrence raconte l’histoire de Constance, une jeune femme mariée et dont le mari est devenu paralysé. C’est la frustration sexuelle qui pousse la jeune femme à collectionner les amants jusqu’à sa rencontre avec le garde-chasse de son mari et avec qui elle connaîtra une entente sexuelle et sentimentale ardente. La sexualité comme retour à la vie pour ses deux naufragés de l’amour, le sexe raconté de façon si explicite qu’il introduira le terme « fuck » dans la littérature mondiale, le niveau de langue familier et la relation scandaleuse de cette jeune aristocrate avec un ouvrier en fait l’un des brûlots les plus puissants des lettres internationales. Sa publication en 1960 en Angleterre et son acquittement au procès qui lui était intenté marquera le début d’une ère nouvelle de libéralisation des mœurs et de la société.
J’irai cracher sur vos tombes, Boris Vian (1946)
« Les livres sont très chers, et tout cela y est pour quelque chose ; c’est bien la preuve que les gens se soucient peu d’acheter de la bonne littérature ; ils veulent avoir lu le livre recommandé par leur club, celui dont on parle, et ils se moquent bien de ce qu’il y a dedans. »
J’irai cracher sur vos tombes a été écrit à la suite d’un pari, sous le pseudonyme de Vernon Sullivan. Ce pastiche de roman noir met en scène la vengeance d’un métis après le lynchage de son frère, dénonçant le racisme et la ségrégation avec une force de conviction et un style flamboyant qui ne l’empêchera pas d’être interdit en 1949. Boris Vian, révélant qu’il en est le réel auteur se verra condamné pour outrage aux bonnes mœurs ce qui le fera entrer dans le panthéon des auteurs controversés mais aussi des plus remarquables.
Le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir (1949)
« Personne n’est plus arrogant envers les femmes, plus agressif ou méprisant, qu’un homme inquiet pour sa virilité. »
Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir est un livre fondateur de nombreux courants féministes. Ce n’est pas un livre militant mais un bilan sur le fait d’être femme au XXe siècle. « On ne naît pas femme, on le devient. » restera sans nul doute une des formules les plus célèbres. Le statut de la femme n’est pas imputable à un état mais à des conditions entretenues et renouvelées par l’homme. Révolutionnaire et visionnaire, l’essai philosophique a choqué la société masculine bien–pensante. Il est encore aujourd’hui un ouvrage d’espoir et d’élan libérateur pour beaucoup d’entre nous, et pas seulement du genre féminin.
Bonjour Tristesse, Françoise Sagan (1954)
« La liberté de penser, et de mal penser et de penser peu, la liberté de choisir moi-même ma vie, de me choisir moi-même. Je ne peux pas dire « d’être moi-même » puisque je n’étais rien qu’une pâte modelable, mais celle de refuser les moules. »
Publié le 15 mars 1954, alors qu’elle n’a que 18 ans, Bonjour Tristesse de Françoise Sagan fait une entrée tonitruante dans le monde des lettres françaises, faisant couler des torrents d’encre scandalisée de tant d’audace émancipatrice chez une femme, se moquant au passage d’un esprit bourgeois étriqué. Qualifiée de « charmant petit monstre » par François Mauriac, son aura romantique et son espièglerie ne cesseront pas de fasciner. Quinze ans après sa disparition et après avoir elle-même traversé des scandales financiers ou stupéfiants, Sagan reste une autrice majeure de la littérature française, comme en témoigne la parution événementielle d’un livre inédit en septembre 2019, Les Quatre coins du cœur.
Lolita, Vladimir Nabokov (1955)
« Le matin, elle était Lo, simplement Lo, avec son mètre quarante-six et son unique chaussette. Elle était Lola en pantalon. Elle était Dolly à l’école. Elle était Dolorès sur les pointillés. Mais dans mes bras, elle était toujours Lolita. »
Jugée tour à tour perverse, pornographe et pédophile, l’histoire de cette relation incestueuse entre un homme de 37 ans et sa belle-fille âgée de 13 ans choque par l’horreur qu’il décrit, mais avec une subtilité poétique telle qu’il évite la description glauque de l’horreur criminelle qu’il raconte. Suscitant scandale et censure immédiate, Lolita de Vladimir Nabokov est désormais considéré comme une des oeuvres les plus importantes de la littérature mondiale.
Le roman a fait l’objet de deux adaptations cinématographiques : en 1962 par Stanley Kubrick et en 1997 par Adrian Lyne.
American Psycho, Bret Easton Ellis (1991)
« Je possédais tous les attributs d’un être humain – la chair, le sang, la peau, les cheveux -, mais ma dépersonnalisation était si profonde, avait été menée si loin, que ma capacité normale à ressentir de la compassion avait été annihilée, lentement, consciencieusement effacée. Je n’étais qu’une imitation, la grossière contrefaçon d’un être humain. »
American Psycho raconte l’histoire de Patrick Bateman un jeune yuppie des années Trump, celles de l’explosion de la finance dans les années 80. Comme ses collègues, les soirées passent à se remplir le gosier d’alcool et le nez de cocaïne. À ceci près que, lorsqu’il rentre chez lui, il viole, torture ou tue des victimes la plupart sans défense et dans une indifférence totale qui foudroie d’horreur tout être humain normalement constitué. Violence, pornographie, le tout en associant inhumanité, cruauté et capitalisme ne pouvaient laisser indifférent. Un doux parfum de scandale domine l’accueil critique de ce livre publié après « les années fric » mais ce cauchemar est-il vraiment improbable ? American psycho aura permis de révéler un des grands auteurs américains contemporains, Bret Easton Ellis, que la Fnac a eu l’honneur d’accueillir dans notre Salon Fnac Livres en septembre 2019, en tant qu’invité d’honneur.
Sans crier au génie, le livre scandaleux dérange. Il est le témoin de son époque et des valeurs qui la caractérisent. Prophète ou annonciateur de changement, il démontre les blocages et les impasses d’une société en les transgressant. Souvent lié aux bonnes mœurs ou à la morale, cette sélection haute en couleurs en est le panel éloquent d’une histoire qui est loin d’être terminée. Alors, quel sera le prochain scandale littéraire ?
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