Critique

Terre des hommes : quand Riad Sattouf dessine Saint-Exupéry

02 octobre 2025
Par Lisa Muratore
Terre des hommes : quand Riad Sattouf dessine Saint-Exupéry
©Marie Rouge/Allary

Dans un sublime livre-objet mêlant roman et illustrations, l’auteur de L’arabe du futur met en image un des chefs-d’œuvre de l’écrivain-aviateur.

Un rapide coup d’œil au box-office, et plus largement à l’agenda des sorties cinéma de ces dernières années, suffit à réaliser la toute-puissance exacerbée de l’adaptation romanesque dans le processus créatif du 7e art. Mais la tendance se réplique désormais à l’intérieur même du milieu littéraire, où la bande dessinée cherche à son tour à mettre en images les grands romans contemporains et les classiques de la littérature. Avec les mêmes avantages – s’appuyer sur des univers connus et adorés, qui rassemblent déjà une large communauté – et les mêmes risques – écorner ou salir une œuvre adulée. Parmi les adaptations récentes, La route de Manu Larcenet d’après Cormac McCarthy, Le nom de la rose d’Umberto Eco adapté par Milo Manara ou encore Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre dessiné par Christian De Metter, furent toutes de belles réussites et de grands succès de librairie.

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Un rêve de gosse

Quelle ne fut pas notre joie, alors, d’entendre les premiers bruits de couloir émanant de chez Gallimard, qui évoquaient la rencontre entre l’univers onirique et bourré d’aventures d’Antoine de Saint-Exupéry, et le trait de crayon virtuose de Riad Sattouf, monstre sacré de la BD, l’auteur de L’arabe du futur, le double Fauve d’or et Grand Prix de la ville d’Angoulême. Quelle ne fut pas notre surprise, surtout, de découvrir un livre finalement aux antipodes de l’adaptation en bande dessinée ! Différent d’un roman graphique réinterprété, il s’agit davantage d’un hommage illustré à un chef-d’œuvre dont le texte reste inchangé.

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Impossible pour Riad Sattouf de toucher à ne serait-ce qu’une virgule d’un auteur qui l’a accompagné toute sa vie. Depuis 20 ans, comme un poster de rock star dans une chambre d’adolescent, un portrait d’Antoine de Saint-Exupéry trône dans le bureau du dessinateur, guettant ses moindres coups de crayon. Et puis, un beau matin, l’élan vital, le besoin de franchir le pas pour partir à la rencontre d’un mythe ; il contacte Gallimard et les ayants droit avec un projet en tête : illustrer Terre des hommes, recueil d’essais autobiographiques paru en février 1939, dans lequel l’écrivain-aviateur raconte son expérience de jeune pilote : « C’est un livre qui élève, un livre profondément accueillant. L’acharnement presque mystique des pilotes de l’aéropostale, le désert, l’amitié fraternelle, l’action, la mort, la mélancolie d’exister et l’émerveillement face à la beauté et la brutalité de la nature… »

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Le poids des mots, le choc des dessins

On trouve dans Terre des hommes tout ce qui fait le sel de la littérature d’Antoine de Saint-Exupéry. Dans un sens, c’est peut-être même le condensé parfait des monuments de l’auteur, Vol de nuit (1931) et Le petit prince (1943). Un shot d’aventures et d’émotions au plus près des grands pionniers de l’aviation – ses illustres camarades Mermoz et Guillaumet –, un aspect quasi documentaire au moment de décrire avec réalisme les avaries, les pénuries, les crashs, le mélange de crainte et de beauté qui fonde une telle vocation… Et puis une poésie envoûtante, une ode onirique à la contemplation, à la nature, à la richesse des civilisations. Avec comme point d’horizon une valeur qui, pour Antoine de Saint-Exupéry, a toujours servi d’étoile du berger : l’humanisme, la foi en l’humanité.

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Un vieux biplan qui survole sous une pluie battante une mer déchainée, à flanc de falaise. L’illustration qui orne la mythique couverture de la « Blanche » des éditions Gallimard, twistée pour l’occasion, donne le ton : les dessins s’invitent partout dans le récit, parfois en pleine page, en contrepoint du texte, parfois au cœur même des phrases, jouant des coudes pour se faire une place, ricochant contre les mots d’Antoine de Saint-Exupéry. Riad Sattouf progresse avec pudeur et respect, mais on sent qu’il a arpenté le texte des centaines de fois avec des images plein la tête et crève d’envie de les dessiner.

Au total, 150 illustrations donnent à voir un dialogue bouleversant entre l’écrit et l’image, entre deux œuvres et entre deux artistes. Avec ce livre beau et sidérant, Riad Sattouf réussit le pari de façonner à la fois un objet de collection pour les amoureux de longue date du livre et une formidable porte d’entrée dans l’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry pour les profanes et les nouvelles générations.

Et, comme un sublime point d’exclamation à ce tour de force, la Galerie Gallimard organise du 3 octobre au 20 décembre 2025 une exposition-vente de tirages d’art originaux accompagnés de documents rares et inédits liés à l’écrivain-aviateur. Prêts à décoller ?

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste