Julien Clerc : ces belles chansons qui le racontent

La cavalerie (1968)

C’est sur les bancs du lycée et de la fac que Julien Clerc rencontre ceux avec qui il va écrire quelques-unes de ses chansons : Maurice Vallet et Etienne Rhoda Gil. Les premiers titres sont à l’opposé de la mode de l’époque, les yéyés.

Julien Clerc aurait rencontré Rhoda Gil dans un café et lui aurait demandé : « Il y a-t-il quelqu’un pour m’écrire une chanson ? » Rhoda Gil aurait répondu : « Moi« . C’est en février 1968 qu’il enregistre son premier titre, La cavalerie – grâce à une relation familiale (une cousine) – que Julien Clerc signe chez Pathé-Marconi.

Le disque sort le 8 mai en plein mouvement de grève. Les programmes radio ne sont plus diffusés et remplacés par de la musique. La cavalerie profite de cette grève et passe en boucle, devenant par son texte un hymne libertaire, et surtout un succès. Le premier d’une longue liste. 

Laissons entrer le soleil – Hair (1970)

C’est d’abord à Broadway en 1967 que la comédie musicale Hair apparaît, et le succès est immédiat. Hair, c’est l’histoire d’un Américain qui part au Vietnam mais, avant d’aller à la guerre, il séjourne dans les communautés hippies. C’est Bertrand Castelli qui adapte la mise en scène en France, aidé de Jacques Lanzmann.

Julien Clerc est fortement préssenti, sa performance en première partie de Gilbert Bécaud ayant fait forte impression au metteur en scène.Le chanteur n’est pas particulièrement enthousiaste à l’idée de reprendre ce rôle, car chanter dénudé ne lui plaît guère. Il refuse, mais la médiatisation que peut lui apporter cette comédie musicale lui fait changer d’avis.

Comme pour La Cavalerie, le succès est immédiat et le 45 tours sera vendu à 100 000 exemplaires.

Souffrir par toi n’est pas souffrir (1975)

France Gall et Juien Clerc se rencontrent au moment où ce dernier se trouve dans la comédie musicale Hair. Leur histoire d’amour durera cinq ans, mais les ambitions et les carrières de l’un et de l’autre auront raison de leur amour. C’est France Gall qui aurait décidé de partir, lasse d’attendre des chansons de son amoureux qui n’arrivent pas. En plus, celui-ci aurait eu tendance à cacher quelque peu son histoire d’amour, de peur de ne pas heurter son public très féminin.

Julien Clerc en restera sans voix et demandera à Rhoda-Gil de lui écrire une chanson pour la reconquérir. Souffrir par toi n’est pas souffrir paraît en 1975. Tout l’album est imprégné par cette rupture. Aussi belle soit-elle, cette chanson ne fera pas revenir France Gall. Elle rencontre Michel Berger. Lui rencontre Miou-Miou.

Ma préférence (1978)

Après avoir été quitté par France Gall, Julien Clerc retrouve l’amour avec Miou-Miou. Cette nouvelle idylle s’accompagne de nouveaux paroliers dont Jean-Loup Dabadie. Il a rencontré l’actrice sur le tournage du film D’amour et d’eau fraîche en 1975. Pour vivre heureux, vivons cachés ; tel semble être l’adage de Julien Clerc.

Là, le contexte est plus complexe qu’avec France Gall, l’actrice n’étant pas encore séparé de son compagnon, Patrick Dewaere, avec qui elle a une petite fille. Elle le quitte pour vivre ouvertement son histoire avec Julien Clerc. L’opinion publique est troublée par cette situation. Julien Clerc répond avec cette chanson signée Dabadie. La chanson est un succès, l’album Jaloux aussi, 400 000 exemplaires. C’est le début d’une collaboration avec Dabadie.

Quand je joue (1980)

Nous sommes en 1980, et Julien Clerc prépare son 10^e album. En ce début de décennie, l’artiste veut évoluer, changer un peu de style. Il envoie une composition à son auteur fétiche, Rhoda-Gil. Le chanteur n’aime pas trop la proposition que lui fait son parolier et se tourne vers son autre parolier fétiche, Dabadie. Ce dernier propose un texte qui ne convainc pas du tout Julien Clerc.

Alors qu’il est au Québec, l’artiste rencontre Luc Plamondon, tout droit auréolé de son succès avec Starmania. Le courant passe entre les deux artistes. C’est là que naît Quand je joue avec ce rythme rock-disco. Le parolier québécois a très bien rendu compte de l’amour qu’a Julien Clerc pour la musique et la scène (« Quand je joue – je suis bien partout – je n’ai plus les pieds sur Terre – j’m’envole … »). 

L’assasin assassiné (1980)

Entouré de beau monde (Gainsbourg et Plamondon, mais plus Rhoda-gil), Julien Clerc clôt l’album avec une chanson qui ne compte pas forcément parmi ses grands succès, mais reste un titre très fort dans son texte, puisqu’il aborde la question de la peine de mort. Ecrite par Dabadie – qui a écrit Je suis pour pour Michel Sardou -, L’assasssin assasiné raconte le contraste entre l’exécution d’un homme un matin et la vie qui suit son cours.

Elle fut, avant d’être enregistrée et interprétée en 1979 dans une émission de Guy Lux, très embarrassante de part le thème quelle aborde. Il faut rappeler qu’à l’époque, le sujet de la peine de mort en France est un sujet clivant (62% des français sont pour la peine de mort).

Le garde des Sceaux de l’époque, Robert Badinter, félicitera Julien Clerc pour cette chanson, lui affirmant qu’elle avait autant compté que tous les débats politiques autour de son projet de loi qui mènera à l’abolition de la peine de mort le 18 septembre 1981. Lors de la tournée qui suivit, le public applaudissait à tout rompre à la fin de ce titre. 

Femmes, je vous aime (1982)

Nous sommes en 1982, et Julien Clerc prépare déjà son 12^e album, Femmes, blasphèmes, indiscrétions. Comme à son habitude, il envoie à son parolier diverses compositions. Ce dernier n’en retient qu’une. Sur celle-ci, il écrit Femmes, je vous aime. Julien Clerc, bien qu’ayant une image de dandy romantique, ne veut pas la chanter, étant trop discret et réservé.

Un soir en concert, il la met quand même dans son set. On est à Nice. À sa grande surprise, la salle est debout, et le chanteur est épaté de l’impact de cette chanson. Il se passe la même chose lorsqu’il l’enregistre en studio, l’histoire voulant qu’une femme se mette à pleurer en entendant l’interprétation. Ce titre se classe parmi les plus grandes déclarations d’amour faites aux femmes.

Mélissa (1984)

Dans les années 80, Julien Clerc veut changer de style. De multiples chansons offrent un son plus pop et rythmé, comme La fille au bas nylon, Lili voulait aller danser, Coeur de rocker… Il glisse aussi dans ses chansons son lien avec les Caraïbes, et notamment la Guadeloupe, évoquant ses origines dans diverses émissions.

Il aurait, de part son grand-père maternel né à Capesterre, des ancêtres probablement esclaves. Julien Clerc est particulièrement fier de son métissage et de son héritage. Il avait déjà fait allusion à ses origines guadeloupèennes dans This melody, et les réaffirme clairement dans Mélissa avec ses rythmes chaloupés.

C’est David McNeil qui est l’auteur de cette chanson. L’inspiration lui est venue d’un séjour à Ibiza où il avait aperçu de loin une femme nue prenant une douche. Ce titre est assez osé dans son genre. La beauté du corps de cette femme métisse contraste avec ces hommes qui essayent de la prendre en photo dans cette tenue intime, sans que personne – même pas la police – n’y trouve à redire.

Aujourd’hui, cette chanson pourrait être jugée sexiste et raciste. En tout cas, ce titre a donné des idées de prénom à de nombreux parents à l’époque pour leur fille. 

Fais-moi une place (1985)

Après les tubes pop des années 80, Julien Clerc souhaite revenir à ses amours d’avant, légèrement poussé par son éditeur qui lui demande de retrouver son élégance d’antan. Il en profite pour renouveler ses auteurs, et fait alors appel à Françoise Hardy. Cette chanson d’amour, très tendre et délicate, lui permet de remporter la Victoire de la musique de l’année 1991.

Alors qu’elle désire clore sa carrière avec l’album Vingt sur vingt, Françoise Hardy, trouvant cette chanson parfaite, la reprend. Elle montera sur scène (un véritable exploit pour celle qui n’a pas chanté en public depuis très longtemps) pour l’interpréter avec Julien Clerc sur la scène du Palais des congrès en 1997. Clerc la reprend avec sa fille, Vanille, sur l’album Duos en 2019.

Utile (1992)

Cela faisait dix ans que Rhoda-Gil et Clerc n’avait pas collaboré. Ils se retrouvent lors d’un événement personnel triste, l’enterrement de la femme d’Etienne. Un dîner en tête-à-tête les réconcilie. Parmi les chansons que Rhoda-Gil lui écrit, il y a Utile. Comme L’assassin assassiné, Utile, marque l’engagement d’un homme pour les valeurs de justice et de démocratie.

Ce titre, présent sur l’album Utile, est une réponse en chanson à la dictature chilienne qui emprisonne à tout va à l’époque. Cette chanson est d’autant plus marquante qu’en 2002, Julien Clerc cède ses droits en faveur du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Il en devient l’ambassadeur de bonne volonté et chantera lors de son concert hommage aux victimes des attentats (celui de Charlie Hebdo et celui de Nice, un an plus tard).

Sam, candidate à The Voice en 2016, choisira cette chanson pour les sélections à l’aveugle. Dès les premières notes, Zazie se retournera, bouleversée. 

Si j’étais elle (2000)

Toujours en quête de nouvelles collaborations pour se renouveler, Julien Clerc travaille pour la première fois avec Carla Bruni. Au départ, il est sceptique de travailler avec elle. Ils se rencontrent et elle lui confesse qu’elle aimerait lui écrire des textes. Le chanteur reste poli, la renvoyant vers son éditeur Bertrand de Labbey.

Ce dernier, contrairement à Clerc, croit en cette collaboration. Il lui fait parvenir un titre écrit par Carla, mais ne dévoile pas le nom de son auteur. Julien Clerc est séduit par la chanson et devine vite qui en est à l’origine. Aimant la fraîcheur de la plume de l’autrice qui tranche avec la manière d’écrire de ses paroliers, et voulant donner un souffle nouveau, il décide non seulement d’enregistrer Si j’étais elle, mais aussi de lui confier une grande partie de l’écriture de l’album éponyme. De là est née plus qu’une collaboration artistique.

Carla Bruni compte parmi les ami.e.s les plus proches du chanteur. 

Double enfance (2005)

La question du divorce est un sujet sensible pour Julien Clerc. Il a mal vécu la séparation de ses parents lorsqu’il était enfant. Cette plaie encore béante dans ses souvenirs, il décide de l’aborder dans le titre Double enfance, extrait de l’album éponyme. C’est à Maxime Le Forestier qu’il demande d’écrire le texte, si délicat et chargé en émotion.

« Deux maisons, deux quartiers – Deux gâteaux d’anniversaire – Multiplier les pères et mères- N’a pas que des mauvais côtés -Avant les autres j’aurais su – Que le seul sentiment qui dure – C’est le chagrin d’une rupture- Où je n’aurais jamais rompu », chante-t-il. Ironie du sort, à l’époque où il chante cette chanson, il a lui-même divorcé.

On ne se méfie jamais assez (2014)

C’est sans doute la collaboration avec de jeunes et nouveaux auteurs (ici Alex Beaupain) qui permet à Julien Clerc d’aborder le thème de la relation amoureuse ainsi. Car, c’est à travers la notion de méfiance – envers celles et ceux font semblant (pour diverses raisons) d’accepter tout dans une relation, même en cas de frustration – que l’artiste traite de manière détournée l’amour au bout du compte.

Mais camoufler ses frustrations a ses limites, et le point de rupture est souvent brutal. « On ne se méfie jamais assez -C’est bien trop tard qu’on sent le danger – J’aurais du savoir que tout se gâche – Ma jolie fleur était une peau de vache – Eh, eh, eh, – Être à toi je ne veux plus – Eh, eh, eh, – Mais elle ne m’a rien rendu – Et depuis sans tête, sans bras, ni coeur – Un fantôme guider de l’intérieur – Je chante à qui veut l’entendre ma douleur« , fredonne Clerc à qui veut bien l’entendre dans On ne se méfie jamais assez, issu de l’abum Partout la musique vient.

Je reviens te chercher (2021)

C’est la deuxième fois que Julien Clerc s’essaye à des reprises, autres que celles de ses propres chansons comme dans Duos. La première fois dans Studio, ce sont des standards américains qu’il prenait plaisir à chanter. Dans Les Jours Heureux, ce sont des chansons françaises auxquelles il s’attaque.

Barbara, Trenet, Aznavour, Ferré, Brel … Julien Clerc ne fait pas dans la facilité, mais en même temps, sa carrière lui donne quelque part toute légitimité pour aborder ces monstres de la chanson française. Symboliquement, nous avons sélectionné sa reprise de Gilbert Bécaud, car c’est sur la scène de l’Olympia en première partie de celui-ci que le metteur en scène l’a choisie pour le rôle-titre de Hair. 

Les parvis (2025)

C’est sous la houlette de Benjamin Biolay – avec qui il avait déjà travaillé – que Julien Clerc revient dans les bacs avec l’album Une vie. Comme son titre l’indique, cet opus retrace une vie, celle d’un homme à travers l’amour, la perte, la mémoire, le temps qui passe. Les parvis, premier titre dévoilé, est inspiré par le compagnon d’Agnès Lassalle, professeure d’espagnol poignardée par un élève dans un lycée de Saint-Jean-de-Luz en 2023. Cet homme dansait seul devant l’église lors des obsèques de sa femme.

« Il tourne, il tourne et il danse – Sur les pavés du parvis – Dans ses bras, il tient l’absence – Son bel amour qu’on a ravi« , chante Julien Clerc de manière très poignante. Que faire face à l’incacceptable ? Comment réagir face à une tragédie pareille ?

Cette danse est la parade résiliente pour continuer à vivre avec l’absence. La chanson, en mémoire de son frère – décédé dans un accident d’avion alors qu’il venait le rejoindre pour assister à l’un de ses concerts -, est dans cette même veine.