Aussi contemporaines et effrayantes soient-elles, toutes les histoires de maison hantée, de fantôme vengeur ou de démons hideux puisent leur capacité à nous effrayer encore et toujours dans les codes inventés il y a plus d’un siècle par des romans fondateurs comme Frankenstein et des auteurs visionnaires comme Edgar Allan Poe. Gothiques et romantiques en diable, les grands classiques de la peur n’ont jamais rien perdu de leur terrifiant pouvoir.
Peur mythique
Avec leur violence à la fois explicite et littéraire, les récits d’épouvante imaginés par HP Lovecraft et Edgar Allan Poe s’appuient respectivement sur d’obscures légendes païennes et sur le côté sombre de la nature humaine pour déclencher l’effroi et révéler le mal dans toute son horreur. Précurseurs, à la santé mentale fragile, les deux auteurs ont ouvert la voie à un genre qui a depuis trouvé ses plus belles expressions au cinéma. De Lovecraft, dont on peut se demander si l’œuvre littéraire est la conséquence ou la cause de son esprit dérangé, on retient Le Mythe de Cthulhu et sa mythologie puissante et complexe composée de divinités monstrueuses, appelées grands Anciens, tapis dans les tréfonds de la terre et prêts à ressurgir pour installer leur règne de sang. Quant à Poe, c’est en mettant son indéniable talent littéraire au service de son imaginaire torturé qu’il crée ses Nouvelles histoires extraordinaires, un recueil de nouvelles horrifiques devenu un classique absolu de l’épouvante grâce à son cortège de corps suppliciés, de cruauté sanglante, de démence terrifiante et d’animaux de mauvais augure.
Le gothique dans toute sa splendeur
Les histoires de maison hantée sont avant tout une affaire d’atmosphère confinée où l’invisible impose sa présence angoissante. En mettant des individus à la terrible épreuve des pulsions malfaisantes de fantômes vengeurs, elles font cohabiter la vie et la mort entre les murs d’immenses bâtisses chargées d’histoires. Véritable modèle de ces intrigues en clair-obscur où les parquets craquent et les portes grincent toutes seules, Le Tour d’écrou d’Henry James avec son manoir gothique et sa famille terrorisée par des poltergeists aux intentions retorses est une inspiration lointaine mais directe de grands films contemporains comme Les Autres d’Alejandro Amenabar. Autre roman gothique du XIXe, La maison aux sept pignons de Nathaniel Hawthorne est lui aussi devenu une référence du genre. L’auteur de La lettre écarlate y exprime une nouvelle fois son obsession des représentations religieuses et de la bigoterie. Issu d’une famille de puritains britanniques originaire de Salem, il pourfend le puritanisme à travers ses écrits en jetant sans le savoir les bases d’un genre littéraire typiquement américain qu’on qualifiera plus tard d’American Gothic Fiction.
Épouvante au féminin
Sensibles aux mystères de l’esprit, les romancières du XIXe siècle définissent la peur avec une subtilité dont manquent certains de leurs contemporains masculins. Avec elles, l’épouvante se teinte de romantisme noir ou de naturalisme effroyable. Auteure romantique par excellence, Daphné Du Maurier change insidieusement de registre avec Rebecca tout en gardant ses fondamentaux. Dans cette nouvelle histoire d’amour socialement mixte, elle déroule une histoire de fantôme où pèse le poids du passé qui deviendra un modèle du genre et un film magistral d’Hitchcock. À l’opposé de ce classique de la littérature romantique et fantastique, Frankenstein de Mary Shelley s’impose comme un brillant roman gothique, âpre et dénué de tout romantisme dont la forme fondée sur des récits gigognes est une véritable gageure littéraire. Inspiré du mythe de Prométhée, le roman est le fruit d’un concours d’écriture entre Mary Shelley et des auteurs romantiques versés dans le surnaturel comme Byron et Polidori. Porté à l’écran par Ken Russell avec Gothic, cet épisode originel contribue également à la légende d’un roman mythique et fondateur qui est certainement un des plus adaptés au cinéma.
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