Comme de coutume depuis 1992, année marquée par la parution d’Hygiène de l’assassin, Amélie Nothomb dévoile, à l’occasion de la rentrée littéraire, son nouveau cru. Cette année, il fait figure d’exception. Tant mieux, son 34e roman, évoque pour la première fois sa mère et le lien singulier qui les unissait, à la manière d’un conte naturaliste.
Orpheline depuis le décès de sa mère, à l’âge de 86 ans, en 2024, Amélie Nothomb a tenu à lui rendre justice. « Depuis une trentaine d’années, de nombreux lecteurs m’ont dit qu’en lisant mes livres, on ressentait mon amour pour mon père et mes préventions envers ma mère. La première impression est aussi juste que la seconde est fausse », corrige-t-elle dans son nouveau roman.
Se demandant comment elle a pu donner cette impression, elle décide de rééquilibrer la balance en sa faveur, après avoir fait déjà allusion à son père, mort en 2020, dans plusieurs de ses romans, dont Psychopompe (2023) et L’impossible retour (2024). En 2021, elle lui rend même un vibrant hommage dans Premier sang (Prix Renaudot, 2021), écrit à la première personne, pour lui redonner vie et voix, et ainsi faire son deuil à travers la littérature.
Bonne-maman, une grand mère mal nommée
Pour sa mère, Amélie Nothomb a choisi une autre voie, celle du conte biographique, voire naturaliste, tant le livre contient des anecdotes précises et parfois peu glorieuses. « Debout là-dedans ! », puis « Sale gosse ! » et « Tu veux une taloche ? » : c’est avec ces mots que commence Tant mieux, ceux de Bonne-maman, la grand-mère mal nommée d’Adrienne.

À l’été 1942, les parents de l’enfant de 4 ans pensaient la mettre à l’abri des bombardements, sans se douter qu’ils l’exposeraient à la cruauté humaine. Cette vieille femme acariâtre, qui fait office de véritable sorcière, n’ayant rien à envier aux méchants des contes des frères Grimm ou de Charles Perrault, a décidé, en guise de bienvenue, de lui faire avaler un bol de café au lait et une assiette de harengs au vinaigre.
Cette répugnante mais savoureuse Cruella déchue déverse autour d’elle son aigreur, tout en réservant un amour inconsidéré aux chats, dont son dernier baptisé, Pneu. Le gros matou va les rapprocher, mais aussi permettre à la jeune fille – particulièrement mûre pour son âge – de percer les secrets de sa mère « aussi douée pour la dissimulation que pour la simulation », et dont le caractère oscille entre ceux du docteur Jekyll et de Mister Hyde.
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À chaque problème, un coup de « tant mieux »
Adrienne n’est autre que l’alter ego de la véritable mère d’Amélie Nothomb, Danièle Scheyven, aussi « grosse, grasse et stupide » que sa propre mère, du moins selon les dires de Bonne-maman. Forcément, de tels propos, même mensongers, laissent des traumatismes. Alors, pour se prémunir du côté obscur de sa famille maternelle, Adrienne prend la vie du bon côté, usant du « tant mieux » réconfortant comme d’une baguette magique. Tant mieux si sa mère tue les chats du quartier, ces animaux qui lui ont volé l’affection maternelle. À chaque problème, un « tant mieux » : une formule qui rapproche peu à peu les deux femmes autour d’une double personnalité commune.
L’histoire d’une filiation
Au-delà d’un hommage sans concession à la figure maternelle, Tant mieux se révèle être le récit d’une filiation et d’un héritage cérébral. Pour les explorer et en comprendre les mécanismes, l’autrice retrace ici les mésaventures de sa mère, de son enfance jusqu’à son départ du cocon familial, après son mariage.
Dans ses ouvrages autobiographiques comme Stupeur et tremblements (1999) ou La nostalgie heureuse (2013), Amélie Nothomb fait preuve d’une autodérision jubilatoire ; dans ceux consacrés à son père, d’une poésie et d’une spiritualité pleines de tendresse. Ici, elle opte pour un genre qu’elle affectionne tout particulièrement : le conte. Elle a d’ailleurs revisité ceux de Barbe bleue ou Riquet à la houppe. Ce genre lui permet de sublimer les situations cocasses, dont elle se délecte et nous régale.
Dans Tant mieux, Adrienne apparaît telle une héroïne espiègle, courageuse et maline, toujours prête à protéger sa grande sœur frêle et pleurnicharde, puis sa mère, des violences de son père – pourtant aimant – armé d’une poêle à frire.
Une nouvelle fois, Amélie Nothomb ajoute au tragique un soupçon de comique : sa signature. Une manière de prendre de la distance, mais aussi d’apporter du relief à l’histoire. Les personnages n’en manquent pas non plus. Contrairement à celui de Bonne-maman, foncièrement malveillant, les autres sont plus ambigus et nuancés, ni tout à fait bons, ni complètement mauvais. L’écriture est parfois un brin caricaturale, mais le ton demeure juste et empreint de subtilité, à l’image d’Adrienne. « Dans tous mes livres, aucune mère ne lui ressemble. Sans doute parce que ma mère était trop déroutante », confie-t-elle dans son roman. Il lui en fallait donc un tout entier pour lui rendre hommage : preuve d’un grand amour.