Nés en Corée du Sud, les webtoons ont conquis la planète à coups de récits addictifs, de scroll sans fin et d’adaptations à succès. Pensés pour le mobile, nourris à la culture pop et portés par une génération d’auteurs connectés, ces mangas numériques bousculent l’ordre établi. Bienvenue dans l’ère du webtoon !
À l’origine, ce n’était qu’un format de bande dessinée numérique, né sur les portails sud-coréens au début des années 2000. Vingt ans plus tard, le webtoon est devenu un phénomène global. Son principe ? Une BD à lire en scroll vertical sur smartphone, publiée de manière régulière, souvent hebdomadaire, et portée par une esthétique claire, colorée et rythmée.
Le format a su séduire les lecteurs par son accessibilité, son efficacité narrative, mais aussi par la diversité de ses genres : romance, fantasy, horreur, thriller, tranche de vie… tous les styles y sont représentés, parfois avec une audace rafraîchissante.
En 2025, Naver Webtoon revendique plus de 85 millions d’utilisateurs actifs par mois. Des plateformes comme Tapas, Kakao Page ou la française Delitoon suivent le mouvement. En parallèle, les grandes maisons d’édition multiplient les traductions et les partenariats. Résultat : une révolution graphique et culturelle est en marche, et elle vient de Séoul.
Une lecture née pour l’écran
Le webtoon, contraction de « web » et « cartoon », a été pensé pour les écrans dès sa création. Contrairement au manga ou à la BD traditionnelle, il ne se lit pas page après page mais en déroulement vertical, comme un feed Instagram ou TikTok. Cette structure unique modifie profondément la grammaire narrative : les silences s’étirent, les actions se déploient en pleine page, les effets de surprise sont calibrés pour surgir au détour d’un scroll.
Autre particularité : la lecture mobile. Les webtoons sont conçus pour être consommés sur smartphone, dans les transports, entre deux cours, en toute liberté. Ce mode de lecture rapide et flexible explique en grande partie leur succès auprès des jeunes générations.
Et puis, il y a la régularité. Comme une série TV, un webtoon se construit épisode après épisode, avec un nouveau chapitre mis en ligne chaque semaine. L’attente fait partie de l’expérience, tout comme les cliffhangers qui jalonnent les fins d’épisodes.
Solo Leveling, ou l’ascension d’un empire
Parmi les webtoons qui ont marqué l’histoire du genre, difficile de ne pas citer Solo Leveling de Chugong (dessiné par Dubu). Publié entre 2018 et 2021, ce récit de dark fantasy raconte l’histoire de Jinwoo, un « chasseur » de bas niveau qui, après un incident mystérieux, obtient un pouvoir unique lui permettant de progresser sans limite. Il devient alors un « joueur » dans un monde structuré comme un RPG.
Avec ses combats épiques, ses ennemis titanesques et sa montée en puissance fulgurante, Solo Leveling coche toutes les cases du « power fantasy ». Mais il séduit aussi par sa maîtrise du rythme, la qualité de son dessin et son ambiance sombre. Traduit en français chez Kbooks, adapté en anime en 2024 par le studio A-1 Pictures, le webtoon est devenu une référence mondiale — preuve que le format peut rivaliser avec les plus grands shonens japonais.
Une galaxie de genres : de la dystopie à la romance
Le webtoon ne se résume pas à la baston. Il couvre un large éventail de genres, souvent hybrides, qui s’adressent à des publics variés. Dans Omniscient Reader’s Viewpoint de SingNSong (illustré par Sleepy-C), le protagoniste, lecteur passionné d’un roman en ligne, se retrouve propulsé dans l’univers apocalyptique de l’œuvre qu’il était seul à lire. À la frontière entre fantasy, survival, métafiction et science-fiction, cette série multiplie les niveaux de lecture.
La romance, quant à elle, est le pilier commercial du webtoon, en particulier sur des plateformes comme Webtoon France ou Verytoon. Et pour cause : elle représente près de 50 % des titres les plus lus. Ce succès repose sur des récits modernes, inclusifs et souvent ancrés dans les problématiques contemporaines.
True Beauty de Yaongyi en est l’exemple emblématique. Publiée depuis 2018, cette série suit Ju-keong, une adolescente complexée par son apparence, qui découvre le pouvoir du maquillage. Rapidement, elle devient la plus belle fille du lycée… à condition de garder son secret. Le webtoon explore l’identité, la pression sociale, les normes de beauté et l’impact des réseaux sociaux. Adapté en drama télévisé, True Beauty a été visionné dans plus de 100 pays.
Autre série marquante, See You in My 19th Life de Lee Hye, où une jeune femme capable de se souvenir de toutes ses vies antérieures décide, à sa 19ème incarnation, de retrouver l’homme qu’elle a aimé autrefois. Poétique, mélancolique et délicatement illustrée, la série s’est imposée comme une référence du genre « romance-fantastique », donnant lieu à une adaptation en live action Netflix acclamée en 2023.
Sororité, pouvoir et robes d’époque
Certains webtoons renouent avec les codes du feuilleton historique, tout en leur apportant une touche féministe assumée. C’est le cas de The Remarried Empress de Alphatart (dessiné par Sumpul), où Navier, impératrice vertueuse mais trahie par son mari, décide de reprendre son destin en main… en se remariant avec un autre souverain. Dans ce jeu de trônes romantique, les robes sont somptueuses, les coups bas constants, et les héroïnes bien plus stratèges que les hommes. Loin d’un simple conte de fées, cette série interroge la place des femmes dans le pouvoir, les relations toxiques et la possibilité de réinvention.
Du scroll à l’écran : la vague des adaptations
Le succès des webtoons ne se limite pas au monde numérique. Ils sont aujourd’hui devenus l’une des principales sources d’inspiration des K-dramas. De nombreux titres ont connu une seconde vie à l’écran, contribuant à renforcer leur notoriété auprès d’un public international.
Itaewon Class de Kwang jin, adapté en série en 2020, a révélé l’acteur Park Seo-joon et imposé une nouvelle image de Séoul, cosmopolite et rebelle. Sweet Home de Carnby Kim et Youngchan Hwang, plongée horrifique dans un immeuble assiégé par des monstres, a fait sensation sur Netflix. La série Weak Hero Class 1, tirée du webtoon de Seopass (dessin de Razen), a séduit pour son intensité dramatique et ses combats chorégraphiés avec précision.
Cette passerelle entre webtoon et écran est désormais bien rodée. Les producteurs y voient un vivier de récits testés, validés et suivis par des millions de fans. Le webtoon devient ainsi une fabrique à succès narratifs.
Les coulisses d’une industrie exigeante
Derrière cette success-story se cache une industrie exigeante, parfois brutale. Les auteurs doivent livrer un épisode par semaine, parfois épaulés par une équipe d’assistants, dans un rythme proche de celui des séries télé. Certains burn-out ont défrayé la chronique, et plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer une précarité encore trop fréquente.
Cependant, de plus en plus d’auteurs parviennent à vivre de leur travail grâce aux revenus générés par les plateformes (système freemium, fast-pass, abonnements), les droits dérivés (adaptations, produits dérivés) ou encore la traduction de leurs œuvres à l’international. Le rêve de devenir auteur de BD devient accessible — à condition d’en accepter les contraintes.
Une révolution graphique et culturelle
Avec les webtoons, la Corée du Sud ne s’est pas contentée d’ajouter une nouvelle case au rayon manga : elle a inventé une nouvelle manière de lire, d’écrire et de produire de la bande dessinée. Une narration sérielle, mobile, addictive, visuelle, qui parle aux jeunes lecteurs du monde entier. En cela, les webtoons s’inscrivent dans la même dynamique que la K-pop ou les dramas : une pop culture mondiale, fluide, exportable et virale.
Et leur influence dépasse désormais les frontières de l’Asie : aux États-Unis, en France, au Japon, des auteurs s’essaient au format. Des festivals leur consacrent des sélections. Et des éditeurs traditionnels s’interrogent sur cette forme qui séduit un public qu’ils ne touchaient plus.
