Avec « Poèmes pulvérisés », Léonie Pernet signe l’un des albums francophones les plus passionnants de 2025. L’artiste nous dévoile les inspirations de ce disque puissant, de la poésie de Fernando Pessoa à un voyage fondateur au Niger, en passant par ses engagements politiques.
Artiste singulière de la scène française, la chanteuse et multi-instrumentiste Léonie Pernet a confirmé cette année son statut d’exploratrice sonore avec Poèmes pulvérisés. Sur ce très beau troisième album qui figure parmi nos coups de coeur de 2025, elle nous embarque dans un voyage musical où les sonorités électroniques se mêlent aux influences africaines et à des textes poétiques et engagés.
Alors qu’elle venait de livrer une performance habitée sur la Grande Scène du festival Rock en Seine fin août, nous avons rejoint la chanteuse en backstage pour parler de ses inspirations.
Dans ton album Poèmes pulvérisés, tu évoques un monde qui se fissure. Écrire, composer, est-ce que ça aide, voire inspire face à cette société qui part en vrille ?
Oui, ça aide. L’action, la création me ramène à ma capacité d’agir qui est mise en péril devant tout ce qu’on voit. Et ça, c’est quelque chose avec lequel on a vraiment toutes et tous beaucoup de mal à dealer, parce que l’on se sent tellement impuissant·e·s. Faire de la musique me ramène à ça. Dans mon album, il n’y a pas un mot que j’ai mis de côté. C’était trop important, surtout dans ce monde où les mots perdent leur sens et où règne la confusion.
Te vois-tu davantage comme une musicienne qui emprunte à la poésie ou comme une poète qui se sert de la musique ?
À la base, je suis instrumentiste (Léonie Pernet a notamment été batteuse du musicien electro Yuksek – Ndlr), mais j’ai un rapport avec la poésie depuis l’enfance. Aujourd’hui, je me sens les deux de façon égale. La poésie s’affirme de plus en plus, mais cela me prend plus de temps. Je suis moins prolixe. La musique, c’est plus immédiat.
Quel est ton processus quand tu écris et que tu composes en même temps ?
Quelques phrases, un refrain, parfois ça jaillit comme ça. La fulgurance est souvent la bonne. Et après, il faut se mettre à la table et travailler.
Quels poète·sse·s ou écrivain·e·s ont façonné ton imaginaire ?
Je dirais René Char mais aussi Fernando Pessoa, et Anaïs Nin. Ces auteurs m’ont ramenée à la lecture après des années où je m’en étais éloignée. Pour les œuvres : Le Livre de l’intranquillité de Pessoa, Fureur et mystère de Char, et La maison de l’inceste d’Anaïs Nin. Ce sont des œuvres littéraires et poétiques que j’adore, qui possèdent une grande justesse et une vraie profondeur.
Comment as-tu commencé à aimer la poésie ?
C’est un héritage familial. Ma mère lisait beaucoup et m’a transmis cette passion pour le langage.
Y a-t-il eu un déclic ou une œuvre en particulier ?
Vers 9 ans, j’ai commencé à dévorer Bernard Werber, L’Empire des Anges. Et avec Les Fourmis, j’ai eu un vrai choc. Mes parents me regardaient effarés parce que c’étaient des gros livres. Ensuite, j’ai été vraiment fan d’Amélie Nothomb. Et un peu plus tard, les classiques romantiques comme Baudelaire sont venus compléter mon univers.
Mais attention, j’avais aussi des Livres dont vous êtes le héros et j’ai lu les Harry Potter, hein ! (rires)
Ton voyage au Niger semble avoir été fondateur pour cet album. Peux-tu en parler ?
Oui, j’ai rencontré mon père biologique en 2016 ou 2017, il est originaire du Niger. Quelques années plus tard, je me suis retrouvée là-bas, avec ma grand-mère qui m’est tombée dans les bras. Ce fut un énorme choc à la fois culturel et personnel pour moi qui ai grandi en tant que métisse. J’avais déjà eu l’impression de découvrir de nouveaux mondes avec mon père, mais la découverte du Niger, cela a été le niveau ultime. Là-bas, je me suis sentie chez moi, il y avait une vibration incroyable.
Comment cette expérience s’est-elle traduite dans ta musique ?
Je me suis servie de cette matière pour cet album, comme on peut l’entendre sur le titre Touareg par exemple. Certains morceaux, comme L’Horizon ose, ont été créés avec ces émotions très brutes. Je n’ai pas pu y revenir beaucoup de fois parce que je pleurais.
Tes chansons portent aussi une dimension politique, parfois liée à la résistance. Quelles figures ou gestes de résistance t’inspirent ?
Il y en a plusieurs. Par exemple, l’organisation Les Indigènes de la République a été importante pour moi, même si elle est aujourd’hui très décriée. Leur travail m’a permis un grand éveil sur le décolonialisme et l’anti-racisme. J’ai aussi lu les ouvrages de l’écrivain Frantz Fanon, d’Angela Davis, et je soutiens des associations comme Utopia 56 ou SOS Méditerranée, qui défendent les droits des personnes exilées. Il y a aussi ces militantes et militants qui font un travail formidable pour accompagner les familles victimes de violences policières, ou pour agir là où l’État est défaillant.
Tu explores les musiques électroniques, ce qui est encore rare chez les artistes féminines francophones. Pourquoi selon toi ?
C’est globalement assez masculin comme univers, mais ça change. Il y a aussi un gros travail à faire du côté des programmateurs pour encourager les artistes féminines. Avant, certaines pensaient que c’était des trucs de « geek ». Moi, je viens de là. La musique électronique, la techno, la musique expérimentale font partie de mon ADN. Avec cet album, j’ai voulu mélanger électronique, voix et textes, pour créer un idéal.
Y a-t-il une œuvre qui t’inspire actuellement pour tes prochains projets ?
Oui, un opéra de Benjamin Britten, Peter Grimes. Il raconte l’histoire d’un marin accusé par son village d’avoir tué ses mousses. C’est l’histoire d’une meute qui s’en prend à un homme un peu bizarre. J’ai grandi dans un petit village, donc cet opéra m’a frappée. L’un de mes prochains projets serait de le réinterpréter, probablement vers mes 40 ans.