Alors que la rentrée littéraire 2025 se poursuit, L’Éclaireur dévoile sa séance de rattrapage. De Maria Pourhcet à David Diop, en passant par Percival Everett, quels sont les auteurs et autrices à absolument lire cette année ?
Dans le dédale de la rentrée littéraire, il arrive parfois que l’on perde pied. Cette année, qui plus est, l’arrivage est particulièrement important, avec 484 nouveaux titres. Un chiffre en hausse par rapport aux deux années précédentes. Romans sur la famille, sur la mère, mais aussi grands romans étrangers dont la traduction nous tardait, épopées mythologiques ou premiers pas réussis… Afin de vous orienter dans ce grand bain et alors même que les premières sélections de prix littéraires viennent d’être annoncées, nous avons glané ici et là les livres qui nous semblaient incontournables. Une séance de rattrapage maison, pour ceux et celles qui auraient connu un début de mois sur les chapeaux de roue.
1 – Trésaillir, de Maria Pourchet
Bien que cette liste n’ait pas vocation à servir de classement, commencer par le livre de Maria Pourchet n’en demeure pas moins symbolique. Celle qui nous scotchait avec Western il y a deux ans, et récoltait au passage le prix de Flore, continue son exploration du thème de la fuite avec Tressaillir. Après une énième altercation avec son conjoint, Michelle, romancière jeunesse dotée d’une certaine notoriété, claque la porte du domicile familial et laisse derrière elle sa petite fille, Lou. À 40 ans, elle doit apprendre à vivre seule. Mais, contrairement aux témoignages de ses amies qui ont sauté le pas, elle n’arrive pas à profiter de cette liberté retrouvée. Les regrets et le manque de sa fille la rongent, tout comme un mal plus profond et indéfinissable.
De chambres d’hôtel transitoires en séances de psychothérapie, Michelle, surnommée « biche », tente de faire la lumière sur une peur dont les racines remontent loin, à sa plus tendre enfance, dans les hautes futaies brumeuses du Grand Est. Coïncidence, son ancien lycée des Vosges l’invite pour une série d’interventions auprès des élèves. Elle n’y avait pas mis les pieds depuis ses 18 ans.
On retrouve pour notre plus grand bonheur le style incomparable de Maria Pourchet, mordant et précis, fait de phrases bien senties qui n’ont rien à envier aux meilleurs rappeurs. L’écrivaine tisse avec une acuité étourdissante l’enquête intérieure d’une femme cherchant à élucider sa peur. Un roman qui se classe au rang de ceux que l’on pourrait relire. C’est-à-dire parmi les grands.
2 – Aux nuits à venir, de Joffrine Donnadieu
Dans un univers autrement plus onirique et loufoque, Joffrine Donnadieu raconte elle aussi un destin de femme. Après Chienne et louve (prix de Flore 2022) où l’on goûtait au quotidien d’une jeune comédienne strip-teaseuse et de sa colocataire, une pieuse octogénaire prénommée Odette, la romancière de 35 ans nous installe au 46 bis, rue des Martyrs, à Paris. Dans un immeuble à l’abandon, ardemment convoité par un ambitieux promoteur immobilier, Marge, qui a l’âge de l’autrice, trouve refuge après avoir été mise à la porte par sa sœur, qui l’hébergeait depuis un an.
À la nuit tombée, dans cette jungle de vieilles pierres poussiéreuses, où les échafaudages tiennent lieu de lianes, Marge reçoit la visite des créatures qui la hantent depuis petite. Alice, Daphné, Gloria, Esther, Viviane, toutes veulent qu’elle raconte leur histoire. Mais, dans cet immeuble que l’on croyait vide, Marge ne tarde pas à croiser le chemin de Victor, un vieux militaire à la retraite, reclus dans son appartement du dernier étage, où il reproduit en miniature les grandes batailles qui ont fait la France. Après s’être reniflés un temps, les deux marginaux finissent par s’adopter.
Voir cette publication sur Instagram
Entre les ris de veau, le vin rouge, les caresses, les nuits et les jours dans un appartement qui tombe en ruine, cette femme somnambule, hantée par un traumatisme enfoui, et ce sexagénaire condamné vont vivre une passion contre toute attente. Une histoire d’amour improbable, entre deux êtres inadaptés et fabuleusement attachants. Joffrine Donnadieu propose un conte naïf et saisissant, onirique et bizarre, qui nous aspire comme un vortex.
3 – Le fin chemin des anges, de Simon Johannin
Autre jeune voix française qui a fait cette année une rentrée remarquable : Simon Johannin. Il inaugure chez Denoël une nouvelle collection dédiée aux lieux abandonnés : « Locus ». À première vue, l’auteur de 32 ans, qui vit à Marseille, choisit pour son récit un cadre paradisiaque. L’une de ces îles ceinturées d’eau turquoise qui émaillent le littoral provençal. Plus précisément, l’île du Levant, en face de la commune d’Hyères.
Voir cette publication sur Instagram
Mais l’histoire qu’abrite cet endroit est moins rayonnante que les jours qu’il y fait. Le 2 octobre 1866, lors d’une révolte dans la colonie pénitentiaire de l’île, qui accueillait de jeunes détenus, 13 d’entre eux meurent brûlés vifs. Pour rendre hommage à ces enfants maudits et faire entendre leur mémoire effacée, Simon Johannin imagine un personnage, Louis, envoyé au bagne pour avoir volé une poire dans un verger. Sa voix, éteinte par les mauvais traitements, nous parvient à travers celle du narrateur, un homme aux dons paranormaux, qui entend les défunts.
En prenant appui sur des documents d’époque, Simon Johannin raconte le quotidien de ces enfants, entre sous-alimentation, travail jusqu’à l’épuisement, hygiène déplorable, sévices et humiliations. Il témoigne d’une époque où les vagabonds et les orphelins étaient perçus comme des délinquants, et les enfants comme une force de travail. Dans une langue poétique et fiévreuse, Simon Johannin compose un chant incantatoire poignant qui ne laisse pas indemne.
4 – Où s’adosse le ciel, de David Diop
Le sang de Bilal Seck est impur. Il le sait, car il est le 72e héritier du chant des origines. La mémoire de sa famille, réduite à l’état le plus bas il y a des générations. Bientôt, il devra lui-même transmettre cette mémoire. Mais lorsqu’il est abandonné par son prétendu maître et ami sur le port de Djeddah, au retour d’un pèlerinage à la Mecque, Bilal Seck est dévasté. Tandis qu’il attend la mort dans les rues de la ville où rôde le choléra, il est recueilli par une équipe de médecins qui s’étonne de le voir toujours en vie. Finalement décidé à regagner son village, au Sénégal, Bilal Seck s’embarque dans l’aventure d’une vie.
David Diop signe cette année, avec Où s’adosse le ciel, une odyssée initiatique et transafricaine. Elle nous porte des rives de la mer Rouge au Sénégal, en traversant les tombeaux des pharaons, le désert du Sahara, les eaux du lac Tchad et celles du Niger. Dans ce décor immense, il mêle deux récits : le voyage d’un homme vers son pays natal et le voyage de ses ancêtres sur la route de l’exil. Il tisse ainsi un jeu d’échos mystique qui donne à son livre une profonde résonance.
Mais c’est aussi une réflexion marquante sur l’importance de la mémoire. Professeur et spécialiste de la littérature du XVIIIe siècle, David Diop est connu pour ses romans qui interrogent l’histoire, la colonisation et les migrations (Frère d’âme, 2018 ; Le pays de rêve, 2024). À travers le personnage de Bilal, membre d’une lignée de conteurs, il dresse un exemple de résistance aux discours dominants et montre le rôle crucial de la mémoire pour comprendre le présent.
5 – James, de Percival Everett
Les rives du Niger laissent place aux flots tumultueux du Mississippi dans cette habile réécriture de Huckleberry Finn, le célèbre roman de Mark Twain. Si l’on retrouve dans James les personnages de la version originale de 1884, tout l’intérêt de cette relecture moderne tient dans le basculement de point de vue qu’opère l’auteur américain Percival Everett. Ici, l’Amérique de la seconde moitié du XIXe siècle, au bord de la guerre civile entre États esclavagistes du Sud et États libres du Nord, nous parvient à travers les yeux de l’homme noir, Jim, esclave sur la ferme de Miss Watson, dans le Missouri.
Lorsqu’il apprend qu’il va être vendu et séparé de sa famille, Jim décide de s’échapper, laissant derrière lui sa femme Sadie et sa fille Lizzie. Dans sa fuite, il croise la route du jeune Huckleberry, un gamin blanc vivant sur la même ferme, qui a simulé sa mort pour échapper à son père ivre et abusif. Ensemble, ils tentent de rejoindre les États libres du Nord pour que Jim gagne la liberté et rachète sa famille.
Voir cette publication sur Instagram
Roman d’aventure haletant avec le Mississippi pour boussole, déjà récompensé outre-Atlantique du prix Pulitzer et du National Book Award, on se souviendra de James plus encore pour son personnage principal. Percival Everett donne à Jim une voix et une intelligence, faisant de lui un être subtil et rusé. L’esclave rêve la nuit de philosophie et manie le langage à la perfection, gardant toujours un temps d’avance sur ses maîtres, à la manière d’un Sganarelle. Une brillante réécriture politique qui permet de vivre de l’intérieur le racisme endémique d’un pays et d’une époque.
6 – L’appel, de Leila Guerriero
Autre coup de tonnerre de la littérature étrangère, le portrait fleuve d’une rescapée de la dictature argentine, qui sévit de 1976 à 1983. À l’aide d’un travail d’enquête minutieux, d’innombrables rencontres et des dizaines d’entretiens, la journaliste Leila Guerriero retrace l’histoire de Silvia Labayru, ex-révolutionnaire dans les années 1970, kidnappée par le régime à l’âge de 19 ans, alors qu’elle était enceinte.
« Dès qu’un survivant faisait son apparition, il était synonyme de traître. » Silvia Labayru
S’il témoigne de la violence systématique et organisée de la dictature militaire, le travail de Leila Guerriero est d’autant plus précieux qu’il met en lumière une part bien plus sombre, perverse et moins connue de cette période. Enfermée à l’École de mécanique de la Marine (ESMA), un centre de détention clandestin en plein cœur de Buenos Aires, Silvia Labayru, aux côtés d’autres détenus, a été contrainte de participer à un programme de rééducation idéologique qui, en échange de leur vie, obligeait les détenus à des missions de renseignement, d’espionnage et de dénonciation. Les femmes qui en faisaient partie étaient forcées d’avoir, en signe de bonne volonté, des relations sexuelles « consenties » avec les officiers.
À leur sortie, ceux qui avaient participé au programme étaient rejetés par leur entourage, qui leur reprochait d’avoir collaboré. « Dès qu’un survivant faisait son apparition, il était synonyme de traître », se souvient Silvia Labayru. Leila Guerriero pose une lumière fondamentale sur la captivité, mais aussi sur la condition des survivants et survivantes. Elle dresse un grand portrait de femme et rétablit une vérité dont l’absence a prolongé une violence qui n’avait que trop duré.
7- Avale, de Séphora Pondi
Cette rentrée 2025 a aussi connu son lot de primo-romanciers, au sein duquel Séphora Pondi, comédienne et pensionnaire de la Comédie-Française depuis 2021, a su se faire une place.
Dans Avale, on découvre deux destins qui n’ont rien en commun. Tom (de son vrai nom Romain Marais), étudiant en pharmacie de 29 ans, marqué par une enfance de brimades et de rejets. Et Lame, jeune actrice noire et pulpeuse, en pleine ascension, souffrant d’un eczéma qui la défigure. Lorsque Tom, qui a toujours rêvé de faire du cinéma, découvre l’image de Lame sur des rushs de tournage, il développe une obsession pour elle et devient un harceleur monstrueux. Jusqu’au jour où ses messages, qui restent lettre morte, ne suffisent plus. De son côté, le succès grandissant de Lame semble l’éloigner chaque jour un peu plus de ses origines, de sa banlieue et de sa meilleure amie Génia.
Séphora Pondi explore ici la célébrité sous toutes ses coutures. L’expérience ambivalente qu’elle génère, entre admiration et animosité. C’est en découvrant une vidéo de Britney Spears, dans laquelle la star mondiale exécute une chorégraphie avec des couteaux de cuisine, que l’autrice se pose la question pour la première fois. Comment vit-on la gloire lorsqu’elle nous tombe dessus ?
Avale fait aussi une place centrale au corps, omniprésent dans le roman. Le corps de Lame, ravagé de démangeaisons, et celui de Tom, qui souffre d’hyperphagie boulimique. Un premier roman audacieux à la plume sensuelle et aux accents trash.
8 – Les projectiles, de Louise Rose
Avec Les projectiles, Louise Rose se classe parmi ces jeunes écrivaines, comme Esther Teillard (Carnes, 2025), Audrée Wilhelmy (Peau-de-sang, 2024) ou Mathilde Forget (De mon plein gré, 2021), qui prennent un malin plaisir à tordre la langue en tous sens pour en faire sortir des sonorités nouvelles. Bébé est en fuite. On ne sait pas trop pourquoi. Il nous manque le début de l’histoire. Bébé est entrée par effraction dans le jardin de son enfance. Elle déterre une boîte qu’elle avait cachée là il y a des années. Puis la police l’arrête.
Voir cette publication sur Instagram
On remonte le temps à mesure qu’on avance dans ce roman construit à l’envers. Où la fin tient lieu de début et le début de fin. Au départ, Louise Rose ne pensait pas inverser l’ordre des chapitres. En cours d’écriture, l’idée lui est venue. Pour créer, dit-elle, « un échange entre la personne qui lit et le personnage ». Les motivations de Bébé, personnage principal, demeurent floues. Louise Rose, avec son écriture instinctive et orale, retranscrit tout. La moindre pensée, les bruits, les sons. Elle nous projette dans cet espace foutraque et en désordre qu’est l’esprit de Bébé. La jeune femme, qui semble avoir laissé derrière elle un conjoint qui s’inquiète, garde toujours un coquillage au fond de sa poche afin de pouvoir appuyer dessus à tout moment, dans le cas où elle aurait besoin de se téléporter.
Avec cet univers qui nous égare durant les premières pages pour s’éclaircir ensuite, Louise Rose propose un roman de fuite, qui suit la course d’une femme cherchant à échapper aux responsabilités accablantes de la vie d’adulte pour retrouver sa part d’enfant. Un ovni littéraire qui mérite d’être découvert.