Avec Philippe Pallin puis Ulysse Lledo, Denis Zorgniotti écrit l’histoire du cinéma français à travers une copieuse série de livres évoquant à chaque tome une décennie de films et de personnalités. À l’heure où le septième art hexagonal brille de mille feux, notamment à travers Anatomie d’une chute, il nous livre quelques conseils ciné bien de chez nous.
Un film français qui résume le mieux son histoire ?
Question presque impossible car le cinéma français n’a pas d’équivalent à Nous nous sommes tant aimés, un film sur trente ans d’histoire italienne, qui rend un hommage vibrant aux grands maîtres du cinéma transalpin. Oserai-je avancer Les Quatre Cents Coups, car le film de Truffaut se situe à la croisée de l’histoire, entre un classicisme typiquement français et la modernité née de la Nouvelle vague.
Le film pour faire découvrir la Nouvelle Vague et son esprit ?
Difficile de faire l’impasse sur À bout de souffle, le vrai film manifeste du mouvement, à la liberté de ton inégalée. Mais l’on peut citer un autre film de Godard, Bande à part. Pour sa scène culte de la visite expresse du Louvre, évidemment. Et puis, personne n’a jamais dansé le madison avec autant de charme qu’Anna Karina, Sami Frey et Claude Brasseur. Quentin Tarantino a, d’ailleurs, appelé sa société de production A Band apart, ce qui témoigne d’un goût certain.
Quelle place accordez-vous au cinéma populaire dans votre volume consacré aux années 1960 et quels films sont emblématiques de ce courant ?
Une place importante en fait. Notre Histoire du cinéma a une « vertu » réconciliatrice, celle de parler dans un même ouvrage de cinéma d’auteur, plus ou moins élitiste, sans faire l’impasse sur un cinéma populaire qui sait être de qualité ; et de ce côté-là, nous avons une chance folle d’avoir eu des films « commerciaux » aussi brillants que L’Homme de Rio, Week-end à Zuydcotte ou Le Sauvage.
Dans le tome suivant, sur la décennie 1970-1979, vous explorez la tension entre films politiques et films intimistes. Est-ce qu’il y a des films de cette époque qui vous paraissent rassembler ces deux grandes tendances en une même œuvre ?
Tout de suite, on peut penser à Monsieur Klein, qui met en scène la rafle du Vel d’Hiv et plus généralement la France de Vichy, tout en entamant une réflexion métaphysique sur l’identité. Et puis, il y a Un sac de billes qui met en scène l’histoire vraie de deux enfants juifs pris dans la tourmente de l’Occupation.
Les tendances qui se dégagent du cinéma français dans les décennies suivantes ?
Pour les années 80, nous parlerons d’Un dimanche à la campagne dans la grande tradition du cinéma français des films en costumes, Bertrand Tavernier est d’ailleurs un bon exemple de cinéma exigeant qui ne laisse pas le grand public à la porte. Pour les années 90, citons Les Patriotes, un grand film d’espionnage ultra réaliste, modèle de rigueur et de précision. Pour ce qui est des tendances, les années 80 voit le cinéma français s’ouvrir aux minorités, en évoquant frontalement l’homosexualité, en rendant visible les populations immigrées avec des acteurs africains qui accèdent à des premiers rôles comme Isaach de Bankolé et des cinéastes venus de nouveaux horizons, ultramarin (avec Euzhan Palcy), gitan (Tony Gatlif) ou maghrébin (Mehdi Charef ou Rachid Bouchareb). Les années 90 voient l’arrivée d’une certaine forme de cinéma régionaliste avec Bruno Dumont dans le nord et Robert Guédiguian recréant, après Marcel Pagnol, une nouvelle mythologie marseillaise.
Les films des années 2020 qui mériteront d’apparaître dans une histoire du cinéma français de cette décennie ?
Soyons heureux, le cinéma français continue de produire encore et toujours des œuvres majeures. Nous n’aurons ainsi que l’embarras du choix. Citons en cinq : Portrait de la jeune fille en feu (en trichant un peu : le film est de 2019), Illusions perdues, La Nuit du 12, La Bête et – ce n’est pas très original – Anatomie d’une chute.
Histoire du cinéma français : une anthologie exhaustive
Entamant son grand récit en 1930, Une histoire du cinéma français raconte soixante-dix ans de septième art hexagonal, à raison d’un tome par décennie. Pour chaque année étudiée, outre un film représentatif, les auteurs mettent l’accent sur trois ou quatre autres films, reviennent sur le contexte historico-politique de l’époque et présentent des personnalités (réalisateurs, acteurs) de manière complète. En attendant les tomes 80-89 et 90-99 (à paraître), les volumes consacrés aux années 1960 et années 1970 offrent une belle occasion de se replonger dans ces deux âges d’or d’un cinéma d’une profonde richesse.
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