Après Glasgow, nous restons dans le nord du Royaume-Uni pour ce nouveau volet de vinyle en ville. Direction Manchester, ville d’importance majeure dans l’histoire de la musique contemporaine et sans doute la seule qui a su rivaliser avec le mastodonte londonien. De Joy Division à Oasis en passant par les Smiths et les Stone Roses, tous sont issus de cette cité. Suivez le guide !
Les sixties et seventies : une importance relative
Avant de devenir l’une des places fortes de la musique britannique, peu de monde a les yeux rivés sur Manchester dans les années 60 et le début des années 70. On regarde plutôt à une cinquantaine de kilomètres de là, à Liverpool, où le merseybeat fait grand bruit, avec comme figure majeure un certain quatuor nommé les Beatles. Inutile de préciser que Londres, comme toujours, fait aussi rayonner de nombreux groupes, dont les Rolling Stones.
Mais n’allons pas dire non plus qu’il ne se passe absolument rien à Manchester. Herman’s Hermits, emmenés par Peter Noone, font un tabac en 1966 avec No Milk Today, tandis que les Hollies de Tony Hicks se font remarquer avec notamment Bus Stop. Point commun entre ces deux morceaux : ils sont écrits par l’un des compositeurs les plus influents de l’époque, Graham Gouldman, un autre Mancunien. Prenons For Your Love des Yardbirds, repris ensuite sous toutes ses formes par bon nombre d’artistes, c’est encore Gouldman derrière. Conscient de son talent, il va ensuite plus loin dans les années 70 en fondant le groupe 10cc, surtout connu pour son mythique slow I’m Not In Love.
Le grand boum du punk, entrée fracassante dans les eighties
Au milieu des années 70, Manchester est une ville où règne surtout l’ennui, comme toute cité en désindustrialisation qui se respecte. La jeunesse n’a que faire des groupes surproduits et attend son heure. Elle viendra en la personne des Sex Pistols. Invités par les Buzzcocks, les Londoniens donnent ce que certains baptisent le « concert qui a changé la face du monde » au Lesser Free Trade Hall. Le punk débarque à Manchester et sa simplicité déconcertante donne envie, selon la légende, à tous les gens présents dans la salle de se lancer à leur tour dans la musique. De Joy Division (et plus tard New Order) les Smiths, The Fall, A Certain Ratio… Tous ces groupes font de la ville un épicentre de créativité face à la capitale. L’effet domino de cet évènement est gigantesque : ces artistes donneront à leur tour l’envie à d’autres futurs monuments de faire de la musique, bien au-delà des frontières de la ville et du pays.
De ce concert naît également un label, Factory Records, mené par l’excentrique Tony Wilson, avec une philosophie qui privilégie la création au profit. Ce n’est pas pour rien que Factory perdure à publier pendant des années le disque Blue Monday de New Order, qui se vend comme des petits pains mais coûte plus cher à la fabrication qu’au prix de vente. Au-delà du label, Factory lance sa propre salle de concerts, la Haçienda, qui, quand la house arrive en Angleterre, devient un club mythique. Manchester devient ainsi la place forte de la musique électronique en Angleterre et même en Europe. Un style à part entière découle de cette effervescence : le Madchester. Mot valise entre « mad » (fou) et Manchester, il désigne cette constellation d’artistes qui mélange rock, psyché, funk et house, avec Happy Mondays, les Stone Roses et les Charlatans en tête de file. Malheureusement pour Factory et la Haçienda, à l’aube des années 90, la maison est criblée de dettes et doit mettre la clé sous la porte. La fête est finie.
Les années 1990 : Oasis prend la lumière
A l’entame des nineties, l’Angleterre (et par extension Manchester) est globalement snobée par les ondes : le grunge américain emporte tout sur son passage pendant une demi-décennie. Mais le Royaume-Uni n’a pas dit son dernier mot : l’ère Britpop commence et un groupe mancunien va très vite devenir la grande star du pays. Oasis, emmené par les frères Noel et Liam Gallagher, débarque tel un boulet de canon dans le paysage musical anglais avec un Definitely Maybe sensationnel. Et si ce n’était pas suffisant, (What’s The Story) Morning Glory transforme brillamment l’essai un an plus tard. Alors que les Londoniens de Blur avaient lancé l’assaut, les médias britanniques s’emparent du phénomène et opposent les deux groupes. Plus que jamais l’Angleterre est polarisée : Blur contre Oasis, Londres contre Manchester.
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Dans cette ville du nord, il est alors très compliqué d’exister face au mastodonte emmené par les Gallagher. On peut néanmoins citer leurs amis The Verve, qui, alors que la Britpop s’essouffle vers la fin des années 90, sortent un Urban Hymns d’exception, porté par le tube planétaire Bittersweet Symphony. Dans un registre beaucoup plus pop, Take That (avec un certain Robbie Williams dans leurs rangs), en plein rush boys band, contribuent également à la popularité de la ville.
Côté électro, si la France a Daft Punk, le Royaume-Uni a les Chemical Brothers. Ce duo formé à Manchester est l’une des grosses cylindrées de la techno britannique, en y incorporant tous les styles pour un résultat sensationnel. Ils n’hésitent pas, par ailleurs, à inviter d’autres artistes mancuniens pour figurer sur leurs morceaux. On pense à Life Is Sweet, sur lequel Tim Burgess des Charlatans chante, à Setting Sun où l’on retrouve la voix de Noel Gallagher d’Oasis, à Out of Control en collaboration avec Bernard Sumner de Joy Division/New Order, ou encore le featuring de Richard Ashcroft de The Verve sur The Test. Après 30 ans de carrière, les Chemical Brothers semblent impossible à enterrer : ils continuent de sortir tube sur tube, de remplir des grandes salles et de figurer en haut de l’affiche des festivals majeurs. Qui pourra donc les arrêter ?
Le XXIe siècle : une petite constellation indie
A l’aube du troisième millénaire, Manchester, qui a su rivaliser face à l’ogre londonien pendant une vingtaine d’années, n’est plus vraiment la deuxième capitale du pays. Difficile de citer un artiste qui a eu autant d’impact que ceux mentionnés précédemment. Mais quelques groupes sont là pour nous prouver que la ville du nord est toujours vivante musicalement parlant. On pense aux Ting Tings, gros nom de l’indie dance, à The 1975 et leur pop séduisante, tout comme Starsailor. Quant à We Have Band, en dépit d’un succès moindre, leur electropop entraînante mérite le détour. Même son de cloche pour les tout frais W. H. Lung et leur synth-pop énergique gorgée de promesses. Manchester ne brille certes plus comme par le passé, mais peut toujours compter sur un terreau fertile en talents.