Genre spécifiquement américain, où elle est la musique traditionnelle la plus populaire, la musique country a engendré de nombreuses stars, de Johnny Cash à Taylor Swift. Originaire des Appalaches, et institutionnalisé dans le Sud des Etats-Unis, ce courant couvre un siècle d’Histoire, que l’on se propose de résumer ici.
La country, une musique folklorique et montagnarde
A la fin du XIXe siècle, migrants d’origine irlandaise et écossaise se retrouvent à travailler dans les Appalaches, une chaîne de montagne rude et peu peuplée des Etats-Unis. Ils importent là leur folklore : des mélodies celtiques qu’ils jouent avec des instruments faciles à fabriquer, comme le violon (dit « fiddle ») et le banjo, sans oublier la guitare et le dulcimer. A cette base s’ajoute rapidement les airs entendus dans les églises en bois locales, ces « spirituals » et « gospels » qui influencent, dans les régions voisines, les esclaves noirs qui en tireront le blues.
Dès lors, et comme en parallèle, les musiques afro-américaines et d’origine européenne vont cohabiter et se mêler aux Etats-Unis. À l’époque où Robert Johnson est capté et introduit le répertoire blues à la radio, le découvreur de talents Ralph Peer parvient à enregistrer le son de l’Amérique blanche profonde, « plouc » selon le premier nom qu’on donne au genre : « hillbilly ». Jimmie Rodgers, qui mêle le chant des montagnes (ou yodel), à certaines inflexions blues, ou la Carter Family, ce trio composé d’une femme, de son mari, et de leur belle-sœur adaptant en country des thèmes folkloriques narrant la vie à la campagne, seront les premières stars de ce courant, qui se répand dans les années 1930 dans tous les Etats du Sud, en particulier dans la ville de Nashville (Tennessee).
La démocratisation de la country
Petit à petit, la country music va se diversifier, au gré des rencontres et des déplacements des musiciens. Après la Seconde Guerre mondiale, le souhait de jouer d’antiques chansons des Appalaches dans leur forme la plus traditionnelle possible engendre le bluegrass. S’inspirant des grands orchestres de jazz, les tenants du courant « Western Swing » introduiront la country dans les dancings, des musiciens en tenue de cow-boy remplaçant les smokings des accompagnateurs de Duke Ellington. Les « déplacés », ces paysans du Sud des Etats-Unis venus chercher du travail dans le Nord lors de la Seconde Guerre mondiale, ressusciteront eux la tradition de la chanson de bar, endroit mal famé s’il en est, narrant des histoires de prostituée au grand cœur, de libations à la mauvaise bière et de bagarre subséquente. En émerge l’une des voix les plus passionnantes de la country, Hank Williams, qui, outre Honky Tonkin’, a laissé au genre quelques mélodies incomparables, comme I’m So Lonesome I Could Cry, Hey, Good Lookin’ ou Jamabalaya (On the Bayou). Et que dire de Move It On Over, qui est le creuset de Rock Around the Clock, de Bill Haley, et de Roll Over Beethoven, de Chuck Berry, soit deux des premiers tubes du rock’n’roll, alors nommé « rockabilly » (mélange de rock et de « hillbilly »).
En effet, dans les années 1950, la country produit certains des pionniers du rock. Une personnalité comme Elvis Presley introduit simplement une sensualité dans le genre, inspiré du rhythm and blues noir. Cela donne un titre comme Heartbreak Hotel, enregistré à Nashville avec le guitariste Chet Atkins, alors pape de la country. L’un des acolytes de ce dernier, Owen Bradley, producteur, enregistre, lui, certains tubes de Gene Vincent (Be Bop a Lula, Lotta Lovin’) et de Buddy Holly (Thet’ll Be the Day, Everyday), deux autres grands noms du rockabilly.
Le rock vola rapidement de ses propres ailes, à travers des artistes comme Little Richard ou Jerry Lee Lewis, et les producteurs de Nashville s’attachèrent alors à produire une country orchestrée, débarrassée de ses instruments traditionnels. Ce « Nashville Sound » domine dès lors toute la variété américaine du Sud : Eddy Arnold, Ernest Tubb, Hank Snow, Jim Reeves, Webb Pierce, Dolly Parton, Kitty Wells, Loretta Lynn trouveront dans le Tennessee la clé d’un succès durable, qui phagocytera l’Histoire de la country.
La country et ses voies divergentes
Si dans les années 1970, bien des interprètes se rallient au son de Nashville, comme Kenny Rogers ou Linda Ronstadt, l’histoire du genre s’est aussi écrite à travers des artistes marginaux qui ont tenté d’en subvertir les codes et d’en donner une lecture toute personnelle.
Parmi ceux-ci, le cas Johnny Cash s’avère le plus emblématique. Vrai artiste rockabilly au départ, avec des tubes comme I Walk the Line, il s’est souvent inscrit en dehors des modes. Ses disques pénitentiaires géniaux, dont le At Folsom Prison et At San Quentin, ont établi sa légende. « L’Homme en noir » et sa voix de crooner triste ont aussi hanté le public indépendant. Avec Rick Rubin, dans les années 1990-2000, l’artiste a en effet réalisé six American Recordings, qui le voyait revisiter, façon folk/country, toute la musique yankee, du blues au métal.
Le mouvement dit « outlaws » (les « hors-la-loi »), a aussi décloisonné la country, par l’apport du folk, et du rock. Des musiciens ont cherché, ailleurs qu’à Nashville, une manière de se différencier des crooners qui envahissaient les ondes depuis les années 1960. Waylon Jennings, Willie Nelson et Kris Kristofferson revisitent le son des origines, en opérant différents retours aux sources, avec des sujets de chansons plus réalistes.
Après qu’un Bob Dylan, s’inscrira lui aussi dans le mouvement country le temps de deux disques cultes, John Wesley Harding et Nashville Skyline, tout un courant rock mêlera certaines instrumentations du genre avec l’esprit de la chanson rurale américaine. The Band, Poco, Nitty Gritty Dirt Band restent parmi les formations les plus intéressantes à en émerger. Gram Parsons (au sein des Flying Burrito Brothers puis en solo) demeure le génie de cette fusion, tandis que The Eagles a remporté un succès dépassant le cadre du courant avec son album Hotel California, où se rencontrent country, pop, rock, folk, voire reggae (sur le tube éponyme).
Plus proches de nous, les différents groupes composant ce qu’on appelle l’alt-country et l’americana ont mêlé le son du rock indé avec l’écriture quotidienne et existentielle de la country originelle. En attestent les albums d’Uncle Tupelo (dont les membres formeront Wilco et Son Volt), ceux de Drive-By Truckers, Whiskeytown (fondé par Ryan Adams), Giant Sand ou même Lambchop. Ils figurent parmi les voix country les plus écoutées en Europe, où le bluegrass et l’americana ont davantage la faveur du public que le Nashville Sound.
La country aujourd’hui
De manière similaire à la variété française, la country d’aujourd’hui fait voisiner des stars durables et des nouveaux venus inventifs. Dans la première catégorie, d’anciennes formations comme les The Chicks (anciennement Dixie Chicks) et des divas façon Emmylou Harris, Alison Krauss, Mary Chapin Carpenter ou Shania Twain ont marqué les dernières décennies. Keith Urban ou Vince Gill, chez les garçons, remportent régulièrement de grands succès.
Chez les plus jeunes interprètes, le rapprochement avec la pop et la télé-réalité expliquent la popularité d’artistes assez consensuels, qui brillent avant tout par leur physique et leur charisme. Mais certaines voix parviennent à dépasser ce côté « usine à tube » : Carrie Underwood ou Kacey Musgraves ont envahi les charts à la suite de l’une des artistes country les plus célèbres de la planète, Taylor Swift. Cette dernière s’est fait remarquer dans le genre avec ses albums Taylor Swift, Fearless et Speak Now, avant de s’en détacher à partir de Red et 1989.
Parmi les modernisateurs récents, Lady Antebellum (aujourd’hui nommé Lady A) a notamment apporté un vent de fraîcheur à la country de Nashville et remporté un précieux Grammy Awards de la chanson de l’année avec Need You Now en 2011, dernière année où un artiste country s’imposait dans cette catégorie. Orville Peck, lui, donne un sérieux coup de fouet au genre. Ouvertement gay, originaire du Canada, toujours anonymisé par un masque, cet artiste singulier figure parmi les étoiles montantes de la country : après son premier album, Pony, un deuxième disque, Show Pony, le voici de retour en 2022 avec Bronco, où il rajeunit le son traditionnel avec une certaine maestria.