Entretien

Premier album, inspirations et politique : la reine Nicky Doll se confie

06 octobre 2025
Par Catherine Rochon
Premier album, inspirations et politique : la reine Nicky Doll se confie
©Nicky Doll

Entre glamour et engagement, la drag queen Nicky Doll s’impose comme une artiste incontournable. Avec son premier album, « Apollo • Artemis », elle dévoile une electro pop hybride, entre énergie solaire et introspection. Et poursuit sa mission en portant fièrement la voix de la communauté queer. Interview.

Flamboyante, solaire, fabuleuse… Autant d’adjectifs pour qualifier Nicky Doll, la drag queen la plus emblématique de France. Après avoir ouvert la voie en représentant fièrement l’Hexagone sur le plateau de l’émission américaine RuPaul’s Drag Race, elle a naturellement été choisie pour présenter la version française du programme, qui ne cesse de battre des records d’audience depuis sa première édition en 2022. Un programme aussi audacieux et joyeux que militant, qui a révolutionné le paysage audiovisuel français et offert une visibilité à une communauté queer encore trop souvent marginalisée.

Aujourd’hui, Nicky Doll franchit un nouveau cap en sortant son premier album, Apollo  Artemis, qui entremêle disco, pop et dark electro, et explore (aussi) les facettes plus sombres et introspectives de la reine. L’occasion pour Karl Sanchez – l’artiste derrière Nicky Doll – de montrer une facette inédite de ce double magnétique qui l’a tant porté.

Nous avons discuté avec Nicky de ses inspirations musicales, de ses prises de position politiques et de son engagement, mais aussi de la nécessité de transformer la scène en espace de liberté et d’expression en ces temps troublés.

Ton album s’appelle Apollo • Artemis. Pourquoi ce titre ?

Sortir un premier album, c’était un rêve, et je voulais qu’il reflète toute ma complexité. Apollo et Artemis sont les jumeaux divins de la mythologie grecque : lui est le dieu de la beauté et du soleil, elle la déesse de la chasse et de la lune. Homme et femme, lumière et obscurité.

C’est une métaphore de ma vie : je performe le féminin en drag, mais je suis un homme dans la vie de tous les jours. Cette dualité, je la vis aussi dans la musique : j’aime autant la pop acidulée et festive que la pop plus sombre et introspective. C’est ce mélange qui m’a guidé pour structurer l’album et son esthétique.

Le côté Artemis est plus sombre, plus introspectif. Etait-ce important de l’explorer ?

Oui, parce que je ne peux pas être authentique avec mon public si je ne lui montre que le côté solaire. Mes zones d’ombre font partie de moi et, paradoxalement, elles me donnent de la force. Certaines sont sensuelles, d’autres mélancoliques. Dans le titre À mes côtés (With Me en anglais), je parle directement à mon enfant intérieur : j’explique que j’ai dû déconstruire certains bagages de mon éducation pour évoluer.

Maintenant que j’ai trouvé un équilibre, je peux dire à cet enfant intérieur : « Viens avec moi, maintenant, on a les clés pour être heureux ». C’est une façon de réconcilier le passé et le présent, et de montrer que l’ombre est aussi une part essentielle du récit.

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Tu ouvres l’album avec un hommage au titre de The Ones, Flawless. Pourquoi ce choix ?

J’ai toujours adoré The Ones et, vivant à New York, c’était naturel de leur rendre hommage. C’était aussi une manière de reconnecter avec la house music, un genre indissociable de la culture queer et qui m’a beaucoup marqué plus jeune.

Je trouve que c’est devenu un moyen de faire des ponts : entre ma jeunesse et mon âge adulte, entre mes inspirations et mon propre univers. Et cela peut encourager les nouvelles générations à redécouvrir ces classiques.

How Do I Look de Nicky Doll

Ton parcours, de Marseille à New York, en passant par le Maroc et Saint‑Martin, est cosmopolite. Ton album reflète-t-il cette dimension « globale » ?

Oui, totalement. C’est une lettre d’amour à la pop, sans calcul, sans volonté de coller à un style en vogue. J’ai grandi dans différentes cultures, je me considère comme citoyen du monde. Quand je suis revenu à Paris à 18 ans, j’étais paumé et j’ai dû apprendre beaucoup de choses basiques – c’est ce sentiment d’expatriation, d’être à la fois français et ailleurs, que j’ai voulu canaliser. L’album mêle influences caribéennes, marocaines, américaines et françaises : c’est à la fois un patchwork d’ambiances et une affirmation d’une pop hybride et universelle.

Quels albums ont eu pour toi un rôle émancipateur ?

Il y en a plusieurs : Sade, Chris Isaak, Gwen Stefani avec No Doubt… Puis des figures comme Madonna, Cher, David Bowie. Daft Punk aussi, par leur esthétique visuelle et leur rapport à la pop japonaise, ont nourri mon imaginaire. Et Lady Gaga, évidemment. Elle a redéfini la beauté, la performance et la présence scénique pour toute une génération.

Le drag t’a permis de trouver Karl, ton « toi » hors scène. Cet album est-il une manière de donner une voix à Nicky ?

Avant, j’étais à la fois Karl et Nicky, ce qui était parfois source de moqueries. En créant le personnage de Nicky Doll, j’ai trouvé une voie artistique pour exprimer mon énergie féminine, et ça m’a paradoxalement aidé à m’affirmer comme homme. Je me suis mis au sport, j’ai pris confiance en moi.

Je n’ai jamais eu de dysphorie de genre : c’était une expression artistique qui m’a permis de me découvrir. Le drag m’a rendu une voix propre, un univers visuel et sonore : je ne suis plus dans l’emprunt, je peux enfin raconter ma propre histoire.

Dans RuPaul’s Drag Race, tu as été confronté à des clichés. Avec du recul, cette frustration et ton départ volontaire ont-ils été des moteurs ?

Complètement. Perdre m’a donné un électrochoc : au lieu d’en rester là, je me suis servi de cette frustration pour montrer ce que signifie vraiment être français et drag queen. Sans ces épreuves, je n’en serais pas arrivé là aujourd’hui.

Le parcours de Nicky Doll est aussi devenu celui d’une communauté. En avais-tu conscience à l’époque ?

Pas au début. Après l’émission, j’ai reçu des messages du monde entier : immigrés, jeunes queer, mais aussi des personnes hors communauté qui se reconnaissaient dans le message d’acceptation. Une rencontre m’a particulièrement marqué : un homme autiste venu en meet & greet m’a dit qu’il se sentait inclus par mon travail. Ça m’a confirmé que le drag parle d’humanité et pas seulement d’un sous‑groupe.

 Nicky Doll

Le drag est‑il devenu pour toi un acte politique ?

Oui. Au départ, c’était avant tout thérapeutique. Aujourd’hui, la visibilité m’oblige à porter un message. Le drag rappelle qu’on ne peut pas prôner la liberté uniquement sur scène : il faut aussi militer pour la sécurité et l’acceptation dans la vie quotidienne. Dans le contexte actuel, cela prend une dimension essentielle.

En tant que hôtesse de Drag Race France, ressens‑tu des limites liées au format télé ?

La télévision impose forcément des contraintes. Une partie du drag restera toujours underground, subversive, et c’est très bien ainsi. Mon rôle est de trouver l’équilibre entre ce qui est accessible au grand public et mon expression personnelle – que je peux développer ailleurs, sur mes réseaux ou mes projets artistiques.

Quel regard portes‑tu sur la dernière saison de Drag Race France ?

Je suis très fier : le niveau artistique était élevé, chaque épisode restait incertain et captivant. La French Touch fonctionne à l’international et c’est gratifiant de voir notre franchise si bien reçue.

Après la télé et la musique, quels sont tes projets ?

Mon rêve serait de partir en tournée solo pour porter mon album sur scène. J’ai déjà une direction visuelle et scénographique complète : je veux raconter une histoire, plonger le public dans mon univers et profiter du live pour donner une nouvelle dimension aux chansons.

Enfin, dis-nous quelle œuvre a forgé ta conscience militante ?

La Couleur Pourpre d’Alice Walker. Le film de Spielberg m’a touché enfant, et le livre m’a aidé à comprendre le poids du racisme et des injustices intergénérationnelles. C’est un texte qui m’a appris à être un allié et à chercher à comprendre la souffrance des autres.

 

Article rédigé par
Catherine Rochon
Catherine Rochon
Responsable éditoriale
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