Si vous ne vous rappelez pas qui chantait « Tékitoi », truculente friandise parue en 2004, il est temps pour vous de passer au menu complet en vous procurant le superbe coffret « Cétoului ». Rachid Taha nous a quitté il y a tout juste une poignée d’années et ces cinq bougies sont aujourd’hui prétexte à la ressortie complète de ses albums. Une intégrale complète, gourmande et bien garnie alors que les albums de notre « Joe Strummer national » étaient plus ou moins épuisés selon les titres. Miam, miam
Si on entend aujourd’hui résonner sa version de Ya Rayah, (titre totem du répertoire Chaabi écrit par Dahmane El Harrachi) à chaque bal du 14 juillet ou sur des radios dites généralistes, c’est que Rachid Taha a fait du beau boulot depuis son apparition sur la scène musicale française au début des années 80, rien à redire là-dessus.
Prématurément disparu à la veille de ses 60 ans en 2018, c’est toute l’œuvre musicale de Rachid Taha qui se voit réédité dans Cétoului, une chouette intégrale à paraitre début septembre. Depuis les titres enregistrés avec son groupe Carte de Séjour jusqu’au bien nommé Happy End qui clôturait son dernier album paru (Je Suis Africain), le legs et le parcours de cet artiste hors-norme se reflète dans la popularité du chanteur qui aura au fil d’une riche carrière, dépassée les frontières de ses deux pays de cœur, l’Algérie et la France.
Cékicemek ?
Né à la fin des années 50, à proximité d’Oran (haut lieu de la musique du Maghreb depuis les années 30) dans cette Algérie encore française, Rachid Taha et sa famille débarquent en France comme tant d’autres de ses contemporains et compatriotes.
Il a 10 ans quand il se retrouve en Alsace où le paternel a trouvé un travail et un toit. Puis, jeune adulte il s’installe du côté de Lyon où ses premiers élans musicaux le conduise à monter un groupe avec les frères Amini. Carte de Séjour voit le jour sur un modèle inspiré du rock anglo-saxon de l’époque (voir même très anglais) mais où se greffe le chant en arabe et les références socio-culturelles des membres du groupe.
A la différence de leurs aînés qui chantaient l’exil et la nostalgie du pays, Carte de Séjour adopte un postulat différent, porté par les luttes et les revendications de l’époque. En France, ils sont ici chez eux puisque nés français, tout en assumant pleinement une partie non négligeable de leur patrimoine culturel venu de l’autre côté de la Méditerranée. Double culture, double casquette et n’en déplaisent aux esprits étroits, le groupe s’accorde le droit de reprendre et de recontextualiser le Douce France de Charles Trenet dans cette France qui ne regarde pas sa jeunesse dans les yeux.
C’est le temps des radios libres, le single est un succès et le 45trs est même distribué gratuitement aux députés afin de souligner les impasses de l’exécutif en termes de politiques liés à la diversité. Comme l’a souligné l’historienne Naïma Huber-Yahi, Rachid Taha est un pionnier. Le premier à bouleverser ainsi l’ordre établi en assumant de façon équivalente, patrimoine de l’exil et références culturelles hexagonales. On peut décemment conclure que Rachid Taha a ouvert la voie pour de nombreux artistes d’horizons culturels variés. Des artistes qui dans la France de 2023 font consensus en remportant un certain succès public qu’importe l’origine de leurs aieuls.
Rock’n’Roll sauce méchouia
Après deux albums, le groupe se sépare et Rachid Taha entame une carrière solo qu’il poursuivra jusqu’à son dernier souffle. Mais pour Taha, solo ne veut pas dire tout seul. Déjà proche de Steve Hillage (du groupe de rock psychédélique GONG) avec qui il collaborera étroitement toutes ces années, chaque album ou presque comporte son lot d’invités issus de différentes sphères musicales dont il se sent proche : Rodolphe Burger, Mick Jones, Khaled, Jah Wooble, Amina Alaoui, Gaetan Roussel, Têtes Raides, Justin Adams, Brian Eno, Jeanne Added, Chaba Fadela, Faudel, Hossam Ramzy…Bon je m’arrête là, ça pourrait durer des heures. Mieux vaut vous laisser avec les probables meilleures reprises que le bonhomme nous à offert… On oserait presque dire qu’elles sont encore meilleures que les originaux.
Ce sont 10 albums studio et deux live qui seront publiés entre 1991 et 2019, avec des titres devenus inévitablement des petits “classiques” qui résonnent encore dans bon nombre de mémoire. Une chanson comme Barbès par exemple mériterait logiquement d’être plus souvent chanté dans les karaokés que le Champs Elysées de Joe Dassin. Et que dire de Ya Rayah, Non.Non.Non, Ida ou ce Voilà, Voilà gorgé de house music qui en 1993 rendait compte explicitement de la montée en flèche de l’extrême droite française. Intemporel on vous dit !
Sous la discutable bannière “world music”, la musique de Rachid Taha restera le reflet d’une certaine idée du multiculturalisme, de l’ouverture et du partage. Raï et musiques arabes au sens large bien sûr, mais l’héritage de ce chanteur humaniste qu’une vilaine maladie à emporté nous est proposé dans cette intégrale est tout autant gorgé de vibrations XXL. Funk, punk, chanson, rock’n’roll, dub, new wave ou électro, musiques gitanes ou latines. Le fruit de ce nécessaire melting pot et le reflet d’une probable discothèque personnelle construite avant l’ère d’internet. Vous en voulez encore ?
Allez hop, à table !
Reservez ici le coffret CETOULUI de Rachid Taha ou CEKILUI, la version allégée en CD ou vinyle disponible a partir du 8 septembre
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