En près d’une trentaine de films, Abel Ferrara continue de diluer les affres de la nature humaine dans des films underground, exigeants et fascinants. À l’image de The Addiction qui sort en Blu Ray et DVD le 24 mars et qui représente à lui seul, tout le cinéma de ce réalisateur pas comme les autres.
Un cinéma de genre
Depuis ses débuts à la fin des années 1970, Abel Ferrara s’est inscrit dans la mouvance des films de Martin Scorsese et William Friedkin, mais à sa manière. Ses budgets n’étant pas aussi importants que ceux de ces deux réalisateurs, il fait souvent appel au système D et ne se cantonne pas à un seul genre de cinéma, mais plutôt à un cinéma de genre. Le sien.
Il n’hésite pas à rajouter du fantastique et du sulfureux dans la normalité, comme dans L’Ange de la vengeance, pur film de genre rape and revenge bien avant Tarantino, dans lequel une femme élimine un par un tous les hommes qui l’approchent. Ferrara se lance ensuite dans le polar, avec New York, deux heures du matin ou Bad Lieutenant, le film de mafia (The King of New York), ou d’espionnage façon yakuza (New Rose Hotel). Il bifurque également dans le fantastique (Body Snatchers ou The Addiction sur une femme vampire), la science-fiction (4h44 dernier jour sur Terre), le biopic (Pasolini) ou les films expérimentaux comme Siberia, voyage intime à travers les rêves.
Des films entre vice et vertu
Derrière tous les drames qu’il dépeints, Abel Ferrara noie ses obsessions récurrentes, entre dépression, désespoir, addictions de toutes sortes (drogues, alcool, sexe), mais aussi l’amour, la rédemption, la religion. Ses personnages principaux sont souvent des alter-ego de lui-même. C’est l’acteur cocaïnomane de The Blackout qui a perdu l’amour de sa vie et tente de s’en sortir en intégrant un groupe d’Alcooliques Anonymes.
C’est aussi l’inspecteur de police drogué de Bad Lieutenant demandant pardon au Christ pour ses péchés. Ou l’animateur de télévision spécialisé dans la vie de Jésus de Mary. C’est également l’homme d’affaires succombant à ses pulsions sexuelles dans Welcome to New York, allégorie de l’affaire Strauss-Kahn. Abel Ferrara est partout dans ses films, dont chacun est un état des lieux de son état de santé physique et mental.
Des acteurs qui cassent leur image
On ne vient pas dans un film d’Abel Ferrara par hasard. On sait à quoi s’en tenir, on sait que l’on sera souvent rudoyé, que le réalisateur paraîtra parfois tyrannique ou absent, mais qu’on sera dans un film qui ne laissera personne indifférent. Et certains en redemandent, tels Harvey Keitel, Christopher Walken ou Willem Dafoe, muse/double de Ferrara au point de devenir un prolongement de lui-même dans plusieurs de ses films, surtout dans Tommaso, dans lequel un artiste arrête l’alcool et la drogue pour se consacrer à sa vie de famille et à ses projets, même si ses démons sont toujours en train de rôder quelque part.
Malgré sa réputation, Abel Ferrara draine autour de lui nombre d’acteurs internationaux reconnus, de Gérard Depardieu à Juliette Binoche, en passant par Mylène Farmer (en prostituée dans le clip California), Forest Whitaker, Béatrice Dalle, Marion Cotillard ou Madonna dans Snake Eyes. Avec des films plus apaisés ces dernières années, Abel semble avoir vaincu le Caïn qui sommeillait en lui. Mais pour combien de temps ?