« Toute première fois » : un rendez-vous où l’on vous présente une œuvre pionnière qui a marqué le paysage audiovisuel. Séries, films, albums précurseurs et avant-gardistes, on se souvient d’eux pour avoir été les premiers à montrer ou traiter un sujet, et ça fait du bien ! Aujourd’hui on vous parle de Devine qui vient dîner, le premier film à s’être attaqué à la question du couple interracial aux Etats-Unis, en 1967.
Devine qui vient dîner, c’est quoi ?
Rencontrer les parents de son conjoint n’est pas chose facile, d’autant plus quand on est un homme noir voulant se marier avec une fille blanche durant les années 1960 aux Etats-Unis. Devine qui vient dîner est un film réalisé en 1967 par Stanley Kramer sur un scénario de William Rose, avec en têtes d’affiche Katharine Hepburn, Spencer Tracy , Sidney Poitier et Katharine Houghton.
John Prentice et Joey Drayton tombent amoureux et veulent se marier. Seulement, la jeune fille n’a pas prévenu ses parents que l’homme dont elle est tombée amoureuse est un homme noir. Elle a omis cette information car ses parents sont très engagés politiquement, notamment pour la cause des noirs aux Etats-Unis, et elle n’a pas imaginé que cela pourrait leur poser problème. Cependant, ceux-ci, malgré leur engagement politique, ne voient pas cette union d’un très bon œil et se voient obligés de faire face à leurs propres préjudices. C’est un film brillant, avant-gardiste, qui met en question la question raciale afin d’inviter le spectateur, surtout à cette époque, à évaluer ses propres biais.
L’histoire des couples interraciaux dans le cinéma
Devine qui vient dîner n’est pas le premier film à mettre en scène des relations interraciales. On peut mentionner Hiroshima, mon amour racontant l’idylle entre un homme japonais et une femme française en 1959. Il y a eu Une île au soleil en 1957, mais ce film met en scène des personnes noires issues des îles et des américains blancs. Le sujet n’est pas abordé frontalement, se cantonnant à un échappatoire exotique. La représentation d’un couple noir et blanc était un sujet délicat dans le pays de la ségrégation raciale. Ces unions étaient vues d’un très mauvais œil et les enfants issus d’un métissage étaient mal vus, jusqu’au harcèlement. Devine qui vient dîner a cassé beaucoup de barrières car il permet de mettre en avant l’égalité. Les parents essayent de trouver toutes les failles possibles au personnage de Sidney Poitier mais il se révèle être un homme parfait pour leur fille. Il travaille à l’organisation internationale de la santé, il a fait d’excellentes études, il est apprécié de tous, il est généreux, il aimable, poli, bel homme et le plus important de tous : il aime profondément leur fille. Ces qualités sur un homme blanc auraient fait l’unanimité au sein de la famille mais c’est le simple et unique fait qu’il soit noir qui pose problème. Par ce traitement, Devine qui vient dîner montre bien l’absurdité et le non-fondement des préjudices raciaux.
Devine qui vient dîner : une perspective sur l’engagement
Le génie de Devine qui vient dîner est aussi de montrer que même les gens plus intentionnés peuvent avoir des préjudices. Christina et Matt Drayton sont très engagés et ont travaillé toute leur vie pour la cause raciale aux Etats-Unis. Ils sont des libéraux fiers et convaincus. Les producteurs n’ont délibérément pas choisi un couple foncièrement raciste et conservateur qui aurait tout de suite indigné le public. Au contraire, les spectateurs blancs libéraux des années 1960 se sont retrouvés devant Devine qui vient dîner face à un reflet d’eux-mêmes. C’est pourquoi, loin de détester ou de juger les personnages, nous pouvons avoir de l’empathie pour eux et nous comprenons leurs angoisses et leurs peurs. Avec eux, nous traversons les différentes étapes d’acceptation de cette union. Pour les personnes noires, ils peuvent se reconnaitre dans la peur des propres parents de John, enfermés dans un passé dans lequel une telle union était un crime.
Un film précurseur qui ouvre la voie aux autres
Devine qui vient dîner a permis à d’autres films explorant cette dynamique de voir le jour. Les mentions les plus évidentes sont Jungle Fever de Spike Lee dans les années 1990, exploration de la relation adultère d’un homme noir incarné par Wesley Snipes avec une femme blanche (Annabella Sciorra) qui va détruire sa réputation au sein de sa communauté. Dans Le Prince de Bel Air, il y a un épisode qui est une référence directe à ce film. La sœur de Vivian Banks, Janice, présente son futur époux blanc à sa famille, qui réagit avec effarement. On pense aussi à Black / White avec Zoe Saldana et Ashton Kutscher, très drôle mais toujours aussi pertinent en 2005.
Les héritiers de Devine qui vient dîner
Aujourd’hui voir un couple interracial à l’écran est chose banale. Rien qu’en 2022, il y en a eu énormément. On pense à Spiderman No Way Home avec le couple à l’écran et dans la vie de Tom Holland et Zendaya. Il y a également Bridgerton, la fantaisie post-raciale de Chris Van Dusen sur la régence britannique. La série adaptée des romans de Juila Quinn met en scène le duc Simon Basset, métis marié à la blanche Daphné. Rebelote en deuxième saison avec la romance entre Kate Sharma, indienne, et Anthony Bridgerton. Tout cela témoigne d’une normalisation de la chose. Il y a tout de même des films qui continuent à questionner le rapport conflictuel que peuvent engendrer les relations interraciales comme Qu’est ce qu’on a fait au bon Dieu en France, ou encore le chef d’œuvre de Jordan Peele, Get out, réinterprétation horrifique de Devine qui vient dîner.
Devine qui vient dîner est un film courageux, actuel et qui restera un classique tant que ces questions continueront à traverser la société. Ce sera toujours un plaisir de revisiter ce chef d’oeuvre à la lumière du monde contemporain.
