Premier roman de Belén Lopez Peiro, Pourquoi tu revenais tous les étés ? est un livre choc sur la question du viol intra familial en Amérique du Sud. Une dénonciation froide du système qui ternie les victimes. Un cri de rage. Une œuvre coup de poing.
Dans Pourquoi tu revenais tous les étés ?, Bélen Lopez Peira raconte le viol. Son viol. Adolescente, elle fut abusée à de multiples reprises par son oncle. Une figure forte du système. Un homme dangereux qui n’hésitait pas à laisser trainer son arme sous ses yeux, menace silencieuse, indirecte, de ce qu’il était capable de faire. Oui, c’était un policier.
« Alors, pourquoi tu revenais tous les étés ? Tu aimes souffrir ? Pourquoi tu ne restais pas chez toi ? »… La réponse est là, latente mais bel et bien présente au sein de chacune des pages : il n’y avait personne d’autre pour s’occuper de Belén. Cette souffrance, la jeune femme la porte en elle, gardant une image vivace de cette mère qui payait en cadeaux sa sœur et son beau-frère pour compenser son absence.
« Et c’est ainsi que tu me livrais, tous les étés, c’est ainsi que j’étais reçue, comme pour payer une dette. J’étais un paquet que tu déposais en décembre, après la fin des cours, et que tu retirais en mars, bien baisée. Une vierge à l’arrivée et un déchet à la sortie. »
Le début de l’enfer…
Il y a cette journée où sa mère étant partie tôt au travail, il entre dans la maison avec son uniforme, souriant, bien conscient de ce qu’il s’apprête à faire. Il rentre nu dans la chambre. Referme le piège. Puis il y a ce coup de sonnette : c’est le père de Bélen qui rentre pour déjeuner. Les choses ne sont pas allées plus loin, mais elles étaient déjà allées trop loin.
« Un moment je me suis rappelée qui j’étais, sans peur, qui j’avais été avant que le danger ne se referme sur moi comme un piège. »
Il y a un avant, un pendant et un après. Une pente dure à remonter, et où l’impact psychologique, physique s’accroche à l’être jusqu’à fusionner avec lui. Qui était Belén ? Qui est-elle ? Qui sera-t-elle ?
L’annihilation de la souffrance
Après le dépôt de plainte, il faut faire face aux réactions des gens, des proches.
« Connasse, qu’est-ce que t’as dit ? Dis-moi que c’est un mensonge, allez. Dis-moi que tout ce qu’a dit ta mère est un mensonge. Comment tu peux nous faire ça ? Tu l’as tué. Parle, connasse ! » Celle de Florencia, sa cousine, la fille de cet oncle, est virulente. Et jamais elle ne changera de discours.
Il faut aussi faire face aux propos des autres, de l’avocat.
« Ta mère m’a dit que c’était à tes treize ans, mais il faudrait qu’on dise onze. C’est la loi, tu vois, il faut exagérer un petit peu, au final les conséquences sont les mêmes, n’est-ce pas ? » Des phrases maladroites, à côté de la plaque. Des mots qui détruisent :
« Un presque viol. Il s’est arrêté juste avant, c’était moins une. Quelle merde. Ça nous aurait arrangés, parce que là, on est embêtés. […] Pour quelques doigts ou des attouchements, je doute qu’ils lui donnent plus qu’une mise à l’épreuve. »
De surcroît, c’est à cet homme-là qu’il faut tout raconter. Cet homme qui ne prend même pas la plainte au sérieux et qui devra assurer la défense. Cet homme qui est en charge du dossier, qui n’a pas la moindre idée de ce que c’est que d’être une femme. Une femme violée, dépucelée par les doigts sales de son oncle. Une femme longtemps réduite au silence. Préférant se détruire plutôt que de détruire son entourage.
« Tout doit être détaillé. Oui, je sais qu’il y a des images floues. […] Mais les juges ont besoin de faits, pas de rêves. Ils ne vont pas se laisser convaincre par n’importe quel fantasme à la con. »
Comme si que c’était un « rêve » de sentir le sexe dur de son oncle collé à ses fesses. Comme si que l’on pouvait parler de « fantasme ». Quelle était belle, la justice ! Dans ce microcosme, même les médecins ne sont pas fichus d’aligner une phrase correcte. Lui se rappelait bien la déchirure vaginale de Belén, mais il ne s’est jamais posé plus de questions : tu es tombée de vélo ? Très bien. Quand il la revoit après le dépôt de plainte, il ose parler de « leçon », de « responsabilité ». Ou comment annihiler la douleur des victimes :
« Je crois que tout peut servir de leçon dans la vie. Peut-être que toi, maintenant, tu feras plus attention si tu as une fille. Et peut-être que moi, maintenant, je serai plus à l’écoute de mes patients. »
Mais parlons-en d’ailleurs de ça, d’avoir des enfants, d’avoir des relations sexuelles normales, d’avoir des relations sexuelles tout court après avoir vécu un viol. Comment tout un processus de reconstruction identitaire, de réappropriation de son corps doit être mis en place pour tenter de guérir.
Dans ce livre, chacun leur tour, les gens s’adressent à Belén : certains l’accuse, l’humilie, l’insulte, d’autre la console, interrompus par la langue froide des actes judiciaires (dépôts de plainte, entretiens avec les avocats, témoignages). Ce roman est un rappel nécessaire. Une alerte. Un témoignage. Non, il n’a pas été évident de casser le lien qui reliait Belén à son oncle. Si seulement les choses étaient si simples Si linéaire.
« Je ne pouvais pas dire non. D’autant moins que je ne voyais pas la vague. Puisque le danger ou, pour le dire plus clairement, la maltraitance, c’était la seule réalité que je connaissais. »
Il n’est pas évident pour une victime de dire « stop » quand bien même l’absence de mot ne signifie pas pour autant être consentante.
À lire.
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Parution le 1er septembre 2022 – 188 pages