A l’occasion du centenaire de la naissance de l’écrivain afro-américain dont l’œuvre magistrale est enfin réimprimée, c’est l’incomparable Meshell Ndegeocello qui se fend d’un audacieux tribute-album publié par le mythique label Blue Note. Au programme de « No More Water : The Gospel Of James Baldwin » : une formidable entreprise de résistance à l’heure où nos sociétés semblent oublier les démons du passé. Une pièce en 17 actes aux saveurs de folk, de slam, de jazz, de funk et de soul.
James Baldwin : 100 ans sans concessions
Ses écrits ont heureusement été réimprimés il y a quelques années. Mais c’est en 2024, à l’occasion du centenaire de l’une des plus grandes plumes afro-américaines du XXe siècle que l’on voit réapparaître dans les débats et sur le devant de la scène le nom de James Baldwin.
Des textes inédits. De nouvelles traductions. Des formats poche et, pour ce qui nous concerne directement en tant que disquaires, ce nouvel album signé Meshell Ndegeocello. Un album dont l’origine est à chercher presque 10 ans en arrière dans une pièce de théâtre/comédie musicale autour de Baldwin que la bassiste avait écrite et jouée initialement à Harlem fin 2016, Can I Get A witness ? The Gospel Of James Baldwin.
Accords majeurs
Seconde parution sous étiquette Blue Note records pour la bassiste chanteuse de Washington D.C. devenue en trois décennies une actrice majeure de ce que l’on nomme communément la Great Black Music. Un statut résolument mérité bien qu’elle reste peu connue du grand public et ce, malgré un Grammy Award du Meilleur album de jazz alternatif l’année passée.
Album après album, Meshell Ndegeocello jouit d’ailleurs d’un succès critique continu depuis son tout premier opus, Plantation Lullabies, album poisson-pilote de la scène nu-soul des années 90/2000.
Par ses choix artistiques qu’on pourrait qualifier de radicaux (disons qu’elle prend souvent le dictat du “mainstream” à contre-sens) Meshell Ndegeocello est de cette trempe de musicienne dont l’audace comme l’intégrité artistique sont intimement chevillées à son œuvre.
Pour celles et ceux qui n’ont pas suivi tous les zigzags de cette artiste singulière, sachez que aussi contemporaine que soit sa musique, elle aime et assume parfaitement les coups d’œil en arrière sans pour autant tomber dans une redite “retro”. La preuve au regard de sa discographie : Hommage à Nina Simone, ou au jazz intergalactique de Sun Ra. Souvent, elle choisit de glisser les voix et les propos d’activistes (Angela Davis notamment), de féministes, de poètes au sein de ses albums. Ces voix du passé qui ont aussi construit son identité.
C’est donc sans aucun étonnement, puisqu’on célèbre son centenaire cette année, que le nouvel album – More Water, The Gospel of James Baldwin – de Ndegeocello consacre l’un de ses héros : l’auteur et activiste américain James Baldwin dont l’œuvre majeure (La Prochaine Fois Le Feu) serait devenue depuis quelques années sa “Bible”.
A bonne école !
On a vu dans le passé Meshell Ndegeocello s’entourer de beau monde à en avoir le tournis. Elle a joué aux côtés de Billy Preston, WahWah Watson, des Stones, Chaka Kahn, Herbie Hancock, Blind Boys Of Alabama, Alanis Morrisette, Basement Jaxx et tant d’autres…
Cette fois, elle est accompagnée de sa garde rapprochée habituelle depuis quelques années et d’invité.es. No More Water, The Gospel of James Baldwin est une sorte de prophétie musicale unique en 17 chapitres. Des interludes slamés, des A Cappella combatifs ou d’autres titres tout en délicatesse, mettent en valeur la prose subtile de James Baldwin.
Mais le caractère tempétueux de l’écrivain comme celui parfois volcanique de la musicienne donnent à voir d’autres couleurs, d’autres saveurs. Des formes de jazz aux accents funk. Les reflets d’une soul contemporaine enveloppante ou ces exercices de spoken word rondement executés par la poétesse/activiste jamaïcaine Staceyann Chin. A l’image du groove incendiaire de l’excellent titre gigogne Thus Sayeth The Lorde ou ce premier extrait disponible (Travel), les 17 chapitres de l’album sont bluffants de créativité et d’intensité.
Et on se laisse à penser que James Baldwin n’aurait pas rêver mieux comme célébration.