Dans la reconversion du mois, étudions le cas Brad Pitt. Tout en poursuivant une fructueuse carrière d’acteur à Hollywood, il se concentre désormais sur ses activités de producteur, y compris dans la musique et le vin. Boulimique, il multiplie les projets très divers, avec un focus sur les œuvres de minorités. Retour sur une star qui a souhaité redonner ce qu’il avait reçu en montant des métrages souvent originaux.
Du jeune premier d’Hollywood aux grands rôles
William Bradley Pitt naît en 1963. Tournant le dos à ses études de journalisme et de publicité, il quitte son Missouri natal pour Los Angeles en 1987. Vivant la galère typique des aspirants acteurs, il parvient à jouer autant de son physique de jeune premier que de ses authentiques qualités de jeu. Cela lui permet de décrocher ses premiers rôles de guest stars dans des séries. Par exemple, le petit ami récurrent d’une des héroïnes de Dallas, un beau connard dans Quoi de neuf Docteur ? – où son futur ami Leonardo di Caprio obtiendra un rôle régulier. Remarqué, Brad Pitt décroche le rôle principal de la série Glory Days, drama sur 4 jeunes hommes issus d’univers différents. Annulée après six épisodes (et remplacée par la bien plus populaire Beverly Hills 90210), l’expérience lui laisse un goût amer et il ne retournera plus à la série avant 2016, et encore seulement en tant que producteur. De toute façon, sa carrière cinéma est sur le point de décoller.
Après quelques seconds rôles de films obscurs, c’est un autre second rôle qui va mettre Brad Pitt sous le feu des projecteurs : celui du torride voleur de Thelma et Louise réalisé par Ridley Scott en 1991. Choisi par Geena Davis elle-même, Brad Pitt imprime la rétine en objet des désirs de Thelma. Sa scène de sexe avec Davis (qui aurait apparemment poursuivi le jeune homme de ses assiduités) marque le début de son imagerie de sex-symbol. Il décroche l’année suivante ses deux premiers rôles dans un film : Johnny Suede, où il joue une aspirante rock star, mais le film est un échec. Avec Et au milieu coule une rivière de Robert Redford, il est enfin distingué par un rôle de fils rebelle, bien que Brad Pitt ait déclaré qu’il s’agit d’une de ses pires performances.
Et en 1994, 7 ans après sa montée à Los Angeles, sa carrière explose.
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Brad Pitt : l’acteur chéri d’Hollywood
C’est en effet cette année qu’il incarne Louis Pointe du Lac aux côtés de Tom Cruise dans la très attendue adaptation d’Anne Rice par Neil Jordan : Entretien avec un vampire. Sex-symbol désormais mainstream et trouvant une balance entre belle gueule et rôles ambigus, Brad Pitt a trouvé sa recette. Si Légendes d’automne d’Edward Zwick est un four, sa performance à fleur de peau dans cette fresque western recueille les suffrages et lui vaut une première nomination aux Golden Globes.
Et là, c’est l’emballement. Brad Pitt enchaîne les succès et les rôles magistraux comme le détective perdant pied face à la violence du tueur de Seven de David Fincher, le plus dément des aliénés face à Bruce Willis dans L’Armée des Douze Singes de Terry Gilliam, l’une des victimes vengeresses d’un violeur dans Sleepers de Barry Levinson, la Mort elle-même en pleine crise existentielle dans Rencontre avec Joe Black de Martin Brest, et sans doute son rôle le plus légendaire : Tyler Durden du Fight Club de David Fincher. En anarchiste violent dont les buts anti-système se révèlent aussi dangereux que la société qu’il prétend réformer, Durden devient la voix ambiguë de toute une génération, notamment auprès des jeunes hommes. Incarnation de la « coolitude » même ambivalente, ses rôles suivants le voient jouer de cette nouvelle aura, comme le mutin braqueur de riches de la trilogie Ocean’s Eleven réalisée par Steven Soderbergh. Avec le gitan foufou de Snatch de Guy Ritchie où il communique moins avec son charabia qu’avec ses poings de fer, Brad Pitt dénote aussi son goût vers l’action, qui le conduira vers Spy Game – Jeux d’espions de Tony Scott, ou Mr. & Mrs. Smith de Doug Liman, film moins réputé pour lui-même que parce qu’il marque la rencontre de Brad Pitt et Angelina Jolie. Si Troie de Wolfgang Petersen est fraîchement reçu, Brad Pitt parvient à insuffler une profondeur au rôle d’Achille tout en assurant les scènes d’action.
Cette enfilade enchantée de grands rôles vaut à Brad Pitt une réputation encore décuplée par ce qui deviendra une constante : ses relations amoureuses systématiquement sur-médiatisées. Ainsi, sa romance avec Gwyneth Paltrow rencontrée sur le plateau de Se7en ne fait qu’ajouter à sa popularité. Sa célébrité est démultipliée quand il devient le compagnon puis l’époux de Jennifer Aniston, alors chouchoute internationale pour son rôle de Rachel dans Friends. Brad Pitt ira jusqu’à être la guest star à ses côtés lors d’un mémorable épisode de la sitcom culte ! C’est toutefois son couple avec Angelina Jolie qui déchaînera la passion des médias pendant plus de 10 ans, faisant de ce ménage l’un des plus grands « supercouples » d’Hollywood.
Brad Pitt : un producteur prolifique et engagé
En 2005, Brad Pitt exprime un intérêt pour la production et co-fonde avec Brad Grey et Jennifer Aniston Point B Entertainment. Ses deux associés vendront ensuite leurs parts (Aniston s’en ira créer Echo Entertainment avec Kathryn Hahn), faisant de Brad Pitt l’unique propriétaire de la boîte. Le premier film produit par Brad Pitt sera le documentaire Dieu nous a abandonnés. Centré sur 3 jeunes soudanais qui ont fui la guerre et tentent de trouver un meilleur avenir aux USA, le film est primé à Sundance et révèle une tendance chez Pitt à financer des films afro-américains. Il devient alors un allié de poids pour les minorités à Hollywood.
Un virage qui se fait de pair avec un changement dans ses rôles. Malgré un emploi du temps doublé, Brad Pitt continue de tourner à un rythme soutenu de 2-3 films par an (qu’il tient toujours aujourd’hui), mais ses choix se montrent plus divers. Il continue certes les « tentpoles » populaires comme World War Z, Le Stratège, The Big Short, Benjamin Button (l’un de ses plus grands rôles en homme naissant vieillard et mourant enfant), Inglorious Basterds et Once Upon a Time in Hollywood, sans oublier le plus récent Secret de la cité perdue. Mais Brad Pitt tourne aussi dans des films indépendants comme ceux de Terrence Malick, l’indé le plus connu d’Amérique (The Tree of Life et Voyage of Time). Il tourne aussi chez Alejandro Gonzales Inarritu dans le choral Babel, chez Joel et Ethan Coen dans Burn After Reading (un de ses rares rôles d’idiot massif) ou encore la SF highbrow et minimaliste de James Gray avec Ad Astra (qu’il produit). Dans ce dernier film, il impressionne en astronaute cherchant son père perdu dans l’espace.
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Cependant, son travail de producteur a fini par prendre le dessus. Dans la lignée de Dieu nous a abandonnés, Brad Pitt défend le travail des cinéastes afro-américains encore peu visibles à l’écran : il produit ainsi 12 Years a Slave de Steve McQueen, film-somme sur l’esclavage noir, Selma d’Ava DuVernay, centré sur le militant des droits civiques Martin Luther King. Il collabore régulièrement avec Barry Jenkins, d’abord sur l’oscarisé Moonlight, puis la déchirante injustice raciale de Si Beale Street pouvait parler, et enfin la série sur ce moment historique que fut The Underground Railroad, labyrinthe souterrain construit au XIXe siècle pour permettre à des esclaves noirs de s’échapper. Brad Pitt n’en reste pas aux afro-américains et soutient également les histoires centrées sur les Américains d’origine asiatique dans Minari de Lee Isaac Chung (avec Steven Yeun). Il produit aussi des oeuvres LGBT+ comme The Normal Heart réalisé par Ryan Murphy et inspiré de l’activiste gay Larry Kramer, porte-flambeau des droits LGBT+ durant l’épidémie du SIDA, dans les années 80.
Un producteur boulimique
Mais Brad Pitt n’est pas qu’un discret allié des minorités, il a aussi à cœur de défendre les œuvres hors normes, aux sujets et narrations audacieuses, comme le film de guerre Fury de David Ayer (où il joue aussi), vision impitoyable des horreurs de la guerre. Il produit The OA, l’une des plus acclamées séries Netflix. Il finance l’étrange histoire d’Okja de Joon-Ho, sur le lien entre une petite fille et un cochon géant, qui provoquera bien des remous à Cannes. On le retrouve au générique de The Third Day, tour de force brisant les conventions narratives au fil des épisodes.
A l’heure actuelle, Brad Pitt continue de produire des œuvres indépendantes aussi bien que des œuvres appelées à être des succès comme la prochaine adaptation du Problème à trois corps de Liu Cixin en format série, co-pilotée par David Benioff et D.B. Weiss, les créateurs de Game of Thrones.
Brad Pitt et la France
Brad Pitt a également étendu son portefeuille en produisant la réouverture des studios Miraval dans le sud de la France avec le musicien/ingénieur du son Damien Quintard. Un projet destiné à remettre Miraval, son système Dolby Atmos et sa room de 320 m2, comme un incontournable de la production artistique. Avec son influence et son financement, il désire ainsi donner un espace généreux aux créatifs en tous genres. Il s’est ouvert également à la viticulture en produisant un rosé à Château Miraval, où il réside. Une marque de qualité puisque son rosé préparé sur sa vigne de 30 hectares a été élu le meilleur au monde par le magazine Wine Spectator en 2021.
Se mettant rarement en avant dans cette nouvelle orientation, Brad Pitt se contente d’effectuer son travail. Le sex-symbol a depuis enfilé le costume de producteur prolixe à la recherche de projets et de créatifs peu visibles, comme une manière de redonner une partie de ce qu’il a reçu.
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