Alors que la cérémonie des Flammes approche, L’Éclaireur a voulu se pencher sur l’un des jeunes talents les plus prometteurs du rap français, Luther. Voici le portrait, en punchlines, d’un penseur impénétrable.
Discret nouveau talent du rap français né en l’an 2000, Luther s’est fait connaître avec son projet Garçon (2022) qui a comptabilisé cinq millions de streams. Avec son dernier album Exit (2024), il continue son ascension. À l’occasion de la cérémonie des Flammes, ce 25 avril, L’Éclaireur a souhaité dresser son portrait à coup de punchlines.
À lire aussi
« Pose pas d’questions sur ma vie, t’as qu’à écouter mes sons. » Luther – Pk tu m’apl ?, Garçon
« Pose pas d’questions sur ma vie, t’as qu’à écouter mes sons. »
Lutheru003ciu003ePk tu m’apl ?u003c/iu003e, u003ciu003eGarçonu003c/iu003e
Un rappeur mystérieux
Luther nous avait prévenus dans son morceau Pk tu m’apl ? issu de son premier album, Garçon : il ne donne pas d’interviews. Et pour apprendre à le connaître, il suffit d’écouter ses morceaux. Depuis ses débuts – ses premiers titres ont été publiés sur Soundcloud en 2014 –, il cultive le mystère et porte le masque. « J’aimais déjà pas la lumière, déjà petit j’me cachais sur les vidéos » (Journal de quêtes).
On ne sait donc que peu de choses du jeune prodige français : né à Avignon en 2003, il s’installe ensuite à Niort, dans les Deux-Sèvres. À l’image de l’antagoniste du manga 20th Century Boys dont on ne connaît pas l’identité – et à qui il emprunte le prénom, Ami, pour titrer son EP sorti en 2023 –, il installe une ambiance sombre et mystérieuse dans ses sons, comme dans ses clips ou sur ses réseaux sociaux. C’est plutôt à travers ses flows aériens et ses punchlines rythmées qu’il se dévoile…
« Tout est gris, rien est coloré. C’est souvent du toc si les rêves qu’on t’propose sont trop dorés. Porter le poids du vide, ça te donne un mal de dos, ça m’fait mal au cochi. » Luther – Journal de quêtes, Exit
« Tout est gris, rien est coloré. C’est souvent du toc si les rêves qu’on t’propose sont trop dorés. Porter le poids du vide, ça te donne un mal de dos, ça m’fait mal au cochi. »
Lutheru003ciu003eJournal de quêtesu003c/iu003e, u003ciu003eExitu003c/iu003e
Issu d’une génération en colère
Dans le manga de Naoki Urasawa, Ami est un leader charismatique qui parvient à se glisser sur l’échiquier mondial, notamment grâce à sa secte, le Parti de l’Amitié. Non seulement Luther a réussi à convaincre toute une génération, mais il se fait aussi son porte-parole. Et ses textes reflètent la colère et l’inquiétude de ses pairs.
Il traite d’hyperconnexion pouvant entraîner une forme de léthargie en chantant par exemple « Ma génération va s’autodétruire, j’passe l’aprem devant l’ordinateur au lieu d’écrire », dans Chrysanth3mes, ou encore « J’aimerais tej les réseaux pour un Nokia » dans Maille. Ses flows reflètent aussi ses pensées sur la crise environnementale – « J’ai l’ensemble Nike-gui, qui pollue l’océan Pacifique » – ou sur le modèle économique actuel : « J’veux plus traîner avec des gros prouveurs (…) J’rêve de tuer l’capital et d’une moto ski. »
Plus largement, il se questionne sur les origines, les rapports de pouvoirs et les conséquences : « J’veux l’pouvoir, je jure qu’les intentions sont mauvaises » dans Black & Mortimer, ou dans Mossy Cobblestone : « Les plus polis, c’est les plus mesquins, est-ce que derrière ton sourire y a quelqu’un ? »
Quand réflexion rime avec introspection
« Faire le bien, ça fait s’sentir mal » (Journal de quêtes, Exit). Luther n’écrit pas uniquement sur la société, il est son premier sujet d’étude. Complexe, il assume ses angoisses et ses réflexions personnelles : comment être heureux ? Comment composer avec les autres ? Comment savoir que l’on fait les bons choix ? Une chose est certaine : ses titres sont autant de moyens d’introspection, et cela se confirme dans son dernier album, Exit. « Ils veulent faire dans l’émotionnel, mais ils font dans la robotique », écrit-il dans sa chanson intitulée PABO.
Journal des quêtes de Luther.
Une punchline qui démontre que l’auteur est conscient de sa connexion à ses propres émotions et qu’il n’a aucun mal à les partager. En témoignent ces mots particulièrement personnels, dans Journal de quêtes : « L’apparat, ces cinq ans y avait qu’elle, rendez-moi mon temps, j’ai trop la rage pour essuyer ma peine. »
« La vie a fait feuille comme un con j’ai fait pierre. »Luther – Alakazam, Garçon
u0022La vie a fait feuille comme un con j’ai fait pierre.u0022
Lutheru003ciu003eAlakazamu003c/iu003e, u003ciu003eGarçonu003c/iu003e
Composition et nuance
« Deux personnalités en une seule tête, je suis comme Hyde et Docteur Jekyll », annonce Luther dans Yuto et Yugi, IDD. Pourquoi donc choisir quand on peut composer avec ses multiples personnalités ? Pourquoi prendre position dans un débat qui nous dépasse ? Pour un grand nombre de ses fans, Luther est un rappeur de la nuance. Il est vrai qu’il se distingue en préférant dépeindre un monde complexe plutôt que binaire. « J’suis amoureux de c’que j’déteste, j’suis comme Papyrus », lance-t-il dans sa chanson Toriel (Veni, Vidi, Vide).
Toriel (Veni, Vidi, Vide) de Luther.
Ici, la revendication est claire selon l’analyse du Règlement, une chaîne YouTube spécialisée dans le rap. Selon lui, « Papyrus » ferait référence au personnage du squelette du jeu indépendant Undertale, un protagoniste déterminé à combattre les humains alors qu’il les apprécie secrètement.
On retrouve d’ailleurs cette idée de la nuance dans le symbole de l’éclipse – mélange d’ombre et de lumière – qui figure dans son clip Garçon ou encore dans la façon de composer ses sons. Ici, des notes de piano mélancoliques et là, des envolées plus électroniques. Et quand ses rimes passent entre les mains de beatmakers talentueux tels qu’Amne et LUCASV (compositeur de l’album L’Amour de Disiz), le résultat est techniquement réussi.