JoeyStarr, du rap au septième art, la même rage de créer

Les années NTM

Il est des voix qui ne peuvent s’oublier sitôt entendues : celle de Didier Morville, alias JoeyStarr, en fait partie. A la fois rocailleuse et profonde, elle est faite pour rugir et cracher une poésie urbaine qui fait écho à son époque, quitte à déranger et heurter la sensibilité des bien-pensants. C’est pour bousculer la société qu’il a créé le duo NTM avec Kool Shen. Deux rebelles de cité et amis d’adolescence, liés par la musique et la violence, vont devenir de véritables stars du rap grâce à leur pugnacité. Le groupe se forme en 1988, mais c’est en 1991 avec l’album Authentik que leurs sons vont se faire entendre, bien au-delà des murs de leurs barres HLM.

Ils enchaînent les concerts et deviennent les figures de proue de toute une génération, jusqu’à leur séparation en 1998. Ensemble, ils auront réalisé des œuvres majeures de la scène urbaine, de Paris sous les bombes à Suprême NTM. Ils se retrouveront en 2008 pour une tournée événementielle, dont un passage enflammé à Bercy.

JoeyStarr en solo

Si JoeyStarr vit mal de se retrouver sans son alter ego, il poursuit sa carrière musicale et les collaborations. Il marque ainsi les esprits avec un premier album seul aux commandes en 2006, Gare au Jaguarr (nommé aux Victoires de la Musique) et signe un nouveau duo inattendu avec Nathy Boss en 2015, avec l’opus Caribbean Dandee. Il participe à différents featurings, que ce soit avec Disiz, La Brigade, Dadoo ou Sniper, tout en s’aventurant dans d’autres horizons, en enregistrant aux côtés de Bigflo et Oli ou l’actrice Dani.

Si le rappeur est toujours là, tapi dans l’ombre, ne demandant qu’à ressurgir en pleine lumière pour mieux s’époumoner encore, JoeyStarr est peu à peu happé par le septième art, d’abord en tant que compositeur sur des films tels que Yamakasi, Le Boulet, Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre ou RRRrrr!!!. Il va même jusqu’à composer une bande originale complète pour Le Bal des actrices de Maïwenn : un monde pas si éloigné de celui qu’il côtoie alors. L’artiste change juste de medium, peu à peu, pour s’exprimer entre deux faits divers qui font couler de l’encre.

Un acteur rugissant

C’est dès 2000, avec la comédie La Tour Montparnasse infernale, que JoeyStarr commence ses premières participations dans le monde du septième art, sans se douter qu’une vaste carrière d’acteur est en train de s’ouvrir à lui. De bête de scène, il va devenir monstre des plateaux. S’il enchaîne les caméos et les apparitions pendant une décennie, il se forme petit à petit à ce nouveau métier, sans abandonner la musique pour autant. Cependant, il est un film qui va tout changer. Lui qui a déjà goûté aux gardes à vue va se retrouver à interpréter un flic brut de décoffrage pour Polisse de Maïwenn. Désormais pris au sérieux à la profession, il obtient le Prix Patrick-Dewaere en 2012 pour sa prestation, ainsi qu’une nomination au César du meilleur acteur.

On le retrouve aussi bien chez Olivier Dahan (Les Seigneurs), Emmanuel Mouret (pour Une autre vie), Philippe Lacheau (Alibi.com) ou Samuel Benchetrit (Cette musique ne joue pour personne), entre films noirs, comédies ou drames sentimentaux. On le réclame à la télévision, que ce soit dans H, Mafiosa, Dix pour cent ou Capitaine Marleau. Il obtient même sa propre série en tête d’affiche, Le Remplaçant, dans laquelle il incarne un professeur de français aux méthodes peu conventionnelles. Josée Dayan lui confie également le rôle du comte de Kervannes aux côtés d’Isabelle Adjani dans Diane de Poitiers.

JoeyStarr, un artiste protéiforme

JoeyStarr est insaisissable. Il change de type de rôle à chacun de ses films, n’hésite pas à plonger dans une autodérision inattendue ou à se lancer dans des défis qui semblent plus forts que lui. Il s’essaie ainsi avec succès au théâtre en 2017 pour Éloquence à l’Assemblée, dans une mise en scène de Jérémie Lippman, puis en 2019 pour une adaptation d’Elephant Man avec Béatrice Dalle. La pièce est acclamée par la critique et l’acteur-rappeur gagne ses galons de scène, en dehors de celle de la musique où il a déjà tant brillé.

De podcasts en doublages de films (la voix française de l’ourson salace Ted, c’est lui), JoeyStarr ne cesse d’étonner, quitte à désarçonner ses fans de la première heure, tandis que NTM a permis l’éclosion du rap en France avec des lettres de majesté. On le retrouve à nouveau sur grand écran avec un thriller fantastique qui lui va comme un gant, Jour de colère de Jean-Luc Herbulot : il interprète un tueur à gages en fin de course, confronté à un psychopathe sans pitié. Par ailleurs, il croise dans ce film une autre écorchée vive, Asia Argento. Le jaguar n’a donc visiblement pas fini de faire ses griffes…