Taylor Swift est de retour dans les bacs ce 3 octobre 2025 avec un album heureux, sensible et incisif, lui permettant d’aller dans une toute nouvelle direction. Critique.
Plus d’un an et demi après la sortie de The Tortured Poets Department – un long album poétique aux textes renversants –, Taylor Swift revient avec The Life of a Showgirl, disponible le 3 octobre 2025.
Ce disque, plus court (12 chansons), marque le début d’une nouvelle ère musicale pour la chanteuse. Qu’il soit pris indépendamment ou au regard de l’ensemble de sa carrière, The Life of a Showgirl semble fermer de nombreuses portes, conclure quelques arcs narratifs entamés il y a des années par l’artiste, au point même de semer le doute : et si c’était la fin ?
The Life of a Showgirl.©Taylor Swift
Après plusieurs albums (folklore, evermore, Midnight, The Tortured Poets Department) composés et produits avec Jack Antonoff et Aaron Dessner, Taylor Swift s’est entourée, sur The Life of a Showgirl, de Max Martin et Shellback, avec qui elle avait déjà travaillé sur Red, 1989 et Reputation. L’artiste laisse ainsi de côté le folk et les instruments à corde pour revenir à de la pop plus franche, à la rythmique récurrente.
The Life of a Showgirl semble être le disque frère de Reputation – qui évoque les coulisses de l’industrie, le poids de la célébrité et ses conséquences –, à une différence près : si Reputation s’est construit autour de la peine et du ressentiment, The Life of a Showgirl émane d’un lieu et d’un moment bien plus heureux pour l’artiste. En ce sens, il marque un tournant essentiel dans la vie et la carrière de Taylor Swift. Impossible de ne pas faire le lien avec sa relation de couple avec le joueur de football américain Travis Kelce et leurs fiançailles. The Life of a Showgirl est un album doux, sensible et joyeux, qui n’hésite pas non plus à dire les choses ou à évoquer les aspects les plus sombres et malsains de la célébrité.
Quand Ophélie se noie
Le premier morceau de l’album donne le ton : avec The Fate of Ophelia, Taylor Swift revient en partie sur l’histoire d’Ophélie (le personnage créé par Shakespeare dans Hamlet), qui devient folle et meurt par noyade. Par ailleurs, la pochette de The Life of a Showgirl s’inspire directement du tableau Ophélie d’Alexandre Cabanel et montre Taylor Swift immergée dans l’eau, proche de la noyade. Le reste du disque revient en grande partie sur les parties les plus difficiles et néfastes du show-business.
The Life of a Showgirl.©Taylor Swift
En parlant de l’actrice mythique Elizabeth Taylor (dont la deuxième piste de l’album porte le nom), en évoquant les hypocrites et les profiteurs (avec le puissant Father Figure, qui évoque un pacte avec le Diable), en parlant des trahisons, mais aussi des erreurs et de l’intolérance (sur CANCELLED! notamment), Taylor Swift dresse un portrait peu reluisant, mais ô combien authentique, de la célébrité.
Sa place dans l’industrie musicale lui offre cette possibilité : après avoir bataillé des années pour obtenir et garder le contrôle total de sa musique (récemment, Taylor Swift a pu racheter les droits de ses premiers albums), après avoir lutté contre le regard patriarcal, avoir dénoncé les violences et agressions sexuelles et avoir « osé » donner son avis sur la politique (ce que beaucoup lui ont reproché aux États-Unis), l’artiste a la réputation d’une femme qui ne plie pas, qui demeure maîtresse de sa création, de sa parole, et qui peut faire trembler les plus puissants. Sur Reputation, l’industrie et la célébrité l’avaient brisée. Sur The Life of a Showgirl, c’est elle qui a désormais l’ascendant.
The Life of a Showgirl.©Taylor Swift
Quand Taylor est heureuse
L’autre grand thème de l’album concerne la joie et le bonheur : après des albums plus dépressifs et introspectifs, Taylor Swift est heureuse et ne manque pas de le dire. Définitivement plus fun et doux que ses précédents opus, The Life of a Showgirl est dansant, drôle, sexy, parfois explicite (sur Wood, par exemple ou Actually Romantic) et de plus en plus entraînant à mesure que les titres s’enchaînent. Sur Honey, elle ne cache pas son bonheur d’être avec Travis Kelce, tout en faisant un parallèle avec le regard que d’autres hommes ont pu avoir sur elle.
L’a-t-on connu aussi épanouie ? Moins naïve et jeune que sur Red et plus affirmée que sur 1989… The Life of a Showgirl est l’album de l’accomplissement personnel pour Taylor Swift. Le disque semble offrir une conclusion à différents épisodes de son passé. Beaucoup moins porté sur les ruptures ou les peines de cœur — Ruin The Friendship aborde même le sujet avec humour –, Taylor Swift va de l’avant.
The Life of a Showgirl.©Taylor Swift
Si elle semble critique envers certains aspects de l’industrie musicale, la chanteuse évoque aussi les points forts de sa carrière : son lien avec le public, ses collaborations et rencontres, et chante avec joie The Life of a Showgirl (le dernier morceau de l’album) en duo avec Sabrina Carpenter, qui a assuré pendant plusieurs dates la première partie de la tournée The Eras Tour.
L’album permet à Taylor Swift, encore une fois, de se réinventer. Si les affiliations avec ses précédents travaux sont évidents, le style n’en demeure pas moins différent. De la direction artistique inspirée de l’univers du cabaret aux textes plus frontaux, Taylor Swift tente de nouvelles choses et confirme qu’elle a toujours fonctionné selon ses fameuses « ères musicales », ayant donné naissance à The Eras Tour, la tournée la plus lucrative de l’histoire.
The Life of a Showgirl fonctionne indépendamment du reste de sa carrière — plusieurs titres sont indéniablement voués à devenir des hits — mais peut aussi se concevoir comme un condensé ou un résumé abouti de ce qu’elle a traversé, avec ses hauts et ses bas.
Le style musical développé avec Max Martin et Shellback — les percussions s’enchaînent sur tous les morceaux, quasiment — permet à Taylor Swift d’être plus incisive, plus protégée, moins à cœur ouvert et sans filtre. Les textes sont toujours aussi forts — le point fort de Taylor Swift, autrice hors pair —, et les ponts musicaux offrent de belles variations de styles.
Comme pour The Tortured Poets Department, la première et seconde écoutes de The Life of a Showgirl donnent envie de se plonger dans les textes, dans les sous-entendus et dans les nombreuses références qu’utilise l’autrice et interprète pour raconter ses histoires.
The Life of a Showgirl.©Taylor Swift
Serait-ce l’album de la fin ?
En terminant The Life of a Showgirl, une étrange sensation en ressort. Et si Taylor Swift venait d’offrir le dernier chapitre de son aventure musicale ? Sur Opalite, elle le rappelle : « La vie est une chanson, elle se termine quand elle se termine, on avance ». Sur Wi$h Li$st — qui traite des envies luxueuses et du besoin de reconnaissance —, elle ne s’en cache pas non plus : « On dira au monde de nous laisser seuls et ils le feront ». Le cinquième titre, Eldest Daughter, se démarque particulièrement. Les connaisseurs le savent, le cinquième titre des albums de Taylor Swift a toujours une place particulière. Il n’est pas choisi au hasard et revêt une dimension unique. Eldest Daughter est probablement la chanson la plus touchante de l’album. Retrouvant le piano, elle se livre intimement, fait le lien entre différentes époques de sa vie et semble, aussi, y mettre un point final.
La communication cryptique autour de l’album (les nombreux panneaux « EXIT » sur les photos), les déclarations de Taylor sur le sujet (« Les artistes doivent avoir un grand final »), son histoire d’amour enfin trouvée… La vie artistique de Taylor Swift ressemble à un film. Après les succès très jeunes, les échecs, les peines de cœur, les critiques, les louanges, les accomplissements et les nombreux records, et si Taylor Swift arrivait au bout de l’histoire qu’elle voulait raconter en chansons ? The Tortured Poets Department avait déjà cette sensation, The Life of a Showgirl l’entérine. Que cela soit la fin véritable ou non ce sentiment offre au disque son aspect émotionnel le plus fort.
The Life of a Showgirl.©Taylor Swift
The Life of a Showgirl est une réussite éclatante. Taylor Swift n’a plus rien à prouver, mais elle le fait encore en se réinventant, en changeant de point de vue et en offrant une nouvelle entrée dans son univers musical. Autour de deux sujets prédominants — l’industrie et la vie personnelle — elle conclut certains des thèmes qu’elle a le plus souvent évoqué depuis le début de sa carrière, tout en gagnant en assurance, en maturité et en confiance.
Plus épanouie que jamais artistiquement et émotionnellement, Taylor Swift fait de The Life of a Showgirl l’album somme de sa vie en tant qu’artiste. Brillant et touchant.
