L’instant Lire à la Fnac : le rendez-vous de toutes les littératures à ne pas manquer. Baptiste Liger, directeur de la rédaction du magazine Lire, partage ses conseils de lecture. En ce mois d’avril, Manu Larcenet et la BD post-apocalyptique sont à l’honneur.
Nos lendemains risquent d’être sombres, très sombres… Et c’est la bande dessinée qui vous le dit. Au moment où sort le nouveau Manu Larcenet, retour sur un genre bien particulier la BD post-apocalyptique.
La BD post-apocalyptique
C’est sans doute le registre le plus flippant qui existe puisqu’il répond à cette question quasiment existentielle comment vivrait-on, après une catastrophe ? Qu’il s’agisse d’une catastrophe naturelle, d’une pandémie, d’une bombe atomique et j’en passe… Alors, le cinéma a largement œuvré dans ce domaine, comme les séries télé ou le jeu vidéo. Mais qu’en est il de la bande dessinée ?
Force est de constater qu’elle a quand même pas mal donné. Commençons avec le comics anglo saxon qui nous permet de saisir toute l’étendue de ce genre. Voyez The Walking Dead et ses zombies parfois franchement féroces, Tank Girl, sorte de Mad Max au féminin, Sweet Tooth et ses créatures mi-hommes mi-animaux. Ou bien encore Judge Dredd et son shérif aux méthodes, ma foi, fort expéditives. Toutes ces séries ont en commun d’avoir été portées à l’écran, pour le meilleur et parfois pour le moins bon. Souvenez vous de Stallone dans Judge Dredd qui faisait : “La loi, c’est moi.”
Le manga n’est pas en reste, le Japon ayant quand même connu bien des drames dans son histoire récente et ceux-ci ont forcément eu un impact sur les créations de séries très populaires dans les années 80-90 comme Akira et son univers cyberpunk, Ken le Survivant et sa violence décomplexée, Gunnm et son héroïne cybernétique ou, aujourd’hui, L’Attaque des Titans qui est largement plébiscité par les adolescents.
Et contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, la BD franco-belge s’y est pris en fin de compte assez tôt, à l’image d’Hermann qui, dès la fin des années 70, a signé une version post-apocalyptique du western avec l’épatant Jeremiah. Un peu plus tard, c’était au tour de Didier Convard de donner dans le post-apo. Tout d’abord avec la saga Neige et son monde dévasté, puis avec ses célèbres Chats ! et son univers débarrassé des humains, laissant la place à des félins pas toujours très sympathiques.
On parlait de neige, n’oublions pas le Transperceneige, le train glacial aux airs de métaphore de lutte des classes imaginé par Lob et Rochette, et qui a d’ailleurs été porté à l’écran par Bong Joon-Ho, le futur cinéaste de Parasite. Et comment ne pas citer Matthieu Bablet, pas bien vieux, mais déjà un des maîtres, plus généralement de la science-fiction, avec des albums majeurs comme La Belle mort, Shangri-La ou peut être son chef d’œuvre Carbone et Silicium, avec ses androïdes peut être plus humains qu’il n’y paraît à plus d’un titre.
L’événement : La Route de Manu Larcenet
Mais c’est aujourd’hui un monument du genre que l’on peut découvrir avec l’adaptation du cultissime La Route de Cormac McCarthy par Manu Larcenet. La trame n’a pas changé dans un monde meurtri, recouvert de cendres. Un père et son fils marchent en direction du sud, point de départ d’une sorte de grand poème du désastre.
Alors, bon, quand un maestro de la BD, s’empare de l’univers d’un grand écrivain le résultat n’est toutefois pas toujours au rendez-vous. Mais c’était sans compter sur Manu Larcenet, à qui on devait déjà une excellente adaptation du Rapport de Brodeck de Philippe Claudel. Et c’est une magnifique esthétique dépouillée, en noir et blanc, avec du gris et quelques taches ou nuances de couleurs que Larcenet déploie ici avec une incroyable virtuosité.
Et on retrouve dans cette odyssée crépusculaire le même esprit contemplatif qu’on trouvait dans Blast, par exemple, l’une de ses œuvres les plus célèbres. Et l’une des grandes forces de cette indéniable réussite artistique est de pouvoir toucher un public plus tôt de littérature générale qui ne s’oriente pas forcément vers le rayon BD, mais bon, l’inverse marche aussi !
Mes amis, mes amis, mes amis, croyez moi, prenez La Route, vous ne le regretterez pas.