Décryptage

Le rébétiko, ce blues grec envoûtant qui fait voyager loin des clichés

11 juillet 2025
Par Julien D.
Le rébétiko, ce blues grec envoûtant qui fait voyager loin des clichés
©D. Prudhomme/Barbier

Le rébétiko, ce blues grec chargé d’histoire, revient sur le devant de la scène, notamment grâce à David Prudhomme, auteur de la BD Rébétiko dont il signe la suite. Il y explore la répression de ce genre musical sous la dictature et nous plonge dans l’âme vibrante de la Grèce. Oubliez les cartes postales : un autre visage de la péninsule vous attend.

En 2009, le succès critique et public de la bande dessinée de David Prudhomme, Rébétiko (La mauvaise herbe), aura permis à beaucoup de zoomer sur ce genre musical typiquement méditerranéen né dans les années 20. Des mélopées brutes et enivrantes bien loin des clichés touristiques trop souvent associés à la Grèce. 

Dans Rebetissa, sa nouvelle BD, David Prudhomme nous plonge dans l’histoire du rébétiko dans la première moitié du 20e siecle. Comment comprendre ce pays et l’âme de ses habitants sans avoir quelques ficelles sur ce « blues » si typique et constitutif des traditions musicales nationales.  

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C’est quoi, le rébétiko ?

Le rébéti-quoi ? Le mot vous intrigue peut-être et pourtant. Vous connaissez probablement une forme apparentée au rébétiko si vous avez écouté en boucle la B.O de Pulp Fiction

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Misirlou, le tube surf-rock’n’roll de Dick Dale (1963) qu’a utilisé Tarantino n’est autre que l’adaptation d’une chanson traditionnelle grecque aux accents et influences orientalistes comme pratiquement tout le répertoire du genre rébétiko (appelé aussi parfois rembetika). En voici trois variantes qui valent leur pesant de bouzouki. 

  

Même s’ils ne sont pas toujours d’accord sur son origine précise, les musicologues, spécialistes et autres historiens du rébétiko s’accordent sur la période où cette musique émergea dans le paysage grec. Un paysage bien éloigné des horizons paradisiaques qu’on trouvent aujourd’hui sur les dépliants des agences de voyages puisque cette musique est apparue dans les années 1920, dans les métropoles urbanisées, jouée par et pour des « petites gens ». 

C’est dans les faubourgs d’Athènes ou de Thessalonique que les paysans en proie à la crise, comme l’important contingent de réfugiés grecs éjectés de Turquie se retrouvent et façonnent ce que l’ on considère souvent comme le pendant méditerranéen du blues afro-américain. Le parallèle est en effet flagrant quand on songe aux populations rurales des Etats du sud des Etats-Unis qui ont débarqué dans les métropoles du nord (Chicago, Detroit…) en mal de main d’œuvre au moment du boom de l’industrie. 

Dans les tavernes de ces quartiers populaires, où se mêlent des populations aux origines multiples, on chante le quotidien précaire, les amours perdus, le déracinement, la vie de bohème sans trop se mêler de politique, préférant plutôt se tenir à distance, ce qui fut consideré comme une posture « révolutionaire », à tort.  

« Des petites chansons simples pour des gens simples » pourrait une définition parmi d’autres. Mais on préféra celle-ci, mentionnée dans le livre de Gail Host faisant référence sur le sujet : « Les chansons du rébétiko sont écrites par des rébètes pour des rébètes… Ceux qui avaient de la peine et la balançaient à la gueule du public. »

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Les gammes utilisées sont souvent mineures (les influences orientales), donnant au registre du rébétiko ce sentiment entre tragique et nostalgie, ce fameux spleen que l’ on retrouve dans le fado, le flamenco et bien sûr le blues auquel on le compare depuis.

Glissez donc dans votre valise la géniale et premiere autobiographie en français de Markos Vamvakaris publiée en 2024 par un chouette petit éditeur français et vous verrez que la comparaison saute aux yeux sur ces trajectoires paralelles de vies. A l’heure de l’I.A, on aura peut-être un jour l’occasion d’assister à une jam session (virtuelle) entre Robert Johnson et Markos Vamvakaris tant l’esprit de ces deux figures semblent perméables. Illustration limpide avec ces vers signés du barde grec que le bluesman du Delta aurait très bien pu écrire.

« Tous les rébètes du monde m’ aiment, dès qu’ils me voient, me font des grâces

Tous les durs qui vivent dans le coin, ont aussi leurs coeurs blessés

Je suis né pauvre et j’ai connu le monde

Dans les profondeurs de mon âme, j’ai tout enduré. »  

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 Du ghetto… à la radio

Expression musicale inscrite au patrimoine culturel immatériel mondial de l’UNESCO en 2017, le rébétiko aura façonné les musiques populaires grecques dans leur ensemble au cours du 20e siècle. Un phénomène récurrent qu’on observe dans toutes les sous-cultures musicales quelles qu’elle soient. Marginales et marginalisées dans un premier temps, on redore leur blason quand l’industrie du disque s’en mêle. Fascination générale pour les musiques d’une société interlope, les grands noms du genre des années 1920/30/40 plaisent et il faut les vendre, d’une manière ou d’une autre.  

Le rébétiko n’y a donc évidemment pas échappé malgré le mauvais œil des autorités de l’époque jeté sur cette musique des « bas-fonds ». Une répression assumée du pouvoir en place sur des musiciens rabaissés le plus souvent à leur simple consommation récréative de haschish et leur mode de vie bohème aura poussé un bon nombre de rébètes à fuir les centres urbains. 

La vague de migration de l’entre-deux-guerres vers New York aura eu pour effet de booster fortement à la popularité du genre rébétiko puisque des musiciens en exil auront pu enregistrer pour les grandes firmes américaines du disque qui, business oblige, auront bien evidemment pris le soin d’exporter leurs productions… en Grèce. Ô ironie.

Monument national 

Cependant, c’est après la seconde Guerre Mondiale seulement que le rébétiko se départira de sa « mauvaise » réputation et résonnera à l’échelle nationale dans toutes les couches de la société grecque. Les thèmes des chansons changent et on célèbre désormais plutôt l’amour (recherché ou perdu) que la vie de « hors-la-loi drogués et méprisables ». On parle de laïko et non plus de rébétiko.

Des grands compositeurs tels que Mikis Theodorakis s’empareront d’ailleurs de ce langage musical pour l’incorporer dans leur propres compositions, oeuvrant là-aussi à son rayonnement. 

Les années 70 et la sombre dictature des colonels auront paradoxalement redonné un coup de fouet au rébétiko « original », devenu chez une certaine jeunesse, un symbole de résistance.

Et si les funerailles nationales du grand Vassillis Tsitsanis auront déplacé plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues d’Athènes dans les années 80, on trouve ajourd’hui en Grèce et à l’étranger un grand nombre de musiciens et musiciennes qui jouent ou s’inspirent clairement de cette authentique musique grecque que vous entendrez difficilement résonner cet été si vous choisissez une destination grecque un peu trop fréquentée. 

Mais rassurez-vous, on vous a concocté une playlist sur-mesure. Savourez !

Article rédigé par
Julien D.
Julien D.
Disquaire à la Fnac Montparnasse
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