En cinquante années de carrière, Niels Arestrup a baladé son physique tranchant, son regard glaçant et son incroyable capacité à jouer des salauds hors norme sans aucun état d’âme. Disparu ce 1er décembre, il laisse une filmographie couronnée par trois César et un Molière et le souvenir d’un acteur mystérieux et impénétrable.
Un début de carrière sur les planches et les plateaux
Rien ne prédestinait Niels Arestrup, né de parents réfugiés du Danemark nazi, à embrasser une carrière artistique. C’est d’ailleurs sans doute du passé tumultueux de ses aïeux qu’il garde en lui une sorte de rage latente et un regard aussi froid que désabusé. Deux atouts qui séduiront le réalisateur Samy Pavel qu’il rencontre à l’âge de 24 ans. L’année 1973 sera donc celle de la deuxième naissance d’Arestrup. D’abord au cinéma sous la direction de Pavel (Miss O’Gynie et les Hommes fleurs), mais aussi au théâtre, dans La Famille de Lodewijk de Boer et Crime et Châtiment d’après Dostoïevski.
Son physique atypique et sa personnalité mystérieuse, presque mutique, détonnent. Il est alors très vite repéré et demandé simultanément sur scène, sur les plateaux de cinéma et sur ceux de la télévision. Arestrup ne s’arrêtera jamais de travailler en cinquante ans de carrière, même si on le retrouve tout d’abord dans des seconds rôles plus ou moins marquants. Il tourne ainsi sous la direction d’Alain Resnais (Stavisky), Claude Lelouch (Si c’était à refaire) ou Marco Ferreri (Le futur est une femme), prenant à chaque fois de plus en plus de place et s’imposant en acteur impossible à oublier.
Des rôles dérangeants et désabusés
Grâce à (ou à cause de) son visage magnétique au sourire absent, il obtient surtout des rôles de salauds plus ou moins magnifiques, des Loups entre eux de José Giovanni à La Rumba de Roger Hanin. Ou en proie aux plus grandes des difficultés. Il incarne un chef d’orchestre sur qui tout s’effondre dans La Tentation de Vénus aux côtés de Glenn Close en 1991, un époux alcoolique quitté par son épouse dans Parlez-moi d’amour de Sophie Marceau en 2002, tandis qu’au théâtre, il décline ses rôles dans des compositions tout aussi incandescentes, bouleversantes et parfois provoquantes, au bord du malaise.
Que ce soit chez Rilke, Tchekhov, Racine et même Molière, Niels Arestrup donne tout de lui-même et bien plus encore, enchaînant parfois les polémiques, notamment sur les spectacles Mademoiselle Julie et Qui a peur de Virginia Woolf ? Le public, lui, applaudit ses performances dans Diplomatie de Cyril Gély et Le Souper de Jean-Claude Brisville, en Talleyrand manipulateur.
La consécration à plus de 50 ans
Il lui faudra attendre la rencontre avec le réalisateur Jacques Audiard pour obtenir une consécration tardive auprès de toute la profession, par le biais de deux films marquants : De battre mon cœur s’est arrêté en 2006 et Un prophète en 2010. Il y interprète à chaque fois un homme brutal, au pouvoir néfaste, tantôt père violent de Romain Duris, tantôt mentor et gourou emprisonné face à Tahar Rahim. Deux rôles qui lui permettront de remporter le César du meilleur acteur dans un second rôle. Il en obtiendra un troisième avec Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier, en directeur de cabinet inquiet du ministre des Affaires Étrangères. Il sera également nommé pour Diplomatie et Au revoir là-haut, confirmant l’aura d’Arestrup sur le cinéma français. Mais aussi sur le théâtre, puisqu’il sera enfin couronné d’un Molière du meilleur comédien pour Rouge en 2019. Son dernier film, Divertimento, le faisait interpréter le chef d’orchestre brillant, mais intraitable Sergiu Celibidache. C’est peu dire que Niels Arestrup aura mené sa carrière d’une virulente et talentueuse baguette.