Le réduire à ses hymnes planétaires serait passer à côté de son art. David Bowie, véritable architecte du rock moderne, a construit sa légende sur une perpétuelle mutation. Défiant les codes et les genres, l’artiste à la discographie pleine de hits nous a également offert des titres denses et complexes, parfois encore trop méconnus, qui ne demandent qu’à être écoutés.
Si David Bowie fascine, c’est parce qu’il incarne une figure totale où l’image est indissociable du son. Pourtant, au-delà des tubes qui ont saturé les radios, l’artiste britannique a semé, tout au long de sa carrière, des morceaux plus cryptiques, ne cherchant pas le consensus, mais témoignant d’une pleine audace artistique.
The Width of a Circle, The Man Who Sold The World, 1970
Avant de devenir l’icône glam que l’on connaît, Bowie a exploré une esthétique sonore bien plus lourde, voire oppressante. Avec The Width of a Circle, titre de huit minutes en ouverture de The Man Who Sold The World, l’artiste nous a livré une performance des plus viscérales.
Loin d’être une simple piste rock, ce morceau dense mêlant virtuosité instrumentale et propos sombre et théâtral, est synonyme d’une grande tension créatrice. Porté par les riffs acérés de Mick Ronson, il nous donne à voir une étonnante facette de Bowie, faisant émerger la genèse d’un artiste qui refuse déjà de se laisser enfermer dans une case.
The Bewlay Brothers, Hunky Dory, 1971
Si Hunky Dory est souvent salué pour sa clarté mélodique, il se clôture pourtant sur une énigme des plus fascinantes. The Bewlay Brothers n’est pas une chanson, mais une introspection radicale qui hante l’auditeur bien après la dernière note.
Évoquant sa relation tourmentée avec son demi-frère Terry – atteint de schizophrénie –, Bowie signe ici un texte d’une vulnérabilité désarmante. L’ambiance y est vaporeuse, portée par une guitare acoustique obsédante. Plus qu’un titre, c’est une plongée dans la psyché de l’homme, un moment de vérité où la mélancolie devient esthétique voire surréaliste.
Lady Grinning Soul, Aladdin Sane, 1973
Alors qu’il domine le monde avec son personnage de Ziggy, Bowie nous surprend une nouvelle fois en clôturant l’album Aladdin Sane avec une ballade d’une sophistication absolue. Lady Grinning Soul est la preuve que l’artiste anglais maîtrise les codes du glamour aussi bien que ceux de la pop.
Ici, la rage électrique laisse place à la sensualité. Sublimé par le piano de Mike Garson, Bowie livre une performance vocale qui redéfinit l’élégance et témoigne d’une ambition musicale sans limites. Loin des archétypes du rockeur, l’artiste s’impose cette fois-ci comme un crooner décadent au sommet de son art.
Word on a Wing, Station to Station, 1976
L’album Station to Station est souvent décrit comme un album de transition dans la carrière de Bowie. Et, au cœur de cette machine rythmique, surgit le délicat Word on a Wing.
Le chanteur, alors dans sa période d’excès et de profonde crise existentielle, délaisse son cynisme pour une ferveur presque religieuse. Véritable ovni émotionnel, ce titre – aux allures de prière – fait éclater au grand jour la fragilité de l’artiste. Ainsi, Bowie nous prouve, par cette rencontre entre rock et spiritualité, que même dans le plus grand des tourments, il demeure un narrateur bouleversant de la condition humaine.
Always Crashing in the Same Car, Low, 1977
Berlin, 1977. Dans un triptyque musical (Low, « Heroes » et Lodger), Bowie fait table rase du passé et réinvente la pop. Sur l’album Low, Always Crashing in the Same Car agit comme un manifeste de cette nouvelle ère : minimaliste, mais surtout hypnotique.
Le titre fait état d’une boucle, transformant le fait divers en une métaphore de l’échec et de la répétition. La production est clinique, futuriste, mais la voix y est étrangement chaleureuse. C’est un bijou d’ambiance, une véritable pépite spleenétique qui capture l’essence même de l’avant-garde berlinoise. Une leçon de style tout simplement.